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À la peine !

Selon une étude récente menée au niveau du collège (où les devoirs à la maison ne sont officiellement ni interdits ni prescrits), le terme de « devoir » tend à être remplacé par celui de « travail à faire ». Soit. Selon les auteurs de l’étude, les enseignants sont quasiment unanimes à juger cela « indispensable », les parents le réclament et les élèves l’exécutent avec plus ou moins de zèle. Ce consensus serait-il l’hommage du vice à la vertu, dans l’obscure conscience que l’un des moments privilégiés où les élèves sont effectivement en situation d’apprentissage, compte tenu des dispositifs pédagogiques dominants en place, pourrait être ce moment-là ?
Il reste que l’étude montre aussi que l’adhésion des élèves au « devoir » au « travail à faire » diminue avec l’âge, et qu’une partie des plus âgés d’entre eux s’interrogent sur les inégalités qui peuvent apparaitre en raison des différences de milieux familiaux. Bonne question, posée par les élèves eux-mêmes…
À l’école primaire, on sait que des décisions ministérielles ont depuis longtemps interdit la pratique des « devoirs ». Selon la circulaire du 29 décembre 1956, « le travail écrit, fait hors de la classe, hors de la présence du maitre et dans des conditions matérielles et psychologiques souvent mauvaises, ne présente qu’un intérêt éducatif limité. En conséquence, aucun devoir écrit ne sera demandé aux élèves hors de la classe. Cette prescription a un caractère impératif ». Bien « qu’impérative », cette circulaire est restée pour l’essentiel lettre morte… Et c’est en invoquant précisément cela que Jean-Pierre Chevènement a justifié son choix de tenter de les « rétablir » officiellement en février 1985 (afin, disait-il, de régulariser cet état de fait pour mieux l’encadrer…). En vain, car la circulaire de 1956 ne sera pas rapportée, le premier ministre Laurent Fabius s’y étant opposé.
En septembre 1995, en plein débat sur les rythmes scolaires, François Bayrou (alors ministre de l’Éducation nationale) décide que « pour lutter contre les inégalités des situations familiales » des études dirigées en classe se substitueront désormais aux « devoirs écrits » à la maison, « les élèves n’ayant plus que du travail oral à faire ou des leçons à apprendre ». En réalité, la pratique des « devoirs à la maison » n’a pas cessé, on le sait.
Il est vrai que dans le seul pays au monde qui organise des championnats d’orthographe (et où les erreurs de graphie sont des « fautes »), on ne saurait être autrement surpris que le terme même de « devoir » s’impose, et que le « travail » (en accord profond avec son étymologie) ne puisse être considéré comme « sérieux » que si l’on est « à la peine ».

Claude Lelièvre
Historien de l’éducation