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Enseigner en souplesse

Présentation d’un dispositif qui permet, avec des professeurs référents, de varier les modalités de regroupement d’élèves, et donc les temps et situations d’apprentissage.

Jeudi, 8 h. Deux classes de 6e se mélangent. Un groupe va travailler sur les textes fondateurs avec un professeur de français et un professeur d’histoire-géographie, les autres groupes se constituent autour de capacités non maitrisées en mathématiques. Partant du constat de la relative inefficacité du soutien classique qui venait s’ajouter au cours, nous avons mis en place un dispositif sur les classes de 6e qui nous permet, en utilisant des moyens humains supplémentaires, de créer de la souplesse en termes de regroupement d’élèves, mais aussi en termes de situations d’apprentissage et de temps.

Casser le groupe classe

Sur deux heures consécutives, deux classes sont alignées, cinq enseignants sont à disposition : le professeur de mathématiques et le professeur de français des deux classes, un professeur d’histoire-géographie, le professeur référent en mathématiques et le professeur des écoles référent du réseau. Même si, pour le français et les mathématiques, nous sommes un peu au-dessus des heures statutaires, une partie de celles-ci est injectée dans ce dispositif. Ces moyens « éducation prioritaire » sont donc au service d’un large éventail de configurations possibles à partir de classes mises en doublette. Premier levier de ce dispositif : la remise en cause du groupe classe. Même si les combinaisons se limitent à deux classes, elles restent nombreuses de par l’apport d’enseignants supplémentaires. Selon les besoins des doublettes de classes et les enseignants qui les ont en charge, les choix en termes de contenu, d’organisation des groupes, de découpage du temps et de répartition des enseignants varient. De deux à cinq groupes, il est donc possible de varier les effectifs en mélangeant les élèves des deux classes, en créant parfois de l’homogénéité autour d’une notion précise ou en favorisant l’hétérogénéité dans d’autres situations. Nous pouvons aussi créer des groupes de remédiation sur un savoir-faire technique, constituer un groupe de compétences en fonction d’un degré de maitrise ou de familles de situations proposées, ou encore prévoir une répartition favorable à la coopération entre élèves. Cette coopération est d’ailleurs d’autant plus riche que les élèves se retrouvent avec ceux d’une autre classe. Côté enseignants, les combinaisons possibles sont également nombreuses. D’un enseignant face à un groupe à deux ou trois enseignants en co-intervention, qu’ils soient de la même discipline ou non, la souplesse créée ici permet un large choix, dépendant des situations proposées aux élèves.

Varier les situations

Cette souplesse nous permet différents types de travail. Des activités autour de thèmes interdisciplinaires en co-intervention de deux enseignants de disciplines différentes : densité de population (maths-géographie), textes fondateurs (français-histoire) ; des formations autour de compétences transversales : extraire de l’information, lire et comprendre des consignes, développer un propos en public ; de la remédiation à des difficultés plus techniques, de manière ponctuelle et différenciée à partir des positionnements réguliers des élèves. Dans les deux premiers cas, la co-intervention prend toute sa place et donne une légitimité aux situations proposées. Cette modalité de prise en charge change la donne au sein de la classe. Les deux enseignants sont avec les élèves, le schéma du professeur face à sa classe est oublié. La mise en activité des élèves et la prise d’initiatives sont favorisées. Le travail par compétences est au cœur de ce dispositif. L’apport de moyens humains supplémentaires permet aussi de travailler le transfert de ces compétences, qui n’est pas toujours naturel pour les élèves. Les temps de remédiation sont utilisés à des fréquences diverses selon les doublettes de classes, et donc des enseignants qui pilotent le travail dans chacune d’entre elles. Les professeurs principaux des deux classes ont choisi de mettre l’accent sur ce point sur la première partie de l’année. À tour de rôle, les professeurs de français et de mathématiques constituent des groupes de besoin en fonction de capacités ou compétences non maitrisées lors d’évaluations réalisées en classe. D’autres groupes approfondissent certains points. Pour une autre paire de classes, ces remédiations ont été plus ponctuelles (10 à 20 % du temps). Dans les deux cas, un positionnement par couleurs est proposé régulièrement aux élèves, pour qu’ils puissent être conscients et acteurs de leurs progrès. L’apport d’enseignants extérieurs à la classe permet de rendre cette remédiation différente. Il ne s’agit pas de refaire à l’identique ou presque ce qui n’a pas été compris, mais bien de varier les contextes, pour permettre à chacun d’y trouver sa porte d’entrée. Ce dispositif est aussi un moment privilégié pour la mise en place de PPRE (programme personnalisé de réussite éducative), avec une approche transversale nécessaire et un temps de dialogue possible que nous prenons moins le temps d’entamer en configuration normale.

Maitriser le temps

La dernière souplesse créée est celle du temps. En ayant deux heures consécutives avec cinq enseignants, nous nous offrons des temps de travail modulables. Les salles concernées étant assez proches les unes des autres, il nous est aisé de changer les groupes au bout d’une heure, de quarante minutes, ou de rester deux heures. Qui n’a jamais rêvé de temps modulables ? Plus courts pour les synthèses, les exercices d’entrainement ? Plus longs pour les projets, productions, travaux de groupes ? Plus encore qu’un créneau de deux heures que nous pourrions avoir dans nos emplois du temps classiques, c’est ici la possibilité de varier selon les semaines, les besoins et les travaux engagés qui est intéressante. Le bilan de ce dispositif est, à nos yeux, très positif. Au-delà du bénéfice pour les élèves (mise au travail, motivation, implication, etc.), la concertation nécessaire que nous avons régulièrement pour mettre en place les séquences proposées est particulièrement riche et nous permet une approche beaucoup plus globale des apprentissages et des élèves.

Nous acceptons de perdre des heures purement disciplinaires, mais nous considérons que le gain est bien plus fort. Les moyens supplémentaires de notre collège sont un levier important dans notre cas. Ils permettent une souplesse organisée qui pourrait, avec un peu de volonté, s’étendre à une échelle plus grande : d’autres niveaux de classe, un créneau supplémentaire mettant en jeu d’autres disciplines, avec la possibilité de ne mettre que trois ou quatre enseignants sur le créneau pour qu’il soit moins couteux.

Karine Lerat, Yasmine Vasseur, Victoria Verbrègue, Guillaume Caron
Professeurs principaux de 6e au collège Lucien-Vadez de Calais (Pas-de-Calais)
Texte paru dans le n° 499, Quelle éducation prioritaire ?, septembre-octobre 2012