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Ajustements en maths : qu’en attendre ?

Alors que le projet pour le cycle 4 comporte des modifications importantes dans la forme et dans les précisions sur les contenus enseignés, ceux pour les cycles 2 et 3 se situent dans la continuité des textes publiés en 2015 : pas de changement pour les compétences travaillées (chercher, modéliser, représenter, raisonner, calculer, communiquer) et peu de modifications concernant les connaissances et compétences attendues à la fin de chacun de ces cycles.

Les «repères de progressivité» disparaissent des programmes et seront remplacés par des repères annuels, ceux pour le CP étant déjà connus. La colonne «exemples de situations, d’activités et de ressources pour l’élève» disparait, les compétences qui y figuraient étant insérées dans le nouveau texte, ce qui clarifie plutôt la situation. Enfin, les introductions réparent un oubli des précédents textes concernant le travail sur les grandeurs et leurs mesures.

Les orientations générales sont maintenues, en particulier le rôle central de la résolution de problèmes comme source, moteur et critère des apprentissages. Une lecture attentive fait cependant apparaitre quelques inflexions qui font suite à des recommandations du rapport Villani-Torossian.

Quatre inflexions qui auraient pu être complétées par deux autres

La première de ces inflexions concerne le rôle des «manipulations» (le terme revient à plusieurs reprises). La formulation retenue permet à des approches pédagogiques diverses de se retrouver dans cette recommandation. Il est cependant dommage que l’idée «d’expérimentation» qu’on trouve dans le rapport Villani-Torossian n’ait pas été suffisamment reprise dans ce projet de textes, ce qui aurait permis de préciser le terme assez vague de « manipulation ».

La deuxième inflexion est relative à l’institutionnalisation des connaissances et à la nécessité de traces écrites. La diversité de formes et de fonctions que peuvent prendre ces traces écrites aurait méritée d’être précisée de même qu’il serait utile d’indiquer que leur production par les élèves ne peut pas être de même nature en début de cycle 2 et en cours de cycle 3. Un document d’accompagnement étayé serait à cet égard le bienvenu.

La troisième inflexion est plus marquée pour le cycle 2 que pour le cycle 3. Elle concerne «l’acquisition d’automatismes procéduraux et la mémorisation progressive de résultats». Le fait qu’on ne puisse progresser en maths que si certaines routines (résultats et procédures rapidement disponibles) sont en place, libérant ainsi l’espace mental de travail des élèves, est une évidence largement reconnue. Encore faut-il que ces routines ne soient pas installées prématurément, avant que les élèves ne soient capables de les comprendre. De ce point de vue, le message est quelque peu brouillé. Signal positif, l’introduction du texte pour le cycle 3 note qu’au cours de ce cycle on construit de nouvelles techniques de calcul écrites, en particulier celles de la division, ce qui laisse supposer une ambition prudente pour celles-ci à la fin du cycle 2. Signal plus alarmant, les repères pour le CP, publiés en février dernier, mentionnent l’addition posée de trois nombres qui est une exigence peu raisonnable à ce moment des apprentissages.

La dernière inflexion apportée par ces textes concerne la précision que «l’étude des quatre opérations commence dès le début du cycle». Le texte précisant que cela se fait «à partir de problèmes qui contribuent à leur donner du sens» semble indiquer qu’il s’agit alors essentiellement de travailler sur des situations qui donnent sens à ces quatre opérations, ce qui est fréquemment proposé déjà.

Pour terminer, on peut regretter que ces projets de textes n’aient pas pris en compte les recommandations du rapport Villani-Torossian relatives d’une part à la notion de preuve qui selon le rapport se trouve «au cœur de l’activité mathématique quel que soit le niveau (de façon adaptée, cette assertion est valable de la maternelle à l’université)» et d’autre part au travail sur les erreurs. Le projet pour le cycle 4, pour sa part, oriente explicitement vers un travail sur la preuve et la démonstration.

Savoirs et compétences : une clarification serait souhaitable

Depuis de nombreuses années l’accent est mis sur les compétences (ou plutôt les savoir-faire) au détriment des savoirs. C’est regrettable, car ce sont les savoirs qui permettent de comprendre, de contrôler et de justifier les savoir-faire (procédures, techniques…). Ainsi, pour le cycle 3, le programme énonce un certain nombre de savoir-faire relatifs aux fractions.

Mais il n’est pas indiqué quelles conceptions des fractions doivent être enseignées : 4/3 est-ce 4 fois un tiers, le tiers de 4, le quotient de 4 par 3 ? De la même manière, on indique, en géométrie, que les élèves doivent être capables de «tracer avec la règle et l’équerre la droite parallèle à une droite donnée passant pas un point donné» sans indiquer la propriété du parallélisme qui permet de justifier cette pratique : deux droites perpendiculaires à une même droite sont parallèles.

La tâche d’élucidation étant importante, l’ajustement des programmes ne permettait sans doute pas de la mener à bien. Sans modifier les attendus actuels, il serait utile que, à l’avenir, un tel travail soit entrepris pour les cycles 2 et 3.

Dans l’attente de documents à venir…

Les textes proposés ne sont qu’une étape. Des repères annuels ont déjà été publiés pour le CP, ceux des autres niveaux ne devraient pas tarder. Ils peuvent conforter ou modifier sensiblement l’esprit et même la lettre des programmes. Ainsi pour le CP, certains «exemples de réussite» (façon étrange de qualifier des attendus) vont au-delà de ce que peut réaliser la majorité des élèves de ce niveau, en particulier en matière de résolution de problèmes du domaine additif, d’addition posée de trois nombres, de calculs en ligne… Il serait au moins utile de distinguer ce qui est attendu de tous et doit rester raisonnable et ce qui peut être proposé comme objet d’études sans attendre pour autant la réussite de tous.

Un projet d’évaluations nationales a également été évoqué. Il pourrait prendre la forme d’épreuves proposées plusieurs fois dans l’année. Si cela se confirme, le risque de dérive est important, notamment de voir, au travers de ces épreuves, imposer une organisation trimestrielle des apprentissages pilotée nationalement ! On retirerait alors toute marge d’initiative aux enseignants et d’ajustement aux besoins et possibilités de leurs élèves et on amoindrirait encore l’exercice de leur professionnalité. Espérons que la raison l’emportera et qu’on se limitera à proposer aux enseignants des supports d’évaluation documentés dont ils auront le libre usage.

Le talon d’Achille de la réussite des élèves demeure la qualité et la densité d’une formation des enseignants qui leur permette d’exercer pleinement leur responsabilité, de faire choix raisonné des supports qu’ils utilisent et leur accorde soutien et confiance pour la mise en œuvre pédagogique. Certains échos de ce qui se passe ici ou là, sur le terrain, peuvent inquiéter et appellent à la vigilance.

Roland Charnay
Co-directeur et auteur dans la collection Préparation au concours de professeur d’école et directeur et auteur de la collection Cap Maths (Hatier)


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