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Carl Rogers et l’action éducative

En quoi les idées de Carl Rogers ont-elles une valeur universelle pour réaliser « un objectif d’assimilation culturelle, si tant est que tel serait et demeurerait celui de l’école » ? Qu’est-ce qui en est transférable en classe et dans les autres « institutions internes » de l’Éducation nationale (inspection, travail d’équipe…) ? Traiter ces questions, telle est l’ambition de ce livre collectif. Carl Rogers, d’origine paysanne, prônait une démarche expérimentale, se méfiait des grands systèmes d’idées : il refusait l’adjectif « rogérien ». Ses mots clés sont « relation d’aide », « empathie », « acceptation inconditionnelle d’autrui » (qui n’est pas approbation), « congruence » (être authentique, accepter tous ses sentiments, même les négatifs). Cela définit un idéal humain lié au personnalisme (E. Mounier). Rogers avait abandonné le concept de non-directivité en 1951, qui pourtant reste sa « marque de fabrique ». La confiance est l’ingrédient premier de la relation ; le savoir change l’individu, n’est pas qu’augmentation des choses mises en mémoire, « l’apprentissage doit englober les idées et les sentiments ». Cette pensée est déclinée dans les différents chapitres.
L’élève est au centre des apprentissages (chapitre III). L’enseignant est un « facilitateur ». Il ne suffit pas de maîtriser les savoirs et la didactique, l’enseignant est une personne et ce qu’il est compte plus que ce qu’il fait. « L’institution scolaire est malade, l’expérience scolaire est de plus en plus souvent placée sous le signe de l’échec intériorisé, alors que le sentiment d’estime est le préalable à toute activité pédagogique. » Face à des élèves qui manquent de surmoi, l’attitude « rogérienne » consiste à présenter des exigences incontournables, en tenant compte du degré de maturité et de réceptivité des enfants. Une figure de père démocratique, qui accepte le féminin en lui, c’est-à-dire ses sentiments, recueille leur adhésion (p.108). « L’attitude rogérienne peut contribuer à la résolution de la crise que connaissent les modèles traditionnels d’autorité. » (p. 114) Les élèves ont aussi leur mot à dire au sujet de ce qu’ils doivent apprendre et comment ils veulent l’apprendre. Ils ont le droit de ne pas savoir ce qu’ils veulent apprendre (p 125). L’attitude « rogérienne » doit être aussi celles des enseignants entre eux. Louis Basco fait appel à l’analyse transactionnelle : les enseignants sont marqués par un métier où « la survalorisation de l’idéal et la charge fantasmatique des autres prédominent » (p. 136). D’où une difficulté intrinsèque à garder une bonne image du soi, du soi collectif et du soi professionnel. Des périodes de doute sont inévitables. Il faudrait instituer des structures d’aide à la construction de la « personne enseignante ». De la même façon, Jean-Pol Rocquet nous dit comment l’inspection peut devenir « rogérienne », malgré son caractère fortement dissymétrique. La crise générale des institutions place l’individu en position principale ; il doit bâtir lui-même son identité professionnelle que l’institution n’est plus là pour lui apporter. Les expériences sont la matière de cette construction. L’inspecteur peut accompagner et faciliter l’analyse de la présence en classe de l’enseignant comme ce dernier le fait avec ses élèves…
Et la médiation, serait-elle rogérienne ? Annie Cardinet le propose, dans la mesure où la médiation prend en compte la personne dans sa globalité, pour être le chemin d’un changement dynamique, interne et personnel, posé sur postulat d’éducabilité. L’unité de ces onze contributions, nous dit Jean-Daniel Rohart — la solution rogérienne — consiste à inclure les affects à l’école, il s’agit de susciter un désir. « En démocratie, on admet des contre-pouvoirs, à l’école on le vit comme une crise » (p. 208). La pensée de Carl Rogers, modérée et équilibrée, a été emportée dans la « tourmente de 1968 ». Elle est toujours d’actualité et propose bien des pistes de recherches car « l’acheminement vers la liberté passe par le consentement des personnes, des élèves et du maître ».

Aurélien Péréol