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De l’orientation à la randonnée

Comment un niveau de complexité peut-il être recherché au travers d’une forme de pratique scolaire ? Cet article s’appuie sur la course d’orientation pour des élèves de 4e lors d’un cycle de dix heures effectives.

Les activités physiques sportives et artistiques (APSA) génèrent des situations complexes : les solutions sont souvent loin d’être uniques, se construisent progressivement, nécessitent d’opérer des jugements, de faire preuve de discernement. Mais suffit-il de faire un match en fin de séance, situation éminemment complexe, pour rendre les élèves plus compétents ? On voit bien que ce qui est en jeu dans l’approche par compétence est le degré de pertinence entre la situation proposée pour inférer cette compétence et les ressources mobilisées de façon interactive. Il est important de replacer la compétence dans la complexité d’une APSA, et les questions pour le faire sont de trois ordres :

  • la question du ciblage des éléments de culture à transmettre ;
  • la question du niveau de complexité : Quel degré d’incertitude, d’ouverture dans la situation complexe proposée, pour quelles « coalitions de ressources » permettant la construction de la compétence ?
  • La question de l’accompagnement, pour aider les élèves à apprendre à lire la complexité, développer leur jugement et mobiliser leurs ressources à bon escient.

Dit autrement, comment s’y retrouver dans la complexité quand on est confronté à l’enseignement d’une compétence attendue des programmes et d’élèves caractérisés en collège par leur grande hétérogénéité ? Comment ne laisser aucun élève de côté et permettre à toutes et tous d’entrer dans la compétence pour y développer un niveau optimal d’acquisition ?

Le « petit pas en avant » sur lequel porte ce récit de pratique concerne la création de situations complexes permettant de construire la compétence attendue de niveau 2 en course d’orientation des programmes collège.

La course d’orientation au collège

Le profil du terrain en course d’orientation est une contrainte forte, non modifiable. Nos élèves pratiquent la course d’orientation dans une forêt domaniale comportant peu de relief et peu de variété dans les points remarquables : des intersections, quelques trous, des barrières ONF, des gros arbres, des clôtures, des bornes. Quelques endroits permettent de faire des sauts de ligne, sans grand risque de se perdre. Aucune courbe de niveau.

En niveau 1 (classe de 6e), le ciblage de la compétence porte sur la mise en relation entre le terrain et la carte : les élèves apprennent à coder ce qu’ils voient sur le terrain sous forme de légende et se représentent les postes simples à trouver ; ils apprennent à se situer sur la carte ; ils savent orienter leur carte par rapport à deux points remarquables ; ils savent cheminer en marchant et en courant, en suivant des chemins dans une zone de la forêt bien délimitée.

Pour la compétence de niveau 2, l’équipe pédagogique de l’établissement a fait le choix de poser deux problèmes pour trouver des postes :

  • des balises « points remarquables », placées sur un point remarquable facilement identifiable, mais pouvant nécessiter des cheminements simples ou plusieurs décisions d’orientation ;
  • des balises « étalonnage », nécessitant d’évaluer une distance (estimation sur la carte à partir de l’échelle et étalonnage en « double pas » en suivant la ligne directrice) à partir d’un point remarquable facilement identifiable.
Des insatisfactions repérées

Jusqu’à présent, nous adoptions une forme de pratique scolaire traditionnelle, dans laquelle tous les élèves avaient les mêmes parcours à réaliser dans un temps donné (parcours en étoile). L’enseignant pouvait différencier les parcours selon le niveau des élèves. Les élèves couraient par deux, duos constitués essentiellement par rapport à leurs ressources énergétiques. Plusieurs insatisfactions ressortaient de cette forme de pratique scolaire :

  • le constat répété d’un élève leadeur de la dyade qui prenait toutes les décisions et d’un élève suiveur qui n’apprenait rien au fur et à mesure des séances ;
  • une évaluation formatrice difficile à réaliser à la fin de la course, les difficultés de chaque balise n’étant pas identifiées par les élèves ;
  • un itinéraire rigide ne laissant pas de choix ni d’auto-détermination aux élèves ;
  • des temps d’attente dus à des départs toutes les deux minutes, générant des groupes et des élèves impatients ou inactifs.

