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Cultiver la créativité pour relever les défis du XXIe siècle

Quelle approche pédagogique les enseignants peuvent-ils adopter pour mettre en place des conditions favorables à la créativité ? Avant la parution en mai de notre n° 569 « Enseigner la créativité ? », un enseignant et une conseillère pédagogique québécois exposent ici leur approche interdisciplinaire, soutenue par la pensée design, les questions fécondes en sciences et technologies et l’usage du numérique.

Capacité inhérente à l’être humain, la créativité est une manifestation de notre imagination et de notre intelligence. Cette capacité nous distingue des autres espèces animales en ce sens que nous naviguons constamment dans l’univers des possibilités et cherchons naturellement à innover. Selon plusieurs auteurs, la pensée créative est une habileté fondamentale à développer et à cultiver chez nos élèves, car la croissance actuelle de notre économie mondiale en dépend, surtout dans un contexte d’émergence technologique. La créativité nous permettra de résoudre des défis de notre ère comme les changements climatiques, les crises sociales, les migrations de réfugiés écologiques et les conflits politiques.

La créativité est à la portée de tous et se développe de manière individuelle et collaborative. Elle n’est pas une exclusivité artistique, mais plutôt «un processus exigeant résultant d’une bonne analyse de la situation problème et de son contexte, qui doit donner lieu ensuite à une solution»1. Étant un processus, la créativité se développe donc dans toutes les disciplines.

APPROCHE INTERDISCIPLINAIRE

Nos systèmes scolaires sont encore imprégnés de l’ère industrielle qui, en divisant les matières à enseigner, ne préparent pas convenablement les élèves à leur futur. Pour mieux les préparer, il faudrait plutôt développer leurs habiletés à aborder, analyser, étudier et solutionner des problèmes complexes à l’aide de diverses perspectives disciplinaires. Dans ce type de démarche, les enseignants amènent les élèves à acquérir simultanément des savoirs et savoir-faire communs en sollicitant plusieurs connaissances antérieures ou nouvelles. L’utilisation d’une pensée et de questions interdisciplinaires favorise la concertation et les intersections entre les objectifs de divers programmes d’études et par conséquent l’intégration des processus d’apprentissage et des savoirs par les élèves.

Léonard de Vinci représente le portrait par excellence de la créativité. Artiste, adepte de la démarche expérimentale et pionnier du biomimétisme, il a produit des œuvres, imaginé des concepts et créé des objets qui ont franchi les siècles. Son regard interdisciplinaire sur les problématiques à résoudre a contribué à sa renommée. L’application intuitive des principes de la démarche scientifique et technologique combinée à l’ingénierie, aux arts et aux mathématiques a fait de lui un des précurseurs de l’approche Stiam (Science et technologie de l’ingénierie, des arts et des mathématiques).

L’usage d’une approche interdisciplinaire Stiam constitue encore une exception dans nos milieux, et ce, malgré les multiples avantages qu’elle offre à l’apprenant.

QUESTION FÉCONDE ET PENSÉE DESIGN

Pour lancer un projet Stiam, il suffit d’une question féconde ancrée dans une situation authentique. Celle-ci est l’élément central de l’approche par projet en sciences et facilite la démarche en pensée design dans une perspective interdisciplinaire. Élaborée, explorée et résolue de manière collaborative, elle sert à créer des terreaux fertiles engendrant le besoin d’apprendre de nouveaux concepts et processus. Idéalement puisée à même l’intérêt des élèves, la question féconde doit les plonger dans une réflexion provoquant une dissonance cognitive ou une curiosité. L’intérêt suscité motive l’apprenant à vouloir comprendre ou apporter une solution.

Une bonne question féconde présente les six caractéristiques suivantes :

Faisabilité
Respecte la zone proximale de développement et permet à l’enseignant de concevoir et exécuter des démarches d’investigation pour y répondre. Elle pourra être décortiquée en sous-questions par les élèves. Le matériel pour entreprendre ces démarches est également disponible pour poursuivre les investigations.

Valeur
Permet d’explorer des activités scientifiques riches en concepts et contenus en plus d’établir des liens avec les compétences du curriculum prescrit. Les élèves doivent comprendre pourquoi ils apprennent ces concepts, comment ils sont liés à la question féconde et en quoi ils s’inscrivent dans leur réalité.

Contextualisation
Est ancrée dans une réalité signifiante pour les élèves. Ils doivent comprendre son lien au monde réel pour en percevoir les conséquences dans leur quotidien.

Sens
Entrecroise les intérêts des apprenants, leur réalité, leur culture et a du sens, car elle se réfère à des phénomènes intrinsèquement intéressants pour les élèves.

