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De l’inégalité scolaire

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Je revenais juste du colloque des Crap-Cahiers Pédagogiques sur la démocratie à l’école, et même d’un atelier sur la démocratisation des savoirs, quand j’ai commencé ce livre. C’est dire si j’y cherchais – autorisée par le titre qui s’inscrit dans la lignée des essais les plus savants – des réponses à nos angoisses d’enseignants : mais pourquoi nos élèves échouent-ils ?

Jusqu’à maintenant, dit Terrail dans les premières pages, on n’a proposé que des explications partielles à cet état de choses ; il est temps d’aller plus loin. Suivent trois cents pages de démonstration dont trois quarts pourraient figurer dans les Cahiers pédagogiques, n’était le sens, progressivement dévoilé, du message qui se dit clairement dans les derniers chapitres : l’école est soumise à une pédagogie de la relation où les contenus sont passés au second plan ; ce sont là les ravages de la logique de l’adaptation aux élèves qui prime désormais, dans la droite ligne des pédagogies nouvelles, sur la nécessité d’enseigner.

La voilà donc, la grande explication que l’auteur nous promet au début de l’ouvrage ! Quelle déception… D’abord parce que ce n’est guère nouveau. Que Terrail nous fasse longuement revisiter Lahire, Rochex et quelques autres, c’est son droit, mais on ne l’a pas attendu pour puiser, dans leurs analyses du rapport à l’écrit et au savoir des élèves en difficulté, de quoi être plus vigilants à l’égard des pratiques « novatrices ». Mais surtout, là où l’équipe de Charlot, Bautier, Rochex étudiait finement des dérives, des analyses inadéquates de la difficulté scolaire, des solutions erronées, voire créatrices d’échec, imaginées dans les ZEP en particulier, Jean Pierre Terrail, lui, veut échafauder une vaste explication d’ensemble et tombe dans des excès qui finissent par ruiner son propos.

On le suit, bien sûr, dans son insistance sur les écarts de réussite, désespérément stables, entre les classes sociales, dans sa dénonciation d’une filiarisation prétendument fondée sur les « aptitudes » des élèves, et dans ses mises en garde contre le renoncement des enseignants au nom d’un trop commode « handicap socio-culturel ». On cesse de le suivre quand cette critique (nécessaire) perd sa pertinence en abandonnant sa subtilité et que l’auteur se fait censeur. Une fois le glissement opéré de l’analyse lucide à la dénonciation myope, on n’est pas étonné de retrouver, dans la foulée, les IUFM à leur place habituelle de pelés, de galeux : selon Terrail, qui a sans doute oublié d’aller vérifier sur place, en lisant vraiment les plans de formation, ce qu’il avance, « on ne s’y préoccupe pas de donner une formation disciplinaire sérieuse ». Reste encore la charge attendue contre les pratiques de lecture, en classe comme en formation des maîtres, et on aura retrouvé avec tristesse la panoplie habituelle des pourfendeurs de l’innovation. L’auteur a pourtant relevé lui-même une étude de V. Isambert-Jamati (1990) montrant qu’« on ne trouve guère de laxisme en matière de communication des savoirs ». Qu’importe…

Le lecteur alléché est ainsi passé, en quelques chapitres, d’affirmations pleines d’optimisme sur les capacités intellectuelles des jeunes enfants, sur la nature méconnue de leurs difficultés dans le rapport au langage, sur l’inefficacité du redoublement, à une dénonciation sans appel des fabricants d’inégalité, les seuls coupables, à leur insu peut-être : les adeptes des pédagogies « de basse intensité », spécialement dans l’enseignement élémentaire, et encore plus auprès des élèves en difficulté.

Alors comment faire ? À la fin du livre, l’auteur, qui n’a plus le temps (on le comprend, après 330 pages…), formule quelques thèses de façon « trop lapidaire » (sic) :
– Reconnaître la vraie nature de la difficulté scolaire : l’entrée dans un rapport métacognitif au langage et aux savoirs.
– Donner aux enseignants une vraie formation disciplinaire et les rendre à leur vraie mission : enseigner.
– Mettre en œuvre des pédagogies soumises à la logique des contenus.

Ou comment, sur une première proposition passionnante à explorer, greffer un discours fermé et terriblement usé… D’ailleurs, si Jean-Pierre Terrail consacre quelque trente pages à démonter minutieusement les pratiques fautives d’une école de ZEP coupable d’être tombée dans le « puérocentrisme », il n’en garde aucune pour proposer un exemple de « bonne » façon de faire, se contentant d’affirmer (p. 96) que « si, par des méthodes pédagogiques précoces et efficaces, on parvenait à assurer la réussite de tous aux apprentissages fondamentaux, […] la question des inégalités sociales face à l’école perdrait énormément de son acuité ». Décidément, on avance…

Florence Castincaud


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