En clair, si les tâches étaient complexes, elles ne permettaient pas aux élèves à apprendre à choisir, par eux-mêmes, les procédures adaptées au problème posé. Le niveau d’acquisition demandé était trop élevé et la nature des problèmes posés était souvent mal identifiée par la plupart des élèves. La reproduction de parcours aux problèmes nombreux ne permettait pas aux élèves d’automatiser un certain nombre de procédures, permettant de faire face à la complexité de la tâche (un bémol tout de même avec la mise en place de parcours d’apprentissage à thème).

Mieux cibler la compétence

En classe de 4e (dix heures effectives), la compétence visée est celle de niveau 2 des programmes collège : « choisir et conduire le déplacement le plus rapide pour trouver des balises à l’aide d’une carte, en utilisant essentiellement des lignes et des points remarquables, dans un milieu délimité plus ou moins connu. Gérer les efforts en adoptant des allures de course optimales, en rapport avec le milieu et le moment du déplacement. Respecter les règles de sécurité et l’environnement. »

Par rapport aux apprentissages réalisés en 6e, la formulation de cette compétence conduit à poser les problèmes d’une plus grande incertitude du milieu, de l’optimisation des ressources foncières en lien avec le degré de fiabilité des prises de décision, tout en gérant sa sécurité. Le pas en avant décisif est l’optimisation entre un temps de course (lié à des capacités énergétiques de course longue) et un temps d’orientation. Il s’agit de faire passer les élèves d’un temps d’orientation privilégié (avec alternance d’arrêt à chaque nouvelle prise de décision et de course, pour rattraper le temps perdu à s’orienter) à la construction d’un véritable projet de déplacement, pour aller à chaque nouveau point d’attaque de la balise à chercher.

Voici l’analyse que nous faisons de la compétence attendue de niveau 2 des programmes collège, ce qui nous amène à préciser nos options didactiques et pédagogiques :

Estimer le niveau de complexité

Pas en avant retenu

Nous recherchons l’optimisation entre un temps de course (lié à des capacités énergétiques de course longue) et un temps de lecture-orientation. D’où les objets d’enseignement prioritaires :

  • mémoriser mentalement des itinéraires simples pour courir sans recours à la carte ;
  • se repositionner en sortie de poste ;
  • estimer une distance.

Description de la forme de pratique scolaire retenue

La forme de pratique scolaire permettant d’inférer la compétence visée s’apparente à une « course au score ».

 

La carte comporte une vingtaine de postes classés balises « points remarquables » et balises « étalonnage » (code couleur) :

  • balises « points remarquables », placées sur un point remarquable facilement identifiable (intersection essentiellement) ;
  • balises « étalonnage », nécessitant d’évaluer une distance (estimation sur la carte à partir de l’échelle et étalonnage en « double pas » en suivant la ligne directrice) à partir d’un point remarquable facilement identifiable.

​À chacune de ces balises est attribué empiriquement un score (1, 2 ou 3 points) correspondant à un niveau de complexité. Trois critères déterminent ce choix :

  • le problème posé : balises « points remarquables » et balises « étalonnage » ;
  • le nombre de décisions de réorientation pour parvenir au point remarquable ;
  • l’éloignement du point de départ (rayon de cent, deux-cents ou trois-cents mètres).

Les élèves sont par deux, mais avant de partir, chaque élève a cinq minutes pour écrire un projet de course comportant un choix de huit balises, notées dans l’ordre de ramassage. Les élèves ayant deux séances hebdomadaires d’EPS (deux heures et une heure), la réalisation du projet lors de la séance d’une heure permet à l’enseignant de constituer des doublettes aux balises sensiblement différentes, et aux allures de courses proches. Lorsque le projet est anticipé, les élèves ont deux minutes avant la course pour reprendre connaissance de leur projet.

