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« Vis ma vie » de chef d’établissement en confinement

Et les chefs d’établissement ? À quoi a ressemblé jusqu’ici la continuité pédagogique pour eux ? À quoi continue-t-elle de ressembler, même s’il faut désormais, en plus, réfléchir à la reprise pour le 18 mai, le 2 juin, ou plus tard ?

Quelque part en Normandie, un établissement d’enseignement adapté. Une grande majorité d’élèves en difficultés sociales, un nombre important d’allophones. Un lycée professionnel, comme un « vrai » lycée pro mais avec du « plus » : des personnels hyper impliqués, un suivi éducatif et pédagogique « aux petits oignons », des méthodes pédagogiques adaptées.

Des élèves internes, pour la plupart, partis pour certains sans leurs affaires car ils étaient en période de stage en entreprises.

Le numérique, pas si simple

On utilise le cahier de textes numérique habituel pour donner du travail. Mais certains jeunes ont une connexion très aléatoire. Les familles sont peu équipées, souvent les élèves n’ont que leurs portables pour travailler. La proposition d’équipement avec des tablettes est parvenue après l’injonction de confinement et les élèves sont répartis sur trois départements : trop loin et trop compliqué pour les familles de venir chercher une tablette au lycée. Il n’y en avait de toutes manières pas pour tous les élèves qui en auraient eu besoin…

Le suivi pédagogique ? On s’est dit avec l’équipe que le suivi premier, celui qu’il fallait maintenir à tout prix, c’était le suivi « tout court », celui qui permet de savoir comment va le jeune, comment va sa famille, si la connexion numérique est bonne, s’il a bien du crédit sur son téléphone portable. Celui qui va lui permettre de rester un élève dans ce monde curieux et nouveau, si peu adapté à leurs difficultés.

Service après-vente dans l’établissement déserté

Permanence téléphonique et physique.

Ma collègue adjointe gestionnaire me passe une mère d’élève :

Oui, allô, bonjour, je suis la cheffe d’établissement, que puis-je faire pour vous ?
Ben, j’ai pu les codes… Brandon il me dit d’aller sur XX, et pis ben moi je mets les codes et pis ça dit rien…
Ah, je comprends, mais Brandon se trompe, c’est pas par là qu’il faut aller. Vous êtes devant votre ordinateur, là ?
Ah, non, moi j’ai qu’un portable, un téléphone portable…

Dépannage en direct : ce ne sont pas les bons codes, et pas le bon chemin numérique. Pourtant, nous avons redistribué aux élèves présents le vendredi les codes à utiliser…

Madame la mère de Brandon me quitte contente, et remercie l’établissement.

Aucune agressivité, beaucoup de sympathie chez nos interlocuteurs. Les familles sont satisfaites de trouver quelqu’un au bout du fil, qu’on les dépanne.

Une équipe soudée

La gestion du suivi s’est organisée sur la base de la répartition des tâches : le professeur principal et le professeur tuteur s’occupent du suivi journalier, ou quasiment, des jeunes. Les autres enseignants alertent quand ils n’ont pas eu de réponse à leurs demandes de travaux ou de discussion. Les CPE suivent et jouent les « chiens de troupeaux » pour les élèves qu’on n’arrive pas à atteindre, la DDFPT (Directrice déléguée à la formation professionnelle et technologique) entre dans la danse si besoin, ou la cheffe d’établissement. Tout le monde propose son aide, reste à disposition. On y passe des heures, et c’est frustrant souvent. Mais parfois, on obtient enfin des nouvelles et un travail rendu ! Victoire affichée aussitôt sur le fil de discussion de l’équipe pédagogique de la classe !

On a vite tous compris qu’il fallait jouer collectif. Deux fois par semaine, je lance un « café virtuel », à 10 h30, sur notre outil numérique habituel. On se retrouve connectés sur ce fil de discussion à quinze ou vingt, parfois plus, mais avec des difficultés : la connexion n’est pas simple, en fonction des lieux d’habitation. Comme l’a écrit un collègue enseignant : c’est « un brouhaha silencieux » qui fait du bien. On échange sur les difficultés, sur les perspectives. Je propose, on me donne avis. Plusieurs outils de « réunion virtuelle » ont été testés, pas toujours efficaces. Mais le collectif, y a que ça de vrai !

Le reste n’a pas disparu complètement

Répondre aux demandes de codes, dépanner, rassurer, cadrer… et aussi, travailler sur tout le reste. Certaines instances restent impossibles à tenir pour le moment, il faut prévoir et anticiper malgré tout sur la gestion financière, comptable.

Répondre aux mails des collectivités qui recensent le nombre de masques, de flacons de gel hydroalcoolique, de gants. Se tenir prête à donner le stock de masques à la Région.

Travailler sur les dossiers en cours avec la DDFPT.

Aller chercher le courrier, sortir les poubelles des logements de fonction.

Diffuser les circulaires nouvelles qui commencent à arriver pour cadrer les modifications de calendrier.

Calmer l’inquiétude de certains jeunes, de collègues, de familles…

Notre lycée accueille pas mal de jeunes allophones. C’est bien difficile d’être à leur écoute et à leur côté. Bien compliqué d’expliquer. Bien compliqué, la continuité pédagogique sans la langue… Bien difficile de ne pas être inquiets pour certains d’entre eux, isolés.

Il faut rester en contact et apprendre à accueillir la nouveauté. Il faut cultiver l’humour, la bienveillance et notre humanité !

S’adapter.

Demain, chouette, café virtuel à 10 h 30 !

Fabienne Requier
Proviseure quelque part en Normandie

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