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Au pays de l’excellence

Le système scolaire français est fondé sur deux principes essentiels : amener tous les élèves à un niveau suffisant d’acquisitions et permettre de dégager une élite. Ces deux objectifs ne sont pas clairement articulés et demeurent dans un flou sémantique qui permet toutes les interprétations, y compris opposées. Dans ce flou navigue la notion d’excellence. Sa définition et son domaine d’application semblent élastiques tant les discours et les pratiques les plus divers y font appel.

L’excellence est d’abord une notion difficile à cerner. Est-ce la supériorité par rapport aux autres ? Dans ce cas l’élitisme est-il une condition pour l’obtenir ? Définir, c’est aussi dire ce que ce n’est pas. L’excellence s’oppose-t-elle à la moyenne ? à la médiocrité ? à la nullité ? Mais l’excellence peut aussi être relative à soi-même, dans le sens d’une exigence, interne ou externe, de surpassement de soi. Cette quête est-elle toujours souhaitable et saine pour l’individu ?

L’excellence est-elle un dispositif ? Internats d’excellence, cordées de la réussite, sections internationales, sections sportives, classes à horaires aménagés, etc. : l’excellence peut-elle se mitonner comme une recette de cuisine dans un dispositif dédié ? « L’excellence pour tous », promesse de certains établissements, a-t-elle un sens ?

On peut se demander si l’excellence est celle des élèves, des enseignants ou des établissements. Un excellent élève, est-ce le cliché du copain du petit Nicolas, un Agnan à lunettes qui a 19 de moyenne dans toutes les disciplines sauf l’EPS ? Et s’il est excellent jongleur mais mauvais élève, que connait de lui l’institution ? L’excellent professeur des uns ­est-il celui des autres ? Qu’est-ce qu’un excellent établissement, ce Graal si couru mais en même temps si critiqué ? Les classements des établissements scolaires, très critiquables dans leur élaboration, mais sur lesquels se ruent chaque année médias et familles, alimentent une angoisse de performance dans un système scolaire tourné vers la sélection et l’orientation par l’échec.

Ce dossier tente de faire le tour des questions que soulève cette notion et qui en font un sujet éminemment politique. L’excellence apparait dans le système scolaire français, celui « du 14/20 », ainsi que l’appelle malicieusement Peter Gumbel, comme un idéal à atteindre pour tous les élèves. C’est cet idéal qui guide encore massivement les pratiques d’évaluation ou la formulation pointilleuse des programmes. Pourtant, ce n’est pas l’objectif officiel, qui est celui de faire progresser tous les élèves pour les amener à la maitrise du socle commun. Ces deux objectifs sont associés dans les discours, mais les pratiques parviennent-elles à les concilier ? Si la recherche de l’excellence réside dans le fait de faire activement émerger une élite, alors peut-elle être un objectif d’un système démocratique ?

Ce dossier accueille des contributions très variées, qui reflètent la diversité des champs d’application de la notion d’excellence et les critiques qu’on peut lui adresser. Une première partie s’interroge sur sa définition, ses vrais ou faux synonymes, ses antonymes, pour dégager une acception qui soit compatible avec nos idéaux éducatifs démocratiques. Dans la deuxième partie, on s’interroge sur différents dispositifs visant à l’excellence. La troisième partie porte un regard critique sur la notion d’excellence et pose la question de sa pertinence dans le monde éducatif.

Ce dossier est-il lui-même, en définitive, excellent ? Nous vous en laissons juge.

Peggy Colcanap
Principale adjointe de collège à Paris
Alexandra Rayzal
Professeure d’histoire-géographie en collège à Paris