Deux courses de quatorze à dix-huit minutes sont réalisées pour chaque duo, chacun étant à tour de rôle « traceur-coureur » sur son propre choix de huit balises, et « suiveur-valideur » sur le choix du partenaire.

  • Pour le « traceur-coureur », il s’agit de valider les huit balises dans le temps limite imparti (quatorze à dix-huit minutes). S’il estime avoir le temps, il peut rajouter des balises non prévues à son contrat de départ. S’il est en difficulté, il peut demander de l’aide à son partenaire, en sachant que cette demande d’aide risque de lui faire perdre du temps en négociation ;
  • Pour le « suiveur-valideur », la consigne est de suivre le « traceur-coureur », en intervenant le moins possible, sauf s’il le demande. À chaque balise trouvée, il note sur son carton s’il estime la balise juste ou fausse. D’une balise à l’autre, il peut également noter le nombre d’arrêts de son partenaire pour faire un « point carte », de manière à donner des indications sur les stratégies de lecture du coureur. Si son partenaire est en difficulté, il peut venir lui donner son avis. Il fait respecter le temps limite pour ne pas être pénalisé dans sa propre course ;
  • Après chaque course, un temps d’auto-contrôle et d’analyse est réalisé par la doublette, avant de repartir ;
  • Les indicateurs suivants permettent aux élèves de faire l’analyse de la course : ​retour dans le temps ou hors-temps ; niveau des balises du projet ; justesse des huit balises ou pas ; nombre de « points cartes » effectués.

Les duos ont tous une montre ou un chronomètre pour gérer leur temps de course. Chaque élève a une carte et le projet de course que le coureur s’est donné.

Un temps de course différencié

Le temps de course est différent selon le potentiel énergétique de la doublette. Les élèves ayant une vitesse maximale aérobie moins importante se voient attribuer un temps de course plus long.

Ressources internes sollicitées

  • ressources stratégiques pour choisir les huit balises en lien avec le temps disponible, la connaissance de son niveau de compétence. À l’issue de la séance, chaque élève rédige quelques lignes sur sa course et estime son niveau d’acquisition dans la compétence, ce qui lui permettra à la prochaine épreuve de mieux estimer ses ressources et de travailler les difficultés non résolues. (cf. référentiel course d’orientation) ;
  • ressources méthodologiques différenciant des temps de positionnement précis sur la carte (sorties de postes) de temps de construction mentale d’itinéraire et de temps de course, jusqu’au point d’attaque du poste suivant ;
  • ressources cognitives de mémorisation d’itinéraire sur des lignes simples ;
  • ressources affectives pour s’engager sur un projet optimal ;
  • ressources énergétiques de course longue (en lien avec le cycle de demi-fond) ;
  • ressources informationnelles : courir en levant les yeux pour rechercher les points remarquables.

Ressources externes sollicitées

  • aide possible du « suiveur-valideur » et débat post-course permettant d’analyser la course du « traceur-coureur » ;
  • aides auprès de l’enseignant.

Automatisation des procédures intermédiaires

  • le repositionnement systématique en sortie de poste ;
  • le projet mental d’itinéraire jusqu’à un point d’attaque du poste ;
  • l’étalonnage en double pas après un point d’attaque.

Fil rouge

  • nombre balises justes et difficultés des balises ;
  • nombre de points carte et respect du temps.
Aider les élèves à apprendre à lire la complexité

La forme de pratique scolaire est conçue pour que les élèves analysent et choisissent la complexité de la situation, développent leur jugement et mobilisent leurs ressources à bon escient. Cinq contraintes de la forme de pratique scolaire permettent « de mobiliser de manière intériorisée un ensemble intégré de ressources » :

  • le choix de son propre itinéraire, remis au suiveur et à l’enseignant avant de partir ;
  • l’itinéraire choisi en connaissance de la complexité et de l’éloignement des postes ;
  • la course seule avec un suiveur ;
  • l’analyse du parcours ;
  • le temps limite différencié selon la vitesse maximale aérobie de l’élève.

