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Allemagne : un système en évolution

Le système de formation professionnelle allemand est souvent présenté comme un modèle. Visite d’un modèle populaire mais en déclin.

Apprendre sur le lieu de travail est une composante traditionnelle du système allemand d’enseignement. Le système dual (incluant 70 % d’apprentissage en entreprise et 30 % d’apprentissage dans un établissement scolaire) est l’un des piliers de l’enseignement professionnel.

Trois filières de formation professionnelle coexistent dans l’enseignement secondaire supérieur. Le premier, le système dual (Berufsausbildung) combine formation en entreprise et éducation en milieu scolaire (dans des Berufsschulen). Le deuxième, le système scolaire professionnel (Schulberufssystem) inclut des programmes de formation professionnelle en milieu scolaire (dans des Berufsfachschulen) pleinement qualifiants, principalement pour des métiers de niveau intermédiaire dans des secteurs à prédominance féminine tels que la santé, le travail social et les médias, comprenant des infirmières, des éducateurs de la petite enfance, des assistants médicaux.

Ces deux premiers secteurs forment à des métiers différents, sans superposition entre les formations. Les programmes sont spécifiques à chaque métier tout comme les certificats de formation délivrés à la fin de la formation et reconnus au niveau national. Ces deux systèmes d’enseignement diffèrent plutôt par leurs formes de gouvernance. Si le système dual est régi par une loi fédérale et des ordonnances édictées par un comité mixte de l’Institut fédéral de formation professionnelle (BIBB pour Bundesinstitut für Berufsbildung), le système scolaire professionnel est organisé par chacun des seize États allemands.

Le troisième secteur, celui des mesures de formation préprofessionnelle, appelé aussi système de transition (Übergangssystem), est d’une durée plus courte, entre un et deux ans. La plupart des programmes se déroulent en milieu scolaire et ont connu un fort développement pendant les trois dernières décennies. Ils permettent aux jeunes qui ne peuvent accéder ni à une formation en entreprise, ni à une formation scolaire, de suivre des apprentissages qui ne débouchent toutefois pas sur un titre de formation reconnu. Cette filière accueille en général les jeunes les moins performants, mais leur permet de rester en formation et participe indirectement à une réduction des chiffres officiels du chômage.

Préférence pour l’alternance

La plupart des élèves de l’enseignement professionnel sont inscrits dans le système dual1. Ainsi, la moitié des diplômés du second degré optent chaque année pour ce système de formation qui fonctionne plutôt comme une formation initiale, avant d’entrer sur le marché du travail.

Les apprentis passent de trois à quatre jours par semaine en entreprise pour l’apprentissage pratique, et un à deux jours à l’école pour les éléments plus théoriques. Un contrat est établi entre l’entreprise et le stagiaire, il précise les contenus de cette formation, la profession visée, le lieu, la rémunération, les droits et les obligations de l’entreprise et de l’apprenti. Il y a une règlementation nationale pour les métiers du système dual.

À la fin de la période d’apprentissage, les jeunes passent une certification au sein de l’une des quatre-vingt chambres de commerce et d’industrie. Il faut garder à l’esprit que l’État a une intervention minimale dans le secteur, la branche scolaire du système dual étant « maintenue dans une position subalterne2 ». Ce sont les entreprises qui décident du recrutement et de la formation des apprentis, et elles sont fort différentes.

Si les grandes entreprises assurent une formation en interne, les petites entreprises peuvent s’associer à des centres de formation professionnelle interentreprises (ÜBS, pour überbetriebliche Berufsbildungsstätten), ou à des structures de formation jointe (Ausbildungsverbünde) où chaque entreprise partenaire couvre certaines parties de la formation.

Consensus

Selon l’Institut fédéral de formation professionnelle, plusieurs éléments assurent le succès du fonctionnement du système en alternance : son existence dans la société allemande depuis plus de cinquante ans (si on prend en compte la réforme fédérale de 1969 qui réduit le monopole du patronat sur l’apprentissage), le consensus entre partenaires, l’évaluation et la production de données sur le fonctionnement, la mise en place de projets pilotes pour tester et introduire des innovations, la qualification des enseignants et celle des maitres d’apprentissage.

Le financement se distribue entre les entreprises, le secteur public et les apprentis eux-mêmes (qui reçoivent un paiement plus réduit que s’ils ou elles étaient des employés des entreprises). Il est estimé que les entreprises privées supportent les deux tiers des couts totaux consacrés chaque année à la formation professionnelle (initiale) en Allemagne – des couts qui s’élèvent en moyenne à 15 300 euros par apprenti et par an3.

Un succès démenti ?

