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Au Sri Lanka, Anandi, tel est le nom d’emprunt que je vais lui donner, n’aimait pas l’école. Mais une fois arrivée en France, elle a été très frustrée de voir ses cousins aller à l’école alors qu’elle restait à la maison à attendre qu’une porte s’ouvre pour lui permettre à elle aussi d’apprendre. Cette petite fille orpheline est arrivée en France clandestinement, avec sa tante. Cette dernière, elle-même mère de deux petits garçons, est allée chercher sa nièce, parce qu’elle la savait dans une situation de misère telle qu’il ne lui a tout simplement pas paru possible de faire autrement. Elle est arrivée au collège français pour entrer en classe de 6e, après avoir attendu de longs mois avant de pouvoir être scolarisée en raison de soucis administratifs. J’ai eu la chance de l’accueillir dans l’unité pédagogique pour élèves allophones arrivants dont j’avais la charge, jusqu’à l’été 2016.

En avril 2015, pour son entrée en 6e, Anandi m’a paru une jeune fille assez réservée, extrêmement studieuse, mais à l’air tellement triste. Une fille qui ne voulait pas se lier d’amitié avec d’autres, qui l’invitaient pourtant à se joindre à eux. En classe, Anandi levait toujours le doigt soit pour poser des questions à l’adulte, soit pour répondre aux questions posées à la classe. Elle voulait réussir à apprendre le français pour suivre de plus en plus de cours avec sa classe de référence. Elle avait tellement envie d’apprendre qu’elle a réussi à valider le DELF (diplôme européen de langue française) de niveau B1 en mai 2016, soit à peine un an après son arrivée au collège. Elle est bien sûr aussi passée de 6e en 5e, puis en 4e facilement et, de surcroit, en tête de classe dans toutes les matières. Mais, pendant longtemps, elle refusait l’amitié des autres et avait l’air de plus en plus triste.

Puis, à partir de septembre, avec la nouvelle année scolaire, avec une meilleure maitrise de la langue française, elle a pu rentrer plus facilement dans les projets, les sorties. Nous avons fait du théâtre, nous avons chanté et Anandi y prenait du plaisir, il lui arrivait même de plus en plus souvent de discuter avec d’autres élèves.

Et un jour, nous avons commencé à préparer la rencontre avec un auteur : Abdulmalik Faizi, qui a relaté dans son livre Je peux écrire mon histoire ce long parcours entre l’Afghanistan et l’inconnu, qui fut finalement la France. Ce jeune homme avait un point commun avec Anandi, un point commun très douloureux : ses parents, un petit frère et deux petites sœurs ont été tués par les talibans et lui a dû fuir son pays à l’âge de 15 ans, seul, pour sauver sa peau. Anandi n’a pas fui son pays, mais elle a perdu ses parents alors qu’elle était encore bien jeune, elle en a beaucoup souffert, tellement qu’elle croyait, m’a-t-elle avoué plus tard, être la petite fille la plus malheureuse du monde. Dans la préparation de la rencontre avec l’auteur, nous avons lu de longs extraits de son livre, puis nous avons préparé des questions à lui poser.

Anandi a préparé le même genre de questions que tous les élèves, mais elle en avait une qui était très différente. Elle m’a demandé si elle pouvait la poser, je lui ai dit que c’était une question qui allait certainement être trop douloureuse pour l’auteur, car elle concernait la famille qu’il avait perdue. Quand elle lui a posé la question qui lui tenait vraiment à cœur, j’ai vu des larmes dans les yeux d’Abdulmalik, j’ai vu des larmes dans les yeux d’Anandi. Et, si j’en suis désolée pour ce jeune auteur, je voudrais aussi le remercier, car après cette rencontre, Anandi ne fut plus la même. Elle a pu écrire dans son cahier PEAC (projets éducatifs artistiques et culturels) que ce qu’elle retient de cette rencontre c’est que dans la vie, même s’il y a des épreuves très difficiles, des moments de grande souffrance, il ne faut pas en rester là, on peut, il faut rebondir !

Désormais, Anandi, qui aime toujours autant apprendre, est une adolescente souriante et joyeuse qui adore danser et rire. Elle a des amis et prend même des responsabilités au sein du collège.

La motivation à apprendre a porté cette élève de telle façon que ni les diphtongues de notre langue, ni les marques du pluriel, y compris celles du participe passé, ni le programme d’histoire, pourtant très différent de ce qu’elle avait appris jusque-là, ne lui ont semblé insurmontables. Mais c’est une rencontre sur laquelle nous avons pu mettre des mots, ensemble, qui lui ont permis de laisser revenir sa joie de vivre et de l’exprimer.

Patricia Bleydorn-Spielewoy
Professeure des écoles chargée de l’enseignement du français en école en Allemagne