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Vers une évaluation globale du système éducatif ?

Le projet de loi Pour une école de la confiance, présenté en février 2019 par Jean-Michel Blanquer, prévoit notamment la création d’un Conseil de l’évaluation de l’école. Selon l’étude d’impact du projet de loi, une des nouveautés introduites par ce conseil serait la « mise en cohérence » de toutes les formes d’évaluation du système éducatif avec, en particulier, la mise en place d’une évaluation des établissements scolaires au niveau national.

L’idée d’évaluer les établissements n’est pas neuve concernant les collèges et les lycées. Cela fait plus d’une trentaine d’années que des initiatives sporadiques ont lieu en la matière. De façon récurrente, des rapports reviennent sur l’idée, des académies lancent des expériences d’évaluation sans que cela ne débouche sur une généralisation, ainsi que l’avaient déjà constaté en 2011 Hélène Buisson-Fenet et Xavier Pons dans leur enquête comparative sur les pratiques d’évaluation externe des établissements scolaires [[Hélène Buisson-Fenet et Xavier Pons, Les pratiques d’évaluation externe des établissements scolaires en France, au Royaume-Uni et en Suisse : vers des figures de l’État éducateur contemporain en Europe, 2011.]].

Former des évaluateurs

De ce point de vue, la création d’un dispositif d’évaluation au niveau national et systémique constituerait une transformation profonde des habitudes en France. Cela signifierait, d’une part, la constitution de dizaines d’équipes d’évaluateurs à former (l’étude d’impact du projet de loi évoque environ 400 équipes de quatre évaluateurs, vraisemblablement coordonnées par des inspecteurs territoriaux). D’autre part, cela impliquerait probablement la construction de grilles d’évaluation standardisées pour permettre aux acteurs des établissements comme aux évaluateurs de partager un langage commun.

Plusieurs systèmes éducatifs ont déjà une pratique éprouvée de ce type d’évaluation, parfois évoquée avec l’expression anglaise de « full inspection ».

L’Écosse a, par exemple, mis en place un dispositif complet reposant sur l’engagement des écoles dans leur autoévaluation, préalable au dispositif d’évaluation standardisé. Cette autoévaluation n’a néanmoins pas grand-chose à voir avec une aimable discussion informelle des équipes éducatives sur leurs projets : il s’agit d’un processus rigoureusement structuré autour de questions précises, d’arguments à étayer et de données obligatoires à recueillir pour attester de la qualité de son établissement. La lecture du guide de trente-sept pages[[Consultable et téléchargeable à l’adresse
https://tinyurl.com/y6jgtha8]] significativement nommé How good is our school ?, qui en est à sa quatrième édition depuis 1996, suffit à comprendre la démarche exigeante dans laquelle doivent s’engager les responsables des écoles. Elle repose sur une triangulation des données, le regard évaluateur devant se nourrir de données quantitatives (résultats des élèves, absentéisme, violence, etc.), d’appréciations des acteurs dument recueillies (enseignants, parents, élèves, encadrement, partenaires locaux, etc.) et d’observations directes en classe comme lors d’autres moments éducatifs. Par ailleurs, les indicateurs sont utilisés par les autorités pour répartir les écoles sur une échelle de qualité comportant six items : « excellente, très bonne, bonne, satisfaisante, faible, insatisfaisante ».

La France est-elle prête à se lancer dans une démarche comparable ?

Au niveau des enquêtes et statistiques, l’expertise reconnue d’une administration centrale, la DEPP (Direction de l’évaluation, de la performance et de la prospective) constitue à l’évidence une base pour développer une politique nationale d’indicateurs pouvant servir de colonne vertébrale pour des évaluations globales.

Une petite révolution

Le développement de procédures telles que la contractualisation, les projets d’établissement et les dialogues de gestion favorisent la formalisation d’informations partagées sur les établissements au sein du système, comme avec des partenaires tels que les collectivités locales. Le développement de politiques de déconcentration puis de décentralisation, la mise en place de personnels de direction dans le second degré dotés de statuts et de formations spécifiques ainsi que la promotion d’une culture de l’encadrement dans l’éducation semblent aussi nourrir cette évolution[[Olivier Rey, « Pilotes et pilotage dans l’éducation », Dossier de veille de l’IFE n° 128, février 2019, ENS de Lyon.]].

Pour autant, les acteurs du système éducatif sont-ils prêts à assumer une évaluation régulière, publique et systématique des établissements ? L’offre de formations est-elle suffisante pour apporter des réponses aux éventuels dysfonctionnements constatés ? Comment faire que l’évaluation ne soit pas que l’affaire de l’équipe de direction, mais aussi celle des autres personnels éducatifs ? Comment imaginer à terme une évaluation systématique des EPLE (établissements publics locaux d’enseignement, forme juridique des collèges et lycées depuis les années 1980) qui laisse de côté le premier degré ?

Une évaluation globale des écoles et établissements constituerait assurément une forme de petite révolution au sein du système éducatif français.

Olivier Rey
Chargé d’étude et de recherche, service Veille et analyses de l’IFE (ENS de Lyon).