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Changer le monde par l’éducation

Michel Debon de Beauregard, enseignant retraité, ancien militant syndical et toujours impliqué dans les actions de Solidarité laïque, témoigne sur son engagement constant pour l’éducation partout dans le monde, une éducation au sens large, ouverte et émancipatrice, universelle et solidaire.

Son parcours professionnel a commencé à l’automne 62 dans l’Est algérien, après l’indépendance, au collège de la ville de Souk-Ahras où il a enseigné huit ans le français et l’histoire-géographie. Encore mineur, il est arrivé là-bas dans le cadre du plan de coopération. Lorsqu’il rentre en France, il enseigne encore un an puis intègre le centre de formation des enseignants de Strasbourg. Il en sourit : « Au bout de neuf ans, l’État m’a enfin formé. » Ensuite, ce seront trois années d’enseignement en Alsace puis un départ en région parisienne, où il est à la fois professeur dans un établissement de banlieue et secrétaire national du SGEN-CFDT pour le second degré avant d’accéder à la commission exécutive. Il préfère être détaché à temps partiel pour le syndicat. « Pendant six ans, j’ai eu une décharge à plein temps mais les élèves me manquaient. L’éducation, c’est aussi se retrouver avec les jeunes, les aider à se former, être un passeur de savoirs. »

Dans ses activités syndicales comme dans sa pratique pédagogique, il se passionne pour le thème de l’égalité fille-garçon, y fait particulièrement attention dans ses cours. « Nicole Mosconi m’a beaucoup appris. Il faut avoir conscience en tant que professeur que c’est important d’écouter les élèves filles ou garçons de la même façon. Si on n’a pas cette attitude dans le système éducatif, on ne fera pas avancer cette problématique. Le combat des droits de tous et de toutes commence par là. »

Changer le monde

Lorsqu’il prend sa retraite de l’Éducation nationale, il poursuit son mandat syndical en cours et, ensuite, devient le représentant du SGEN auprès de Solidarité laïque. Il s’implique dans le collectif qui regroupe quarante-huit organisations liées à l’école publique, à l’éducation populaire, à la mutualité et à l’économie sociale et solidaire, et œuvre contre les exclusions et pour améliorer l’accès de toutes et de tous à une éducation de qualité. « J’ai démarré une nouvelle carrière à la retraite. Ce qui m’intéresse, c’est changer le monde par l’éducation au sens large, formelle et informelle. D’où mon investissement. » L’association intervient dans de nombreux pays, en particulier en Afrique. Il se déplace pour aider à structurer le réseau des acteurs partenaires en Afrique de l’Ouest ou encore contribuer à la distribution des fournitures scolaires collectées grâce à l’opération « Rentrée solidaire ».

A l’école Mamadou Konaté au Mali. © Solidarité laïque

L’action, créée il y a plus de vingt ans, mobilise des écoles et des centres de loisirs en France chaque automne. Certes, l’objectif est de récolter des fournitures mais l’opération est également un support d’activités pédagogiques dans différentes disciplines. Chaque année, un pays destinataire est choisi, son nom cité dans le libellé de l’action. Pour la rentrée 2021, c’était le Liban.

Les élèves découvrent le pays, sa géographie, sa culture, ses réalités économiques et sociales, ses richesses mais aussi ses difficultés, qui motivent l’opération solidaire. Des documents sont disponibles pour les équipes pédagogiques avec des ressources de différents types à utiliser et à adapter en fonction de l’âge et du niveau des élèves. « C’est l’occasion d’apprendre la solidarité, de voir des notions sur la paix, sur les différences entre les régions et pays du monde, sur le développement en prenant en compte l’écologie. »

Éducation à la solidarité

Loin d’un acte d’aumône, l’action mise sur l’éducation pour que la solidarité soit consciente, ouvre vers une réflexion outillée sur le monde et les inégalités. « La valeur est plus grande si on apprend à l’élève, au jeune à se saisir des outils à disposition pour qu’il puisse apprendre par lui-même. » Le matériel collecté est distribué auprès des enfants du pays concerné scolarisés dans des écoles publiques choisies avec le ministère et les partenaires locaux de Solidarité laïque.