Le choix de son propre itinéraire, remis au suiveur et à l’enseignant avant de partir

On ne part pas complètement à l’aventure ! Cet aménagement développe une attitude de sécurité : en cas de difficulté, l’enseignant sait où chercher l’élève perdu.

L’itinéraire choisi en connaissance de la complexité et de l’éloignement des postes

Le choix de l’itinéraire permet aux élèves de partir avec une stratégie de course. Certains choisissent d’aller loin et privilégient la course. D’autres préfèrent assurer sur des postes faciles proches, quitte à « grappiller » d’autres balises. D’autres, enfin, cherchent des sauts de ligne simples pour gagner du temps. La réalisation concrète des projets, séance après séance, permet aux élèves de revoir ces stratégies, en identifiant leurs points forts ou faibles. Le « label » attribué à chaque poste permet aux élèves de savoir à quelle difficulté ils vont être confrontés. L’itinéraire est donc aussi choisi en identifiant les facteurs de risque en fonction de son niveau de compétence, réactualisé à chaque séance. Ceci participe, du point de vue méthodologique et social, à la mise en projet ainsi qu’à la connaissance de soi.

La course seul avec un suiveur

Cette mesure a plusieurs intérêts :

  • responsabiliser l’élève sur sa propre recherche ;
  • avoir la possibilité de recourir à une aide extérieure ;
  • recueillir des informations sur la course du coureur : quel choix d’itinéraire ? Combien d’arrêts pour faire un « point carte » ; quel comportement en sortie de poste ?

La verbalisation post-course contribue au travail de débat argumenté avec des critères d’observation (balises justes ou fausses ; temps ; nombre de points cartes ; choix d’itinéraire) de la compétence 1 du socle commun de connaissances et de compétences.

L’analyse du parcours intégrée au score

Ceci participe à la mise en projet de l’élève : faire entrer dans le décompte des points la gestion et l’évaluation de la course, en fonction de sa réussite et des procédures utilisées.

Le temps limite différencié selon la vitesse maximale aérobie de l’élève

Sans ce temps limite choisi au plus juste, il n’y a pas de recherche de gain de temps par une routinisation des procédures permettant d’aller au point d’attaque du poste.

En plus de ces contraintes, un certain nombre de variables permettent d’ajuster encore le niveau de complexité de la forme de pratique proposée :

  • positionnement des postes : postes placés pour inciter à sauter d’une ligne à l’autre ; balises éloignées valorisées par un bouquet de postes à proximité ;
  • balises obligatoires dans les huit : le projet peut ainsi être modulé pour que les élèves soient confrontés à une difficulté qu’ils évitent. Par exemple, pour certains élèves, rendre obligatoire une balise ou deux éloignées, pour d’autres rendre obligatoires des balises « étalonnage » ;
  • balises bonus : les supprimer afin de ne pas tenter l’élève « à sortir de son projet de course » ; les rajouter pour permettre une recherche de gain de temps dans la recherche du projet ;
  • constitution des dyades : les dyades peuvent être symétriques ou asymétriques du point de vue des compétences d’orientation. Les élèves « plus forts » peuvent s’avérer de très bons conseillers, en montrant aux élèves « plus faibles » comment ils s’y prennent pour choisir leur itinéraire, sauter d’une ligne à l’autre, etc.
De l’orientation à la randonnée

Notre collège est au cœur de la forêt domaniale de Chantilly-Ermenonville. En questionnant les élèves, nous nous sommes rendu compte qu’un nombre infime d’entre eux pratiquait avec leurs parents la randonnée en forêt. Alors que le GR 11 passe devant le collège et traverse la ville de Chantilly, très peu d’élèves connaissent le balisage rouge et blanc.