Éthique
Ne cause pas de tort à la vie et à l’environnement. Certaines expériences seront ainsi à proscrire.

Durabilité
Maintient l’engagement et suscite de nouvelles interrogations pour obtenir des réponses plus détaillées sur le sujet. Elle est assez complexe pour être déclinée en sous-questions en plus de générer de nouvelles interrogations.

Propulsé par une question féconde, un projet Stiam peut s’ancrer en pensée design, méthode qui loge l’être humain au centre de son processus itératif. L’empathie en est un élément clé posant des conditions favorables à la créativité. Cette méthode mène les élèves à solutionner de manière créative une multitude de problèmes complexes, signifiants et authentiques, et ce, prioritairement de manière collaborative.

Insister sur l’empathie, l’optimisme, l’itération, la pensée créative et la tolérance à l’ambiguïté est essentiel à la réussite de la démarche en pensée design. C’est un état d’esprit gravitant autour de six axes complémentaires qui permettent aux élèves de mieux s’y engager :
1-Se centrer sur l’humain en développant son empathie ;
2-Se conscientiser au processus en posant un regard réflexif sur ses démarches et le travail accompli ;
3-Développer une culture de prototypage s’inscrivant dans une boucle itérative d’application des nouveaux apprentissages ;
4-Miser sur l’action ponctuée d’essais et d’erreurs visant l’atteinte d’une solution viable et de haute qualité ;
5-Présenter les prototypes et les résultats de manière concrète et visuelle ;
6-Développer son esprit collaboratif.

USAGES DU NUMÉRIQUE EN CONTEXTE CRÉATIF

La majorité de notre utilisation du numérique est une consommation passive ou interactive de contenus, délaissant ainsi son potentiel créatif. Une utilisation pédagogique judicieuse des outils numériques pour solutionner une question féconde dans une démarche de pensée design s’avère pertinente pour l’enseignant qui souhaite poser des conditions favorables au développement de la créativité.

Les travaux de Feiman, Richard, Kamba, Djambong et Furlong[[Viktor Feiman, Vincent Richard, Jacques Kamba, Takam Djambong et Caitlin Furlong, «Affordances et appropriation d’outils numériques collaboratifs (TIC) durant la pensée design», Groupe de recherche Littoral et vie de l’université de Moncton, 2019, p.64.]] exposent d’ailleurs quatre avantages à l’utilisation du numérique dans un processus de pensée design :

  • Favorise le partage et la diffusion d’informations ;
  • Facilite la résolution collaborative et efficace de problèmes qui deviennent collectivement définis au sein de la communauté ;
  • Facilite la coordination des actions, la vulgarisation des projets et le renforcement de l’engagement citoyen ;
  • Développe la pensée critique en invitant les apprenants à poser des questions, à réviser du matériel et à discuter des problèmes.

Quelques utilisations pertinentes du numérique en pensée design, sont répertoriés par El Jai[[Boutaina El Jai, Diane Pruneau, Lisa Leblanc, Natacha Louis et Isabelle Pineault «Les facteurs favorisant la réussite de la pensée design», Groupe de recherche Littoral et vie de l’université de Moncton, 2019.]] ci-dessous :
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L’approche que nous suggérons suppose le recadrement du rôle maître-élève. En effet, un projet Stiam issue d’une question féconde rend l’élève responsable de ses apprentissages en lui permettant une marge de créativité quant au processus et au produit final. L’enseignant agira en tant que guide et accompagnateur auprès de ses élèves. D’ailleurs, permettre aux élèves de s’imprégner de l’état d’esprit du designer implique que l’enseignant doit laisser place aux idées insolites, offrir le temps nécessaire au prototypage et aux essais en plus d’offrir un espace sécurisant afin qu’ils puissent faire des erreurs tôt et souvent dans leur démarche.

Les élèves possèdent une curiosité et un désir inné d’innover. Il ne tient qu’à l’enseignant de leur proposer des contextes riches et signifiants tout en leur offrant de multiples occasions d’exercer leur créativité. Faites partie de la solution !

Caroline Fiset Vincent
Conseillère pédagonumérique Récit, centre de services scolaire Portages-de-l’Outaouais, au Québec
Stefan Haag
Enseignant de sciences et technologies, centre de services scolaire Portages-de-l’Outaouais, au Québec

Notes
  1. Margarida Romero, Benjamin Lille et Azeneth Patiño, Usages créatifs du numérique pour l’apprentissage au XXIe siècle, Presses universitaires du Québec, 2017.