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Violence à l’école : un défi mondial ?

Un nouvel ouvrage de cet éminent spécialiste des violences scolaires, qui sait allier avec à-propos la rigueur du sociologue, l’humour et la pédagogie du vulgarisateur avec les pointes d’agacement ou de révolte du militant. Éric Debarbieux dirige l’Observatoire international de la violence à l’école et poursuit, malgré le peu de moyens dont il dispose, des recherches essentielles sur le phénomène en France, mais aussi ailleurs (un long séjour brésilien, des enquêtes à Djibouti ou en Angleterre), afin de comprendre ce qu’est la violence, et surtout de proposer des pistes d’action.
Il est un endroit du livre où É. Debarbieux livre cette citation très pertinente d’un de ses collaborateurs, Edige Royer : « Je suis toujours surpris par le réflexe de recourir à la solution magique, à l’intervention simple et universelle qui, rapidement et efficacement, va nous permettre de régler de manière définitive des problèmes importants qui durent depuis longtemps. Il s’agit du syndrome “pour chaque problème complexe, il y a une solution simple”. En général, c’est la plus mauvaise. » Tout le livre, en effet, se situe très loin des solutions simples ou simplistes, comme ce programme « DARE » où des policiers interviennent systématiquement dans des classes pour faire des exposés et qui s’avère, malgré les sommes investies pour le mettre en place, bien inefficace et contre-productif. Au passage, il est montré que le recours aux châtiments corporels est également nocif (étude comparative d’écoles à Djibouti) et que la violence scolaire n’est pas forcément plus forte dans les pays les plus défavorisés s’il y a une relative mobilisation et une insertion de l’école dans son quartier (contre l’idée d’écoles-forteresses).
Debarbieux renvoie dos à dos les démagogues populistes et sécuritaires (parmi lesquels les « antipédagogistes » qui ne voient de solutions que dans le refus d’un prétendu laxisme et la mythique « restauration de l’autorité », et qui souvent décrivent la situation comme apocalyptique) et certains altermondialistes qui nient la spécificité des violences proprement scolaires et se réfugient dans un commode mais désespérant immobilisme (les solutions étant « ailleurs »). Ces derniers d’ailleurs se retrouvent dans la critique du « pédagogisme ». Or, pour l’auteur, si bien entendu le contexte social est déterminant, il est cependant possible d’agir, de faire reculer cette violence qui s’exerce d’abord sur les plus pauvres et les plus démunis. On sait qu’Éric Debarbieux soutient depuis longtemps qu’on ne doit jamais oublier le point de vue des victimes et ses enquêtes le prennent en compte de manière prioritaire. Oui, on peut agir, si on parvient à travailler en équipe, à rompre l’isolement au profit de la coopération, comme le prouvent certains établissements qui ont su améliorer de façon spectaculaire une situation au départ difficile. Malgré des limites pointées avec finesse, la mise en avant des « bonnes pratiques » est essentielle, à condition qu’on les contextualise (allons voir ce qui se fait au Canada ou aux États-Unis par exemple).
Pessimiste sur le court terme (un certain homme politique qui s’est construit l’image de superflic est déjà donné président de la République !), le livre nous donne malgré tout un message positif : il n’y a pas de fatalité à la spirale irrésistible de la violence. Les pages sur les bons points relatifs de l’école primaire française, et plus encore les expériences réussies sans moyens exceptionnels vont dans ce sens.
Un ouvrage à lire de près et à conseiller bien sûr à nos gouvernants. Mais notre ministre n’a-t-il pas superbement ignoré le dernier colloque organisé par l’auteur, préférant les impasses du « policier référent » et de la recherche de boucs émissaires ?…

Jean-Michel Zakhartchouk