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Peut-on évaluer l’oral ?

L’apprentissage du débat en seconde : comment, grâce à une évaluation personnelle bien pensée, définir des repères pour aider les élèves à progresser.

 

L’apprentissage du débat en seconde : comment, grâce à une évaluation personnelle bien pensée, définir des repères pour aider les élèves à progresser.

Dans un premier temps, il faut que les élèves réfléchissent sur la notion : qu’est-ce qu’un débat ? Quel intérêt peut-il présenter selon vous ? Que proposez-vous pour l’organiser ? Quels sont les sujets dont vous aimeriez débattre ?

Puis, par l’analyse d’un premier essai, ils aboutissent ensemble à quelques fondamentaux :

  • nécessité d’établir des règles ;
  • choisir des sujets intéressants : « il faut qu’ils nous touchent, que l’on se sente concerné » (Aurore) ;
  • effectuer des recherches préalables, même si on se sent proche du sujet, pour renforcer les arguments par des sources extérieures ;
  • présenter des arguments diversifiés ;
  • favoriser la prise de parole de tous ;
  • ne pas se calquer sur l’argumentation de l’écrit : « on ne parle pas comme on écrit et on n’argumente pas à l’oral comme à l’écrit car il y a le problème de l’autre » (Marie).

Ils élaborent aussi une fiche d’aide comme celle-ci :

DifficultésRemédiation
J’ai peur de prendre la paroleje me force à prendre la parole rapidement

le médiateur donne la parole en priorité à ceux qui ne l’ont jamais eue

il régule en sollicitant indirectement les « muets »

J’ai tendance à lire mes notes quand je participe

J’ai peur que mon discours soit incohérent

avant, je m’entraîne à m’en passer

j’apprends mon plan par cœur

J’ai du mal à parler de manière générale sans en faire une affaire personnelle

Je ne suis pas tolérante

je n’utilise pas d’éléments du domaine affectif

je cite des faits, des chiffres

Je n’arrive pas à répondre aux arguments adverses de manière convaincantej’imagine avant les arguments de l’autre

je prévois des contre-arguments

J’ai tendance à m’éloigner du sujetle médiateur recentre le débat

S’ils peuvent identifier leurs problèmes, la remédiation est plus ardue : « contrer l’opposant à l’oral, c’est difficile parce qu’il y a sa présence, qu’il est sûr de ce qu’il dit et qu’il perturbe mon raisonnement » (Morgan). Ce que dit autrui n’est pas étranger à leur point de vue et cela peut déstabiliser. Certains ont proposé un parallèle avec la stratégie concessive de l’écrit : « laisser » un argument à l’opposant pour mieux le contrer par la suite. Cependant, « il est difficile de se maîtriser quand on n’est pas d’accord » (Rachida). Cette envie de démontrer à l’autre qu’il a tort sans l’écouter vraiment s’est estompée au fil des débats : il y a toujours quelque chose à prendre, à apprendre et l’on ne peut contredire autrui et le persuader qu’en partant de ses arguments.

Noter ou évaluer ?

Nous avons individuellement puis collectivement réfléchi à l’évaluation. Les élèves ont formulé de nombreuses idées qu’on peut regrouper ainsi :

– l’argumentation : pertinente, variée, cohérente, naturelle, structurée, riche en exemples, réaction des adversaires, avancée du débat :

– l’oral : facilité, fluidité, vocabulaire et registre de langue adéquats, ton utilisé ;

– conduite : respecter les consignes, savoir écouter, remplir chacun son rôle, ne pas chercher à toujours avoir raison.

 

Dessin de Pol Legall

Six volontaires en binôme ont donc noté suivant ces critères une personne qui parlait beaucoup, et une qui prenait peu la parole. À la fin, sur les six « examinateurs », deux n’avaient pu mettre une note. La note attribuée par les quatre autres à la même personne, selon les mêmes critères, variait de plus de 5 points. Quant à la personne qui ne parlait pas ou peu, elle obtenait zéro.

Les élèves se trouvaient mal à l’aise : pourtant, les entrées précitées semblaient adéquates… Mais un élève a peut-être suivi sans trouver l’opportunité d’intervenir, ou il a intériorisé ce qu’il entendait pour mieux y réfléchir par la suite : comment noter sur l’apparence extérieure ? Doit-on forcer tout le monde à parler ? La tolérance que développe le débat ne doit-elle pas exister aussi pour ceux qui choisissent de ne pas s’exprimer ? Et si le silence était une forme de réponse ?

Les six personnes observées ont ensuite donné leur avis, révélant des aspects qui avaient échappé aux regards des observateurs. « J’ai parlé deux fois, ce qui est beaucoup » a déclaré Céline, qui ne s’était jamais exprimée au cours d’un débat. Puis chacun a réfléchi à ce qu’il avait modifié, amélioré par rapport au dernier débat. Les élèves ont réalisé que ce qu’il convient d’évaluer, c’est la progression interne, personnelle. Or qui mieux que l’élève lui-même peut évaluer son parcours personnel ? Le débat ne peut ni se collectiviser ni se quantifier.

D’où l’inadéquation d’une notation.

Des facteurs de progrès : soi et autrui

Les critères définis ont donc été utilisés dans une grille auto-évaluative pour établir un profil du participant dans la durée. Seule condition imposée : tenter d’améliorer ses points faibles. Lors du débat suivant, chacun savait où porter ses efforts. Benoît : « Il me faut effectuer des recherches afin de bien maîtriser le sujet, puis sélectionner un de mes problèmes et le garder à l’esprit pendant le débat. » Audrey, muette habituellement, a pris une fois la parole. Olivier a essayé un syllogisme pour démontrer l’absurdité de l’argument adverse. L’élève, responsabilisé, tentait de progresser. Ainsi s’explique que notre évaluation soit forcément auto-évaluation : appréciation personnelle d’un cheminement intérieur. Au fil des débats, des stades d’acquisition alternent avec des temps d’analyse collective et individuelle, impliquant pour chacun une capacité d’évolution.

Ce qui apparaît primordial : l’attention accordée à l’autre. C’est à partir d’autrui qu’il est possible de dynamiser le débat pour le faire avancer. « Savoir débattre, c’est s’ouvrir des horizons nouveaux. En un mot, débattre, c’est exister ! ».

Est-il phrase plus pertinente que celle d’Alexandra pour convaincre de l’utilité de l’oral ?

(Cahiers pédagogiques n° 400, « Oser l’oral », janvier 2002)

Nathalie Marque
Professeur de français,
lycée Saint-Cricq de Pau.nature