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Le parent n’est pas un enseignant !

Aux Cahiers pédagogiques, nous avons un groupe de discussion entre adhérents. Depuis une semaine, les partages d’expérience, les questionnements, les coups de gueule, les soutiens, les découragements, les coups de main fusent de toute part. Ça fait du bien, on se sent moins seul devant son écran. Une chose est certaine, tout le monde s’est trouvé mis au pied du mur : les enseignants comme les parents. Personne n’avait imaginé le scenario que nous vivons à l’heure actuelle : devoir assurer une continuité pédagogique en situation de confinement.

Nos élèves sont chez eux, nous aussi, et l’école doit continuer. Mais quelle école ? Peut-on vraiment « faire classe » dans ces conditions ? Que signifie « continuité pédagogique » ?

Une première remarque suite aux retours que j’ai pu collecter dans mon entourage professionnel et mon cercle d’amis : tout le monde n’a pas compris la même chose. Du côté des familles, certains parents (ou élèves quand il s’agit de collégiens et lycéens) reçoivent tous azimuts des tonnes d’exercices à faire (jusqu’à 110 pages en deux jours témoigne un parent de collégien) ou des emplois du temps complets heure par heure (y compris pour certains élèves d’élémentaire voire de maternelle).

Du côté de l’école (au sens large) certains enseignants sont submergés, coordonnant le travail donné aux élèves, organisant des concertations entre collègues, des classes virtuelles, communiquant quotidiennement avec leurs 110 élèves, leur transmettant du travail, corrigeant leurs copies en retour, répondant à leurs questions multiples et variées, etc. À contrario, d’autres attendent désespéramment derrière leur écran d’ordinateur ou de téléphone que les familles prennent contact. Une chose est sure, tous, nous voulons bien faire.

Faire une pause

Nous voulons tous bien faire, mais stop ! Faisons une pause et réfléchissons un peu. Qu’est-ce que la continuité pédagogique ? « Une continuité pédagogique est mise en place pour maintenir un contact régulier entre les élèves et leurs professeurs », dixit le site du ministère. En aucun cas la continuité pédagogique (mal nommée « l’école à la maison ») n’est un transfert copier-coller de ce qui devrait se passer en classe. Depuis des années, nous nous questionnons sur « les devoirs », le « travail personnel » à la maison. Cette question est d’autant plus d’actualité en ces jours. Et aucun parent n’a vocation à se transformer en enseignant du jour au lendemain ! Enseigner requiert une formation, c’est un métier qui s’apprend.

Attention, donc, à ce que nous demandons aux parents, aux enfants. Certains n’ont pas accès à Internet, pas d’imprimante, d’autres ont une connexion mais uniquement un téléphone portable pour écran, et ce, pour toute la famille. Certains parents télétravaillent et ne peuvent assister leur enfant devant leur cahier six heures par jour. Et plus encore, bon nombre de parents ne savent pas faire. Ce n’est pas qu’ils ne veulent pas, c’est tout bonnement qu’ils ne sont pas enseignants !

Quand nous leur transmettons nos « conseils pour aider votre enfant », réfléchissons bien à ce que nous leur demandons. Que signifie pour un parent de CP « poser des questions sur l’implicite du texte » ? Que signifie pour un parent de Grande section « organisation de l’espace : jeu de pixel (ci-joint) » ? Au mieux, il comprend qu’il doit poser des questions à son enfant sur ce qu’il vient de lire, au mieux il voit un dessin à reproduire dans un quadrillage. Mais les enjeux d’apprentissage lui restent inconnus (ça, c’est notre métier, pas le leur).

Quelle autonomie ?

Deuxième remarque : est-ce l’occasion d’autonomiser nos élèves ? Non, l’apprentissage de l’autonomie ce n’est pas être confiné du jour au lendemain à la maison et devoir se débrouiller tout seul avec une pile de pdf à télécharger, à imprimer, à compléter, à scanner, à renvoyer, une liste de sites à consulter et de vidéos à visionner. Dans une journée d’école, l’élève est pris en charge, encadré, guidé, ne serait-ce que par l’organisation horaire, l’emploi du temps structuré, la présence des adultes autour de lui.

La continuité pédagogique ce n’est pas les laisser se dépatouiller avec tout ce qu’on leur envoie. Alors, dans ce que nous transmettons aux familles, avons-nous bien fait la distinction entre l’essentiel et le superflu, l’essentiel et le supplémentaire, devrais-je dire ? Oui, certains élèves (et parents) seront ravis de savoir qu’ils peuvent aussi aller lire tel article, voir telle vidéo, mais combien comprendront qu’il faut tout faire sans distinction, au risque d’un surmenage, d’une surcharge émotionnelle voire cognitive, au risque d’un découragement contre-productif ?

Chaque jour, en temps ordinaire, nous réfléchissons dans nos préparations de classe à la manière de transmettre le savoir. Ce questionnement est toujours d’actualité en cette période où nos élèves ne sont pas face à nous au moment de lire une consigne, de lire un commentaire, où notre retour ne peut être immédiat et où les corrections sont différées, où c’est parfois son parent qui lui dit quoi faire et comment le faire.

Nous avons tous agi dans l’urgence du moment. Si dans certains milieux professionnels, les « situations de travail dégradé » sont largement anticipées, pour nous et les familles cela n’a pas été le cas. Il faut donc retrouver un peu de sérénité, faire un premier bilan de cette semaine passée, prendre le temps à la réflexion pour s’engager dans un accompagnement apaisé, qui renforcera le lien entre l’école, les parents et les enfants, sans le dégrader.

Rachel Harent
Professeure des écoles dans le Finistère


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