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Comment faire avec l’accompagnement éducatif au collège ?

En cette rentrée, on reparle de l’accompagnement éducatif, mis en place par Xavier Darcos et étendu l’an dernier à tous les collèges, du moins en principe. La propagande officielle nous dit que c’est là une mesure vraiment positive, appréciée par tous les parents, et qui serait un outil efficace de lutte contre l’échec scolaire. Les élèves n’ont-ils pas désormais la possibilité, chaque soir, de faire leurs devoirs (d’être « tranquilles après » ?) et les parents de les savoir bien cadrés dans l’établissement en attendant de revenir du travail ? Et n’oublions pas la possibilité de faire du sport ou des activités culturelles entre élèves volontaires et motivés.
Description en trompe l’œil, qui oublie tous les facteurs négatifs, dont je n’énumérerai ici que quelques-uns :
– Il y a d’abord le gros risque de reporter sur ces heures ce qui devrait être une partie essentielle du travail des enseignants : aider les élèves à travailler, les accompagner, au cœur de la classe ou dans des groupes plus restreints, mais à l’intérieur de l’horaire normal ; on pourrait ainsi faire tranquillement du magistral, puisqu’il y a des heures à côté pour assurer le suivi de ceux qui ont eu du mal à comprendre. Rappelons-nous des propos caricaturaux au Sénat du ministre Xavier Darcos : en classe, par exemple, on explique l’imparfait, et pour ceux qui n’ont pas bien compris, on poursuit lors d’heures d’accompagnement (que ce soit les deux heures à l’école primaire ou l’accompagnement éducatif ensuite) et tout va bien !
– Il y a, cela a été dit depuis longtemps, le risque non moins important d’entrer en concurrence avec les associations qui proposaient les mêmes activités. Telle association d’aide aux devoirs que je connais bien voit ses effectifs fondre, alors qu’elle repose sur un bénévolat dynamique (aidé par les collectivités locales) qui représente aussi une mobilisation sociale intéressante (et intergénérationnelle) pour la réussite des élèves. Le scolarocentrisme triomphe ici ; le principe selon lequel « l’école doit être son propre recours » devient un dogme engendrant ses effets pervers.
– Mais on ne souligne pas assez combien l’accompagnement éducatif utilise des moyens qui sont forcément pris ailleurs en cette période de restrictions budgétaires. On ne s’en rend évidemment pas compte, mais toutes ces heures supplémentaires, généreusement distribuées, sont la contrepartie de la suppression par exemple d’activités interdisciplinaires (IDD notamment) ou de groupes d’aide ou de projets. Est-on sûr que ce soit le meilleur moyen de faire face aux difficultés des élèves ?
– Enfin, le problème reste posé du volontariat des élèves. L’accompagnement éducatif participe, selon son organisation, à une idéologie méritocratique ; ceux qui « en veulent » peuvent rester un peu plus au collège. Mais que fait-on pour ceux qui « ne veulent pas » et se pose-t-on suffisamment la question « comment faire pour qu’ils veuillent davantage ? »
– Et n’oublions pas la question de la formation des enseignants concernés. Une autre idéologie néfaste s’est répandue selon laquelle ce serait bien simple d’aider des élèves à travailler, à réaliser dans de bonnes conditions leur travail scolaire. Or, quand on s’est penché sérieusement sur la question, c’est tout le contraire : il est bien plus facile de faire un cours que de travailler au plus près des difficultés des élèves, avec eux, à côté d’eux. Je renvoie au dossier que j’ai coordonné sur le thème « As-tu fait tes devoirs ? » pour les Cahiers pédagogiques (nº468).
Cependant, malgré toutes ces critiques, en aucun cas il ne faut jouer selon moi la politique du pire et condamner l’accompagnement éducatif. S’il est conçu intelligemment au contraire, il peut jouer un rôle très positif, comme l’ont fait dans les années quatre-vingt les études dirigées ou les heures d’ATP.
Je crois cela possible, mais sous certaines conditions, qui dépendent des réponses que l’on peut apporter aux effets néfastes que l’on vient de signaler.

L’accompagnement éducatif est positif si :
– il intervient en complément, en prolongement du travail en cours, d’où nécessité d’une coordination, mais aussi de fiches de suivi, de bilans réguliers, etc. Pas besoin d’usine à gaz, on peut faire cela assez simplement, mais l’évaluation doit faire partie du cahier des charges de l’« accompagnant » ;
– il doit y avoir concertation et complémentarité avec les associations travaillant sur les mêmes créneaux : des partages de rôle sont possibles et l’effet positif peut d’ailleurs du coup d’établir des contacts qui n’existaient pas forcément avant ;
– un vrai travail sur les contenus de l’accompagnement doit s’accomplir. Comment concilier l’aspect aide aux devoirs et ouverture culturelle ? Et comment là encore articuler avec le travail à l’intérieur du temps scolaire ? Des séances d’accompagnement sont consacrées au théâtre ou à l’écriture en prolongement de la classe, d’autres s’articulent avec les PPRE. Les idées ne manquent pas, mais il faut une volonté pour que, à l’image de ce qui se fait dans des établissements témoignant dans l’ouvrage cité ci-dessus, cela s’impose dans la pratique ;
– il ne faut sûrement pas se contenter de laisser la porte ouverte aux élèves volontaires. Il y a toute une politique d’incitation, qui sera d’autant plus efficace que les contenus de l’accompagnement seront sérieux, rigoureux. On comprend parfois que des élèves désertent des séances où ils sont abandonnés à eux-mêmes par des intervenants plus soucieux d’arrondir leurs fins de mois qu’à aider vraiment les élèves (mais si, ça existe, osons le dire !) ;
– la formation des enseignants, la mutualisation des pratiques, la circulation d’outils avec leur mode d’emploi, tout cela est indispensable. Il est proprement impensable que l’accompagnement éducatif se soit mis en place sans aucune université d’été, sans aucun lieu d’échanges entre formateurs, sans réelle publication officielle d’outils autres que des guides techniques. Le livre cité essaie, à sa manière, de répondre à ce manque.

J’y évoque d’ailleurs deux scénarios, un noir et un rose, le premier malheureusement, si on en croit des témoignages, étant le scénario dominant (fût-il teinté de gris). Mais en bon pédagogue, je ne peux m’empêcher l’optimisme, en tout cas celui de la volonté. Malgré toutes les critiques et insuffisances, il me parait possible que le beau mot d’« accompagnement » ne soit pas galvaudé et ne serve pas de caution à un système régressif sous couvert de « pseudo-retour aux fondamentaux ».
Plus que jamais, si on doit résister à toutes les tendances négatives qui se développent dans l’école française, toujours si bien ancrée dans l’élitisme et le conservatisme, on doit aussi proposer, y compris en partant de l’existant, loin de discours idéologiques bétonnés ou de diatribes laissant peu de place à l’espoir.

Jean-Michel Zakhartchouk, enseignant de collège et auteur de
Pour un accompagnement éducatif efficace, Crap et CRDP de Besançon.