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L’enfant à l’ère de la société numérique : entre défis et opportunités

Quelles sont les conditions pour que le numérique à l’école soit au service d’une éducation émancipatrice des élèves ? Voilà la judicieuse question à laquelle le congrès 2019 de l’ANDEV s’est proposé de répondre.

Ni angélisme ni diabolisation, ni technophobie radicale, ni naïveté technophile : il s’agissait, à travers les éclairages de différents experts ainsi que des ateliers de réflexion et de partage de pratiques, de construire une position nuancée pour une utilisation pertinente du numérique dans les classes, et une éducation aux usages du numérique qui fasse de nos élèves des cyber-citoyens éclairés.

Les villes, intercommunalités et autres collectivités territoriales, adhérentes à l’ANDEV, estiment que leur rôle n’est pas seulement d’équiper les écoles en tablettes ou autre matériel, mais aussi d’interroger la manière dont cet outil sera utilisé. Plus largement, comment un territoire peut-il adapter sa politique éducative – qui dépasse l’école pour toucher aussi le péri-scolaire, la formation des personnels… – à une génération d’enfants baignés depuis leur naissance dans le numérique ?

L’ANDEV n’en est pas à son premier congrès : c’est la 28e fois que les responsables des services de l’éducation des villes se réunissent autour d’un thème de l’actualité pour échanger et alimenter leurs pratiques. Ainsi l’année dernière, réunis à Saint-Étienne, ont-ils planché sur l’inclusion. Cette année-là le congrès avait débouché sur la rédaction d’un manifeste pour l’éducation inclusive, défendant notamment le rôle que les villes ont à jouer dans ce domaine.

Des politiques trop descendantes

En effet, l’une des missions de cette association est bien de donner voix au chapitre aux collectivités locales dans la définition et la mise en œuvre de politiques souvent trop descendantes. Les autres objectifs que se donne l’association étant la formation, dans une démarche de recherche-action, et, nous y revenons, l’organisation d’un congrès annuel.

Cette année c’est environ 400 congressistes qui se sont réunis à Marseille, un effectif en hausse par rapport aux années précédentes. Toutes les prises de parole (du moins celles auxquelles votre serviteuse a assisté) ont contenu dans leurs préliminaires une joviale allusion au football et à l’OM, ce qui m’aurait agacée si je n’avais compris que c’était pareil, l’année dernière, à Saint-Étienne. Néanmoins le congrès se tenait à la Friche de la Belle de Mai, un haut lieu de la vie culturelle marseillaise, ce qui prouve bien qu’à Marseille, il n’y a pas que le foot.

Puisque nous parlons de Marseille, il me faut dire que Danièle Casanova, adjointe au maire en charge des écoles, a été présente lors de la conférence de presse, et qu’elle a introduit, comme il se doit, le congrès. Et vous avouer que en tant qu’enseignante marseillaise, j’ai été bien étonnée d’apprendre qu’à Marseille, toutes les écoles sont équipées d’ENT (ah bon ?), et que des bibliothèques se développent dans tous les quartiers (où ça ?).

Renouveau du cerveau

Les travaux ont commencé par une conférence de Boris Cyrulnik, célèbre neurologue et psychiatre. Il nous a offert quelques rappels utiles sur le développement du cerveau. Au fil du temps et des modes de vie, le cerveau est toujours nouveau. Il est sculpté par l’environnement avec lequel il interagit. De plus, notre manière de percevoir le monde est façonnée par notre cerveau. Ainsi nos cerveaux sont-ils sculptés par « l’urbanisme, les sprints culturels et les boites de conserve». Ceux des natifs du numérique sont fatalement différents, et il faut comprendre qu’ils ne perçoivent pas le monde comme nous.

En réponse aux questions de la salle, Boris Cyrulnik nous apprend que de premières observations existent concernant les effets du numérique sur le développement du cerveau des jeunes enfants. Quand les tout-petits sont déjà « prisonniers des smartphones », ils ne savent pas décoder les mimiques faciales. La zone du cerveau dédiée au traitement des images est hypertrophiée, mais la zone du langage et des interactions est moins développée que la normale. Toujours d’après le conférencier, ces enfants n’ont pas la compétence du « tour de parole », ils ne savent pas attendre que l’autre ait fini pour commencer à parler, produisant une génération de jeunes qui parlent tous en même temps et n’écoutent pas les autres. Tout à coup j’ai ma classe devant les yeux, avec un bel éclairage pour comprendre son fonctionnement… Je crois que je vais en parler à mes élèves.

Selon le contexte, l’âge des enfants, le numérique a aussi de nombreux avantages. Ainsi par exemple il est d’une grande utilité pour les personnes souffrant de troubles autistiques, et a permis à certaines d’entre elles de sortir du mutisme.

Rappelons que Boris Cyrulnik préside actuellement les travaux d’une « commission des 1000 premiers jours », commanditée par Emmanuel Macron. Cette commission doit donner des indications et préconisations sur l’éducation des tout-petits. Les conclusions en sont attendues pour fin janvier. La place du numérique dans ces jeunes années est évidemment une question essentielle, à laquelle le neurologue dit n’avoir pour le moment pas de conclusion définitive, bien que des membres de la commission aient des avis très nets (et très divergents) appuyés sur différentes études scientifiques. Nous guetterons les conclusions fin janvier !

Impacts de la technologie

Rémy Rieffel, sociologue des médias, nous a fait partager une analyse des impacts de la technologie sur nos vies, du point de vue de notre identité, de notre rapport au savoir, du débat public et démocratique, de l’information. Des changements qui ne sont pas anodins à l’en croire, une révolution aussi importante que celle de l’invention de l’imprimerie !

Derrière l’illusion de communauté, de gratuité, d’égalité que procurent le net et les réseaux sociaux, se cachent à la fois des trésors (la quantité d’informations disponibles est sans précédent, les individus ont plus de pouvoir et organisent via les réseaux sociaux des évènements qui font trembler les dirigeants, le nombre de personnes avec qui nous interagissons s’étend…) et des pièges (l’exacerbation des passions et de l’agressivité, les fakenews, le cyber-harcèlement, la surveillance…) dont il importe de faire prendre conscience aux jeunes.

L’information est largement accessible mais pas hiérarchisée (le nombre de pages portant sur un sujet sur Wikipédia n’est pas franchement proportionnel à son intérêt réel… et 69 % du contenu d’internet n’est jamais regardé). Les consommateurs de jeux vidéo sont des experts en orientation dans l’espace mais perdent en capacité de mémorisation.

Et Rémy Rieffel de conclure : rien ne sert d’équiper en tablettes toutes les écoles de France, il faut d’abord définir pourquoi on le fait. Murmures et rumeurs dans la salle, où la préoccupation d’équiper les écoles semble bien présente.

Après ces approches préliminaires, du cerveau d’une part et de la révolution numérique d’autre part, je n’ai malheureusement pas pu assister aux interventions des deux jours suivants, qui auraient permis de rejoindre ces deux thèmes, pour approfondir la question de l’éducation à l’ère numérique, et de parvenir à des pistes de réponse à la question soulevée.

En tous cas ce congrès m’aura permis de rencontrer une association dont les valeurs et l’état d’esprit ne sont pas sans rappeler ceux du Crap. Des partages en perspective !

Marine Rougé
Correspondante du CRAP-Cahiers pédagogiques dans l’académie d’Aix-Marseille