Faire le pari que les élèves de 4e seraient toutes et tous capable de randonner en autonomie, sans se perdre, sur une vingtaine de kilomètres, donne à la compétence d’orientation toute son utilité. Au-delà de l’aspect utilitariste d’une pratique physique possible à tous les âges de la vie, le développement de cette compétence est à mettre en perspective avec la construction d’un habitus santé passant par le plaisir d’être dans un milieu naturel. En développant cette compétence de randonneur dès le plus jeune âge, nous cherchons à ce que les élèves utilisent des ressources internes et externes, pour s’aventurer en autonomie dans un milieu naturel : gestes préalables permettant d’assurer sa sécurité, recours à une carte ou un topoguide, capacité à apprécier la difficulté d’un parcours au regard du groupe et des personnes ressources, capacité à se repérer à partir de la lecture de la carte et du terrain, attitude d’auto-contrôle par rapport à son allure de marche, demande d’aide.

La préparation de cette randonnée a été l’occasion d’un travail pluridisciplinaire autour de tâches complexes complémentaires, afin de résoudre les problèmes suivants :

  • choisir un itinéraire passant par des points géologiques ou patrimoniaux remarquables (colline de sable, fontaine, chaos de blocs rocheux, arbre remarquable), en affinant les codes et les légendes d’une carte IGN au 25 000e ;
  • se projeter dans une faisabilité spatiale par la réalisation d’un road-book de la randonnée prenant en compte le profil géographique (travail sur les courbes de niveau) ;
  • se projeter dans une faisabilité temporelle personnelle de la randonnée, par la réalisation de tableaux d’horaires de marche à partir d’allures moyennes de 3 km/h, 4 km/h, 5 km/h, 6km/h ;
  • comprendre et mettre en œuvre les conditions pour agir en sécurité par la construction d’une checklist d’objets à emmener et de comportements à adopter ;réaliser des diaporamas courts en direction d’autres classes (thèmes proposés : l’écosystème de la forêt ; la protection de la forêt ; la déforestation ; le commerce illicite du bois, les feux de forêt ; les métiers du bois et de la forêt ; l’accueil de l’homme dans la forêt ; les animaux de nos forêts, etc.).

Lors de la sortie, les élèves se sont dirigés en autonomie, par groupe de six, avec rotation du « meneur de marche ». Les autres élèves ont retrouvé alors leur rôle de « suiveur-valideur » (un adulte est là en cas d’erreur flagrante). L’esprit « randonnée » a été recherché : convivialité et responsabilité (coopération, regroupements pour regarder un arbre remarquable, prendre des photos, s’alimenter et boire, vérifier son parcours).

La compétence de randonneur a été validée au cours de la journée.

ANNEXES

 

Cathy Patinet
Professeure d’EPS en collège à Chantilly (Oise)
Mes propos s’appuient sur une réflexion et une mise en œuvre de l’équipe EPS de mon collège.
 ZOOM
Les filles aussi peuvent réussir en course d’orientation

Pour les élèves, pratiquer la course d’orientation, c’est vaincre la peur de se perdre ou d’être agressé. La médiatisation des agressions de femmes alors qu’elles effectuaient seules leur jogging, dans la campagne ou en forêt, rajoute à la peur de s’aventurer pour bon nombre de filles (mais aussi pour certains garçons). De plus, il faut souvent pratiquer en terrain accidenté : passer dans les flaques d’eau, éviter les ronces, grimper des talus, etc. La forêt est un terrain d’aventure. Et l’aventure est plus masculine. Fabienne Gillonnier montre, après observation, que les garçons et les filles ne pratiquent pas de la même façon l’activité1. En forêt, il y a plus d’appréhension pour les filles qui ont aussi le souci majeur de ne pas salir ni abimer leurs vêtements.

