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Chefs d’établissement. Le burn-out n’est pas une fatalité !

Jean-Yves Robin, Le Bord de l’eau, coll. Critiques éducatives, 2022

Ce livre rend compte d’une recherche collaborative de grande ampleur à propos de la fonction du chef d’établissement aux prises avec la souffrance au travail, colorée par le phénomène du burnout, dans le contexte de l’enseignement catholique. Le dispositif de recherche-action, généreux et bien décrit dans l’ouvrage, consistait en la réunion régulière (six rencontres par an durant trois ans) de cinq groupes d’analyse des pratiques et de l’activité (GAPA), composés chacun de six chefs d’établissement et de deux enseignants-chercheurs.

La première partie du livre (« La recherche comme processus ») rend compte du processus de la recherche-action mise en place, des prémices et des conditions de son fonctionnement, des postures adoptées par les uns et les autres, du cadre éthique et de confiance – de tous les éléments en somme qui rendent possible un espace de parole protégé.

Un travail fortement exposé

Les ancrages théoriques de cette recherche-action se situent dans une approche interdisciplinaire, croisant des apports psychologiques avec la sociologie, la psychosociologie ou la psychanalyse du travail (Mireille Cifali, Yves Clot, Christophe Dejours…) et des recherches en sciences de l’éducation (Anne Barrère, Richard Etienne, etc.). L’enjeu primordial est de comprendre davantage le travail réel, soit l’activité réalisée.

Par ce fécond dialogue interdisciplinaire, il s’agit de mieux saisir les enjeux du travail complexe, varié et fortement exposé du chef d’établissement, avec la volonté de surmonter le risque d’une psychologisation de la souffrance au travail. Le regard analytique et clinique choisi est apposé à ce travail en se déplaçant dans une vision plus large du travailleur aux prises avec les institutions, les organisations et leurs contraintes.

Dans la deuxième partie de l’ouvrage (« La recherche comme produit »), l’auteur montre, à partir de nombreuses situations cliniques, comment ce travail, disposant de marges de manœuvre à géométrie variable, peut se vivre comme extrêmement solitaire. Le chef d’établissement est en effet exposé à de nombreux interlocuteurs, au croisement des demandes et des exigences, et mène un travail de fond largement invisible et néanmoins nécessaire pour s’assurer que les choses adviennent ou ne présentent pas de risques de conflits inutiles. Du point de vue des nombreuses relations, le travail est très prenant. Afin qu’il reste vivant et rende les nombreuses interactions possibles et fluides, le chef d’établissement doit trouver sa juste place – selon « un troc relationnel » (p. 101) ni trop rigide ni trop sensible, ni trop présent ni trop absent. En fonction de leur étape de carrière et des contextes institutionnels, les chefs d’établissement peuvent adopter différentes postures managériales, qui ont été mises en évidence : un management de l’espérance visé par des visées universalistes, un management convivialiste « baladeur » basé sur la proximité et la bienveillance, un management désincarné dans une optimisation des moyens et une exigence d’efficacité illustrée par les chiffres, et un management conquérant dans une logique d’excellence et de comparaison marchande (p. 138).

Un engagement sans faille

La troisième partie (« La recherche à l’épreuve de l’interdisciplinarité ») est rédigée par différents auteurs, afin de mieux déplier le travail du chef d’établissement et plonger au cœur du métier et de ses tensions..

Hélène Desfontaines, sociologue, s’intéresse au processus de recrutement des chefs d’établissement, plus particulièrement dans ce réseau, qui se présente comme un acte de repérage et de désignation de ses membres au sein du vivier des enseignants. Pour devenir chef d’établissement, il s’agit donc « d’être appelé ». Ce processus de désignation peut en partie expliquer l’engagement sans faille et total de la personne appelée, cette dernière tentant de faire la démonstration inlassablement (au risque du burnout, et de sa santé donc !) qu’elle mérite bien cet appel.

Laurence Cocandeau-Bellanger analyse les manières de faire pour « concilier vie de travail et vie hors travail au regard du sens de l’activité » et dégage trois modes de conciliation à partir de trois portraits de chefs d’établissement : la conciliation coopérative (un équilibre entre vie de travail et vie privée), la conciliation intermédiaire (le travail est surinvesti au détriment de la vie privée, qui est mise de côté) et la conciliation conflictuelle (le travail entre totalement en conflit avec la vie privée, au risque de perdre tout son sens).

Isabelle Grangereau et Paola Duperray, à l’appui des concepts de sublimation et d’idéalisation (Freud, Lacan, Winnicott, Dejours…), montrent comment le sujet interprète et investit son travail (hyperactivité, pathologie de l’excès) et quels sont les mécanismes organisationnels qui le rendent possible.

À la lecture de cet ouvrage, l’auteur nous rappelle avec force la nécessité des analyses plurielles et interdisciplinaires – et cela en dépit de la séparation des champs ou des frontières disciplinaires en sciences humaines et sociales et en sciences de l’éducation – pour mieux comprendre les enjeux de nos métiers de l’éducation et retrouver notre pouvoir d’agir. En toute dernière page de l’ouvrage, je retiens un beau témoignage d’une directrice en congé maladie, qui a validé par « résonance existentielle » toutes les analyses qui ont fondé cet écrit. Un ouvrage à lire absolument.

Andreea Capitanescu Benetti