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« Comment j’ai détesté les maths »
Le titre est trompeur : bien que commençant par des déclarations définitives d’élèves traumatisés (on en connait tous, et il y a là quelques exemplaires bien reconnaissables, depuis « je suis nul en maths » – en rigolant – jusqu’à « j’y comprends rien mais je sais qu’il faut passer par là pour réussir mon examen »), il s’agit en fait d’une déclaration d’amour aux maths et d’un hommage à ses officiants, professeurs et chercheurs.
Des époques et des portraits
La première partie fait l’inventaire des évolutions de l’enseignement des maths pendant les 50 dernières années. L’accent est mis sur la créativité nécessaire et absente de l’école. Montessori ? Oui, mais le retour au collège « normal » est difficile – sans retirer le plaisir rencontré en maths. Maths modernes ? Une belle aventure qui a été dénaturée – on n’échappe pas à la définition de la droite affine dénoncée en son temps par le Canard Enchainé – et qui apparaît dans un raccourci contestable comme une suite aux événements de mai 68.
Le documentaire suit le très médiatique Cédric Villani à Hyderabad, en Inde, au moment du congrès international qui lui a remis la médaille Field, en 2010. Gentil Cédric, qui se pose gravement la question : « Pourquoi, depuis le temps, on n’a pas trouvé la recette miracle de l’enseignement des fondamentaux, pour apprendre à lire, écrire, calculer ? ». Pour lui, le problème de l’école est qu’elle est trop sous l’emprise de courants à la mode selon les époques. Oublions ça, je retiendrai son hommage aux enseignants. Laissons-le sans arrière-pensée se promener en forêt entre copains, fredonnant un truc du genre « je suis une grosse tête, mais je suis aussi une simple personne comme vous et moi ».
Je n’oublie pas non plus les interventions passionnantes de Jean-Pierre Bourguignon, ex directeur de l’IHES (Institut des Hautes Etudes Scientifiques) que Cédric Villani a surnommé « le Samouraï des Maths ». Il faut aussi citer les apports de Jean Dhombres, pour l’Histoire, et de Anne Siety, côté Psychologie.
La deuxième partie nous entraîne dans le monde des mathématiciens, cherche à faire le portrait du chercheur en maths. C’est là qu’est posée la question qui fâche : à quoi servent les mathématiques ? Réponse facile : à tout… et elles ont inventé l’outil informatique qui a réussi à bouleverser le monde.
Le plaisir et la beauté
J’ai beaucoup aimé le moment où l’on est amené à réfléchir sur la pertinence du modèle face au réel ; l’un explique comment l’étude et la modélisation d’une coulée de miel et de la chute des spaghettis permet de comprendre comment poser des câbles sous la mer ; un autre, prof en classe préparatoire (François Sauvageot, au lycée Clémenceau de Nantes), après avoir ôté son chapeau pour montrer une ellipse, défait sa ceinture devant ses élèves médusés pour monter les déformations d’une courbe. Le plaisir de faire des maths, la beauté qu’on peut y trouver.
Le dernière partie est beaucoup moins convaincante. Elle est consacrée à la soit-disant responsabilité des maths financières dans les crises des années 2000, la « crise des subprimes » de 2007 puis la crise de 2008. La responsabilité des mathématiciens est-elle vraiment la même que pour ceux qui ont permis de concevoir la bombe atomique ? L’amalgame est fait, explicite et contestable – mais là, ça ne prend pas (« Ou comment les banques se sont servies des mathématiques comme caution morale pour prendre des risques inconsidérés » ).
« Comment j’ai détesté les Maths » ? Olivier Peyon pose la question, mais se garde bien d’y répondre. Il ne cache pas son admiration et on se demande de qui il parle, pour cette détestation. Ce n’est pas la sienne, en tout cas : sans s’apitoyer outre mesure, c’est celle de l’élève qui sort épuisé de deux heures pendant lesquelles il s’est évertué à ne pas faire le devoir de maths demandé ; il met l’accent sur les capacités existant en chacun de nous dès la petite enfance, il évacue la confusion calculateur/mathématicien, mais laisse planer le doute sur les enseignants (« Quand le prof de maths n’a en fait pas compris, comment ses élèves pourraient comprendre ? » entend-on). Par contre, et là on ne peut que le suivre, il a su dénoncer la sélection par les maths en démolissant les arguments qui voulaient la justifier (« Ou comment, pour plus de justice sociale, les mathématiques sont devenues un outil de sélection. »). Mais n’est-ce pas un combat d’arrière-garde ? La fameuse « sélection par les Maths » est-elle toujours là ?
Jacques Tenier