Du côté des enseignants, les idées reçues ont la vie dure, surtout quand elles touchent aux capacités des hommes et des femmes à s’orienter ! Pour un grand nombre d’enseignants, la moindre réussite de certaines filles en course d’orientation a une explication toute trouvée : si les filles ne savent pas s’orienter, c’est parce qu’elles n’ont pas le même cerveau que les garçons ! Catherine Vidal2, neurobiologiste, montre au contraire que le cerveau n’a pas de sexe et que c’est plutôt parce qu’il est entrainé (possède des qualités de plasticité) qu’il développe un certain nombre de compétences. Les facteurs expliquant les différences entre les filles et les garçons sont donc liés à l’éducation dispensée aux garçons et aux filles : des garçons autorisés à utiliser l’espace, jouer dehors, à prendre des risques ; des filles éduquées à utiliser un espace plus restreint, à jouer davantage à l’intérieur, qui ont besoin d’être rassurées dans un espace extérieur. Les stéréotypes sont tellement ancrés que certaines émissions de télévision pseudoscientifiques, reléguées par des succès d’édition3 démontrent la déficience des femmes (par nature) à s’orienter. Cela ne facilite pas les choses dans le monde de l’EPS ! Certains enseignants attribuent ainsi l’échec de certaines filles à leur sexe, alors que les parcours proposés ne mettent pas en confiance (postes éloignés du départ) ou nécessitent un engagement foncier disproportionné en regard du travail d’orientation proprement dit. Dans les parcours longs, les courses ne sont pas toujours différenciées : ce sont les mêmes parcours, les mêmes limites de temps, les mêmes barèmes entre les filles et les garçons. L’aménagement le plus équitable consisterait à ajuster le « temps limite » du parcours en fonction de la VMA du couple.

Alors en quoi la forme de pratique scolaire permet-elle à la fois aux filles et aux garçons de construire une culture commune d’orientation ?

Plusieurs aménagements nous semblent propices à modifier les attitudes : la réversibilité des rôles entre coureur et suiveur, le choix par l’élève d’un projet de course à rendre avant de partir (en identifiant des niveaux de difficulté recherchés), l’observation et le débriefing après course. Ces aménagements permettent aux filles de gagner en confiance petit à petit. Elles ne partent pas seules, ont donné leur itinéraire, peuvent être aidées par le suiveur. Elles choisissent leur niveau de difficulté et, après avoir été en réussite sur des choix comportant une faible prise de risque, elles vont pouvoir oser davantage. De plus, les groupes mixtes peuvent (à condition d’être dans des profils énergétiques similaires) permettre aux filles « suiveuses » d’avoir des modèles de coureurs garçons qui osent sauter une ligne. Le temps de débriefing sur les itinéraires et le nombre d’arrêts constituent un moment bénéfique pour les deux sexes. Les garçons comme les filles vont analyser leur capacité à se recaler en sortie de postes et rechercher à diminuer la fréquence des décisions.

Pour les garçons les plus engagés dans l’activité, la possibilité d’aller chercher des balises éloignées ou des balises bonus est une source de motivation supplémentaire.

Notes
  1. Fabienne Gillonnier, « Pourquoi les femmes ne savent pas lire les cartes routières ? La course d’orientation à l’école : évaluation et évolution des stéréotypes de sexe », in Cécile Ottogalli-Mazzacavallo, Jean Saint-Martin (sous la direction de), Femmes et hommes dans les sports de montagne. Au-delà des différences, Grenoble, CNRS-Publications de la MSH-Alpes.
  2. Féminin/Masculin : mythes et idéologie, Éditions Belin, 2006.
  3. Voir à ce sujet Allan et Barbara Pease, Pourquoi les femmes ne savent pas lire les cartes routières, First Éditions, 2001.