Plusieurs voix s’accordent pour dire que le système dual connait un certain déclin d’attractivité parmi les jeunes, si on compare les chiffres avec les périodes précédentes. Si, en 2007, il y avait 569 460 nouveaux élèves inscrits dans le système dual, 214 829 dans le système scolaire professionnel et 386 864 dans le système de transition, les chiffes diminuent dans les trois filières dix ans après. On enregistre ainsi 492 276 dans le système dual 222 582 dans le système scolaire professionnel et 255 282 dans le système préprofessionnel4.

Les défis sont notamment la désaffection croissante des entreprises, les effets de la discrimination sociale, la baisse démographique (avec tendance inversée à partir de 2013 en raison de la présence des migrants, en 2015, la migration nette étant de + 1,1 million de personnes), l’attractivité des études universitaires.

C’est pourquoi un certain nombre de stratégies sont discutées sur le plan officiel, notamment l’amélioration de l’accompagnement et du conseil, l’adéquation entre ce que les jeunes souhaitent avoir comme apprentissage et les problèmes de recrutement des entreprises, l’augmentation de la volonté des entreprises à fournir des formations, le travail autour du numérique comme opportunité, l’encouragement de l’internationalisation et l’intégration des jeunes migrants et réfugiés.

UNE OUVERTURE AUX MIGRANTS

Une nouvelle loi relative à l’immigration des travailleurs qualifiés (Fachkräfteeinwanderungsgesetz) est ainsi entrée en vigueur en novembre 2023. Le recrutement se fait pour des métiers en pénurie de main d’œuvre, parmi lesquels les enseignants, les éducatrices et les éducateurs dans le domaine scolaire et extrascolaire. Pour les spécialistes en informatique, le diplôme professionnel ou de l’enseignement supérieur n’est plus nécessaire, tandis que les connaissances linguistiques ne doivent plus être prouvées.

À cela s’ajoutent des programmes et des moyens mis en place pour l’accueil en entreprise et dans la formation des jeunes réfugiés et migrants. Plusieurs ressources en ligne développées par les chambres de commerce et d’industrie conseillent les jeunes selon les régions. On sait que 39 % des jeunes ayant postulé pour une formation en 2021 étaient issus de l’immigration. Ces jeunes, surtout ceux d’origine turque ou arabe, sont néanmoins ceux qui ont le moins de chance d’obtenir une place dans le système dual d’alternance.

La diversité et l’hétérogénéité des écoles professionnelles est une réalité, mais les ressources et les compétences des personnels enseignants ne permettent pas toujours les réponses les plus adéquates.

Des signes de rebond

Le système dual allemand est caractérisé par sa longévité. Trouvant ses origines dans les guildes des métiers du Moyen Âge, il apparait dans sa forme moderne dans l’Empire allemand à la fin du XIXe siècle. Son histoire connait des moments clés, notamment la fin du monopole des examens de métier qui les confie aux chambres de commerce et d’industrie en 1938, la loi sur l’organisation de l’artisanat en 1953 et l’adoption du BBIG en 1969 sur la dualité du système.

Si le système a souvent connu des défis, il a semblé pouvoir se réinventer. Cette question de la réinvention se pose encore une fois avec l’apparition de nouveaux métiers ou la transition vers une « société du savoir ». Ainsi, la revue spécialisée du BIBB, Formation professionnelle en sciences et pratiques (BWP) propose de discuter les opportunités et les dangers de l’intelligence artificielle pour l’apprentissage professionnel5.

En outre, une majorité des dix-sept projets, sélectionnés parmi 176 propositions, et financés entre 2020 et 2024 par le ministère fédéral de l’enseignement (BMBF) à travers le programme InnoVET (financement total de soixante-quatorze millions d’euros) abordent des questions d’enseignement hybride, de création de plateformes d’apprentissage, d’intégration de la réalité virtuelle, de personnalisation des apprentissages avec l’aide des outils numériques et d’accompagnement du changement numérique notamment au travers de cours de formation continue.

Il reste à voir jusqu’à quel point les possibilités des nouveaux médias et du numérique seront rendues visibles et exploitées dans un quotidien de formation déjà chargé.

Cristina Popescu
Enseignante-chercheuse en sciences de l’éducation à l’université de Bielefeld, Allemagne

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Notes
  1. 1 215 500 personnes étaient en formation fin 2023 selon selon l’Office fédéral allemand des statistiques.
  2. Olivier Giraud, « Postface », Formation emploi 146, avril-juin 2019. https://doi.org/10.4000/formationemploi.7289.
  3. The German Mission in the United States, The German Vocational Training System: An Overview, 2024.
  4. Source : BIBB Datenreport 2020, cité par Bundeszentrale für politische Bildung).
  5. https://www.bwp-zeitschrift.de/dienst/publikationen/de/19389.