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100 ans pour changer l’école ?

Aux côtés d’autres associations et mouvements pédagogiques, le CRAP-Cahiers pédagogiques a célébré en juillet 2021 le centenaire du Congrès international d’éducation de Calais, qui avait débouché sur la proclamation de « principes de ralliement » et sur la fondation de la Ligue internationale pour l’éducation nouvelle1. La rencontre de 1921 s’inscrivait dans une chronologie plus longue, celle d’une pensée sur l’éducation, critique et réformatrice, forgée à l’heure où des États-nations en construction et au seuil de l’industrialisation scolarisaient leurs populations en masse.

Pionniers et pionnières

Au fil des décennies, les expressions mettre « l’enfant au centre », utiliser des « méthodes actives », ou encore « ouvrir l’école » sur son environnement, sont devenues des éléments de langage qui ont contribué à gommer les différences entre des courants de pensée très divers. En effet, les programmes pédagogiques promus il y a un siècle relevaient de visions différentes de l’enfant, de l’éducation et de la société. Réfléchir au sens donné à la promotion de l’autonomie permet par exemple d’interroger l’école des Roches ou l’essor des coopératives scolaires d’un point de vue philosophique ; contextualiser des conceptions du développement et des apprentissages situe Maria Montessori ou Jean Piaget dans l’histoire de la naissance de la psychologie comme discipline scientifique ; rendre compte d’ancrages politiques suppose de restituer les clivages idéologiques d’alors entre libéralismes et socialismes.

Des médecins comme Ovide Decroly, des inspecteurs de l’enseignement primaire comme Roger Cousinet, des psychologues comme Édouard Claparède, ont contribué à faire naitre et à incarner les principes de l’éducation nouvelle au début du XXe siècle. L’action de ces pionniers a été permise par leur inscription dans de nombreux réseaux intellectuels et professionnels, locaux et transnationaux, comme la revue Pour l’ère nouvelle ou le Bureau international d’éducation dans l’entre-deux-guerres – réseaux dont les femmes étaient d’ailleurs loin d’être absentes.

Les membres de différentes associations, qu’ils en aient été les fondateurs ou non, ont ensuite repris, approfondi, actualisé, ou encore réorienté leur héritage en fonction des mutations des contextes éducatifs, économiques, sociaux, politiques et culturels du XXe siècle. En ce sens, les évolutions du Groupe français d’éducation nouvelle (GFEN), de sa fondation en 1929 au « tous capables ! » des années 1980, en passant par l’empreinte du psychologue Henri Wallon, diffèrent de celles des Cahiers pédagogiques, fondés au milieu des années 1940 pour servir à l’origine de bulletin de liaison aux adhérents de l’Association nationale des éducateurs des classes nouvelles de l’enseignement du second degré (Anecses).

Le travail de reconnaissance institutionnelle mené par les collectifs ancrés dans l’histoire de l’éducation nouvelle est toujours en cours, des écoles nouvelles aux établissements différents, des innovations aux expérimentations pédagogiques, de l’éducation populaire aux réformes scolaires structurelles ou pédagogiques. Historiens, sociologues et politistes enquêtent sur les ressorts de la mobilisation collective et les logiques de l’action publique qui ont conduit, de la fin du XIXe siècle à nos jours, à rendre plus ou moins acceptable la diffusion d’idées et de pratiques en dehors des collectifs de pensée qui en étaient à l’origine.

Quels objectifs ?

Les élèves d’aujourd’hui et leurs enseignants écrivent l’histoire inachevée des différents courants de l’éducation nouvelle. Cela implique de questionner leurs pratiques quotidiennes, leurs représentations et leurs valeurs. Certains travaux abordent l’étude de dispositifs pédagogiques perçus comme emblématiques de l’éducation nouvelle, du plan de travail et du conseil d’élèves à la pédagogie de projet, dans une visée compréhensive ; ils peuvent intègrer des variables didactiques mises en jeu en fonction des apprentissages visés, qu’ils soient disciplinaires ou non. Les questions posées aux systèmes scolaires contemporains donnent parfois aux questions de recherche une portée évaluative : Maria Montessori, Célestin Freinet, finalement, est-ce que « ça marche » ? Pour quels élèves, dans quels contextes socioéconomiques et scolaires, et, surtout, en fonction de quels objectifs éducatifs ? Pour creuser ces questions vives, les psychologues cognitivistes recueillent, analysent et mobilisent d’autres données et concepts que les sociologues qui étudient depuis les années 1960 les caractéristiques et les limites des pédagogies invisibles.

Un siècle après le Congrès de Calais, la « galaxie des pédagogies alternatives »2 s’est profondément renouvelée. Entre ruptures et continuités, sa complexité appelle à continuer à puiser dans des travaux issus de plusieurs disciplines de recherche pour l’étudier.

Claire Ravez
Chargée d’études, équipe Veille et analyses de l’IFé (ENS de Lyon)

Pour aller plus loin

Claire Ravez, « L’éducation nouvelle : une mosaïque centenaire », Dossier de veille de l’IFÉ n° 138, juin 2021, ENS de Lyon. En ligne : http://veille-et-analyses.ens-lyon.fr/DA/detailsDossier.php?parent=accueil&dossier=138&lang=fr


Article paru dans le n° 572 des Cahiers pédagogiques, en vente sur notre librairie :

 

 

Entretiens en milieu scolaire

Coordonné par Michèle Amiel et Anne-Marie Cloet-Sanchez
L’entretien est une forme d’échanges avec les élèves, les familles, les collègues, les personnels ou les stagiaires, etc. Entre souci de relation et exigence d’efficacité, son exercice montre que c’est une compétence qui peut se développer, et devenir même un réel support des apprentissages pour chacun.

Notes
  1. Jean-François Condette et Antoine Savoye, « Une éducation pour une ère nouvelle : le congrès international d’éducation de Calais (1921) », Les Études sociales n° 163, 2016, p. 43-77.
  2. Marie-Charlotte Allam et Sylvain Wagnon, « La galaxie des pédagogies alternatives, objet d’étude des sciences humaines et sociales », Tréma n° 50, 2018. https://journals.openedition.org/trema/4159