Lorsqu’il se déplace dans les pays où se déroulent les actions, Michel constate l’état des écoles, en Afrique subsaharienne notamment : certaines sans murs, sans tableau, avec des classes qui se font dehors et un nombre réduit de fournitures ; d’autres avec une structure en dur où les élèves sont entassés à plus d’une centaine pour un seul enseignant. Les effectifs pléthoriques freinent tout élan pédagogique. « C’est avant tout de la répétition sans réel implication de l’élève dans les apprentissages. On n’apprend pas à apprendre, on apprend à répéter. Et pourtant que d’énergie déployée par les enseignants ! »

Le manque d’hygiène est souvent présent et les toilettes si elles existent sont rarement prévues pour les filles, ou sans porte. « Un des objectifs de Solidarité laïque est de faire en sorte que les écoles aient un minimum de confort : des bâtiments adaptés, l’eau, l’électricité, des latrines. »

Agir pour les jeunes adultes aussi

Un Labis à Yopougon en Côte d’Ivoire © Solidarité laïque Afrique de l’Ouest

L’urgence est aussi d’agir après, pour les jeunes adultes, afin de leur donner la possibilité de se former, de trouver leur voie, de créer une microentreprise ou de trouver un emploi. Le programme « Compétences pour demain » se déroule dans des Labis (Laboratoires d’innovations sociales). Les publics visés sont des jeunes de 18 à 35 ans sans activité, vivant dans les zones périphériques de grandes villes africaines, des régions où l’explosion démographique est manifeste. « Dans peu de temps, l’Afrique sera le continent le plus peuplé. Si la misère continue à se développer, ce sera une catastrophe. On agit pour la construction du monde de demain. » La priorité est donnée aux femmes dans des pays où elles sont les premières victimes des difficultés sociales et économiques. « L’objectif est de développer les compétences, l’employabilité de ces jeunes en les aidant à s’organiser pour mettre en valeur leurs capacités, développer leur citoyenneté, entreprendre là où ils sont. On attend qu’ils identifient des centres de compétences et puissent prendre eux-mêmes des initiatives. »

Les actions tournées vers l’accès à l’emploi se multiplient pour réduire les inégalités, soutenir le développement local. Et là encore, l’éducation est la clé. En Tunisie, dans le gouvernorat de Bizerte, une association de jeunes diplômés chômeurs a travaillé pour identifier les employeurs, les besoins de la population et du territoire et voir comment créer des emplois. Ce type d’initiative, soutenue par Solidarité laïque, s’appuie sur un réseau d’acteurs locaux, « engagés dans la reconnaissance des droits sous toutes leurs formes », comme en Tunisie le syndicat UGTT, prix Nobel de la Paix en 2013.

Au Sri Lanka et au Burkina Faso

Mais cela nécessite aussi un relai auprès des pouvoirs publics et un financement par un bailleur de fonds, souvent l’AFD (Association française de développement). Michel Debon de Beauregard raconte le projet qu’il a dirigé au Sri Lanka suite au tsunami de 2004, pour la reconstruction des écoles puis sur la petite enfance, et qui a été stoppé net par l’arrêt du financement. « Jusque-là la petite enfance était considérée comme le problème des familles. Le travail sur le terrain a conduit le pays à créer un secrétariat d’état à la petite enfance. »

Dans une école maternelle au Sri Lanka. Photo de Michel Debon.

Entre-temps, des formations ont été organisées pour structurer les enseignantes en maternelle, des travaux ont été menés avec un gouvernement régional puis le niveau national nous a invité à dupliquer la formation à d’autres provinces du pays. « Cela montre qu’agir sur le terrain peut faire bouger la politique d’un État vis-à-vis de la petite enfance. » Mais tant de choses restaient à faire pour que les enfants s’exonèrent de l’appartenance à une communauté, à une religion en développant des écoles vraiment publiques et laïques…

À bientôt 80 ans, il s’interroge. « Est-ce raisonnable de continuer ? » La passion l’emporte sur la raison, et toujours on le sollicite. Comment dire non, alors que l’éducation est encore et toujours en souffrance ? Et puis, « on a toujours quelque chose à transmettre et à apprendre ».

Il se souvient d’un atelier organisé pour le lancement de « Compétences pour demain » à Ouagadougou. Il devait présenter avec un jeune Burkinabé un thème de leur choix qui fut « En Afrique de l’Ouest, un vieux a toujours raison, le jeune toujours tort. Et si on cassait le dogme ? Si l’un et l’autre avait parfois raison et parfois tort ? ». Et cette anecdote traduit toute l’envie et l’énergie d’œuvrer pour une éducation universelle qui ouvre les consciences et s’affranchit des différences.

Monique Royer

Le site de Solidarité laïque https://www.solidarite-laique.org/


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