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Benoît Gallot : « C’est une visite dépaysante, pas du tout morbide »

©Philippe Quaisse

Le nom de son compte Instagram, La vie au cimetière, est apparemment un paradoxe. Apparemment seulement, car il y a bel et bien de la vie au cimetière du Père-Lachaise, celle de Benoît Gallot, son conservateur, et celle de la faune et de la flore qu’il photographie.
Quel souvenir gardez-vous de l’école ?

J’ai de bons souvenirs de l’école. J’étais bon élève, même si je n’ai jamais su ce que je voulais faire de ma vie. Dans ma famille, personne n’était allé au-delà du bac. L’école m’a permis d’aller au-delà du niveau d’éducation de mes parents. Ensuite, j’ai fait du droit, parce que c’était très généraliste, que je n’aimais pas les maths mais que je n’étais pas non plus un littéraire.

J’ai aussi noué des amitiés très fortes à l’école. Et puis il y a le souvenir de profs qui m’ont fait grandir. Un prof peut changer la vie de quelqu’un. j’ai eu des profs de français qui m’ont ouvert à la lecture. Sans eux, je ne sais pas si mon parcours aurait été le même. Mais il y a aussi des rapports très durs entre enfants, parfois violents, dès le plus jeune âge. Je suis attentif à ça pour mes propres enfants, pour qu’ils ne soient pas harcelés ni harceleurs.

Comment devient-on conservateur de cimetière ?

J’ai grandi dans ce milieu-là, mes parents étaient marbriers funéraires depuis trois générations. Le magasin de marbrerie, où ma mère vendait les fleurs, les couronnes, les crucifix, était dans le même bâtiment que notre logement, et une moitié du jardin était un show room de tombes, pour présenter les différents granits, les différentes formes, un peu comme quand on va acheter une voiture chez un concessionnaire. C’est là que je jouais avec mes copains.

L’univers funéraire était donc très présent dans mon quotidien. J’entendais tous les jours la question de mon père à ma mère, « est-ce que quelqu’un est mort aujourd’hui ? », pour savoir comment sa journée du lendemain s’organiserait. Adolescent, je travaillais avec mon père pendant les vacances. Ça ne m’a pas traumatisé, ça n’a pas posé problème dans ma vie avec mes amis. Je ne me suis pas rendu compte que c’était particulier de vivre dans ce logement imbriqué avec la marbrerie.

Mais je n’ai pas voulu reprendre l’entreprise familiale, après mes études de droit, j’ai été deux ans juriste en entreprise sur le droit d’auteurs, dans l’audiovisuel. Je ne trouvais pas le travail très épanouissant, alors j’ai passé un concours de la Ville de Paris en me disant que je trouverais peut-être plus d’intérêt à travailler pour une collectivité.

Après le concours, j’ai été reçu pour choisir un poste, mon interlocuteur prenait des pincettes, me parlait d’un poste très intéressant, mais avait du mal à me dire de quoi il s’agissait. C’était celui d’adjoint au chef du bureau des concessions, le service juridique pour tous les cimetières parisiens. Le poste était vacant depuis six mois, j’étais le seul à être intéressé. C’était complètement dingue d’être rattrapé comme ça par cet univers que j’avais pensé quitter ! Je ne crois pas au destin, mais je me pose des questions, quand même.

Je suis donc revenu dans le funéraire en 2006 et j’y suis toujours. Je suis conservateur du Père-Lachaise depuis cinq ans. On ne choisit jamais de faire ces métiers, ce n’est pas un rêve de gosse et ça fait plutôt peur. On y entre par hasard, mais on y reste par passion. C’est le cas de beaucoup de mes collègues. On touche au patrimoine, à la biodiversité, on accompagne des endeuillés… C’est très riche.

Et vous avez publié un livre (La Vie secrète d’un cimetière, aux éditions des Arènes) avec les photos des animaux que vous surprenez dans le cimetière…

Les animaux, c’est un biais pour parler de mon métier. Parfois on oublie que le Père-Lachaise, c’est avant tout un cimetière, avec une très forte activité funéraire, pas un musée à ciel ouvert, n’en déplaise à certains touristes qui s’attendent à y trouver un café ou une bagagerie !

Et puis, j’adore la photo animalière, c’est passionnant, on ne sait jamais ce qu’on va voir.

Avec toute cette biodiversité, est-ce que les cimetières en ville ne sont pas un bon lieu pour la classe dehors ?

Oui ! Quand je suis arrivé ici, ma fille était en maternelle. Sa maitresse m’a interrogé, parce qu’elle ne croyait pas ma fille qui lui disait qu’elle habitait dans le cimetière. Après explications, elle a ri et nous avons fini par organiser une visite. Elle avait un peu peur de la réaction des autres parents, il y a eu quelques questions sur la religion, mais sans plus. Par la suite, je l’ai refait avec une autre classe de ma fille, cette fois-ci pour observer les oiseaux avec la LPO (Ligue pour la protection des oiseaux), qui a fait l’objet ensuite d’un travail en arts plastiques.

Alors, oui, le cimetière est un moyen d’observer la nature à deux pas de l’école, de voir plein d’oiseaux qu’on ne voit pas habituellement dans Paris. Il y a beaucoup de classes qui viennent, plus souvent des classes de lycée, pour voir les tombes des grands noms qu’ils étudient. J’essaye de faire venir des plus petits pour des animations pédagogiques sur la biodiversité. Pour étudier la flore et la faune sauvages. Bien sûr, ce n’est pas forcément évident pour les enseignants de venir, d’y penser, mais j’y suis tout à fait favorable.

Les enfants vont ramasser des marrons, voir un chat ; ils aiment bien calculer l’âge d’un défunt. On peut aussi leur parler d’histoire à travers les guerres, de littérature. C’est une visite dépaysante, pas du tout morbide.

C’est aussi une occasion de parler de la mort…

Bien sûr. Même si la mort est plutôt abstraite pour eux, les enfants posent plein de questions : est-ce qu’il y a vraiment des morts sous les dalles ? Est-ce qu’on est brulé dans le crématorium ? Je me souviens de cette phrase de ma fille : « Quand on est mort, est-ce que c’est pour la vie ? » Il faut répondre. Ils sont de fait confrontés tôt ou tard à la mort, parfois très jeunes, notamment à travers les dessins animés qu’ils regardent. Si on ne leur répond pas, ils risquent de développer des peurs.

La mort fait partie de la vie, elle permet de prendre conscience que la vie est précieuse, qu’il faut en profiter. Je crois que plus on a conscience qu’on est mortel, plus on va avoir envie de faire quelque chose de bien de sa vie. C’est un carburant pour vivre à fond. Je ne suis pas pédopsychiatre, mais mon ressenti c’est que mes enfants, qui n’ont jamais vécu ailleurs que dans un cimetière, et moi-même, qui y ai grandi aussi, nous ne sommes pas traumatisés par ce voisinage.

C’est vrai que c’est pas facile de trouver les mots, et puis il y a la question des religions, mais on peut expliquer ce que c’est de croire ou de ne pas croire.

Je le vois avec les familles que je reçois, la mort est un vrai tabou, même quand le décès était attendu, certains me disent, à propos des dernières volontés, « on n’a pas pu en parler ». Peut-être que si on en parle aux enfants, ce sera plus facile.

Il n’y a pas de sujet plus universel, mais ce n’est pas simple. Il faut se dire qu’en parler ne fait pas mourir.

Propos recueillis par Cécile Blanchard

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