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Travailler à plusieurs

Méthodes et pratiques scientifiques est un enseignement d’exploration proposé aux élèves en classe de seconde générale et technologique. Est-ce de l’inter ou de la pluridisciplinarité ?

Chantal Tuffery-Rochdi : L’enseignement d’exploration MPS est un enseignement pluridisciplinaire qui implique des professeurs de Mathématiques, de Sciences de la vie et de la Terre, de Sciences physiques et chimie, et plus exceptionnellement de Sciences de l’ingénieur. Lors de mes observations, j’ai surtout constaté une juxtaposition d’enseignements disciplinaires avec assez peu d’interactions entre les professeurs sur le contenu des séances menées individuellement. Seules les séances de présentation du thème sont menées en co-animation. Dans un des lycées, sur le thème « Science et œuvres d’art », j’ai pu néanmoins constater une tentative de conception collective de séances par les deux professeurs de sciences (SVT et SPC) proche de la méthode préconisée pour l’EIST (enseignement intégré des sciences et de la technologie) en collège. Dans ce lycée, l’équipe est stable depuis plusieurs années, il est donc possible de construire un projet en interdisciplinarité ; mais pour cela, le groupe doit réfléchir au projet en amont et bien souvent les équipes de MPS ne se découvrent que lors de la rentrée scolaire.

En revanche, contrairement à ce qui est souvent regretté pour les TPE, en MPS les mathématiques ne sont pas limitées à un rôle d’outil au service des autres disciplines.

Quelles sont selon vous les motivations ou les réticences des enseignants de mathématiques à ce travail pluri ou interdisciplinaire avec des enseignants scientifiques ?

C. T.-R. : Il me semble qu’il y a surtout des craintes, donc des réticences, pour plusieurs raisons, dont certaines ne concernent pas uniquement les enseignants de mathématiques.

Tout d’abord les thèmes proposés sont souvent bien loin des connaissances universitaires des professeurs de mathématiques qui ne voient pas quel rôle peuvent y tenir les mathématiques. Ensuite, les démarches attendues (de projet, d’investigation) en MPS sont assez éloignées de leur pratique quotidienne, ce qui est peut-être moins le cas pour les enseignants de SVT ou de physique-chimie.

Une autre difficulté tient au fonctionnement de cet enseignement d’exploration ; le plus souvent, chaque semaine, deux enseignants sur trois interviennent auprès d’un groupe d’élèves avec parfois une pause la quatrième semaine. Cela a pour conséquence qu’un enseignant peut ne voir les élèves qu’une ou deux fois par mois et ce sont des groupes d’élèves issus de toutes les secondes et non pas de la classe de l’enseignant. Ainsi, il les connaît très peu et les voit peu souvent.

La dernière raison, c’est le peu de considération qui est parfois accordé à cet enseignement d’exploration par l’administration. J’ai rencontré des enseignants de sciences à qui l’on donnait une petite salle banalisée, pas du tout fonctionnelle pour mettre en place des expérimentations.

TPE, enseignements d’exploration, EPI : le croisement des disciplines semble être porté par l’Institution. Dans le même temps, l’enseignant est toujours évalué par un inspecteur de sa discipline. Comment analysez-vous cela ?

C. T.-R. : Effectivement, on note une volonté de décloisonnement des disciplines avec la mise en œuvre depuis les années 2000 d’enseignements pluridisciplinaires depuis le collège jusqu’aux classes préparatoires en passant par les lycées professionnels et généraux. Cette volonté semble se poursuivre avec les EPI (enseignements pratiques interdisciplinaires) prévus par la réforme du collège.

Dans le même temps, même si les choses évoluent au sein des ESPE, la formation universitaire ou didactique des professeurs reste disciplinaire. Et les ressources, les sites associatifs ou encore les revues professionnelles restent eux aussi principalement disciplinaires. Que l’enseignant reste évalué par un inspecteur de sa discipline me semble normal mais il faut que l’évaluation prenne aussi en compte l’implication dans ces enseignements pluridisciplinaires.

La démarche d’investigation (DI) rend-elle les mathématiques plus accessibles aux élèves en difficulté ?

C. T.-R. : La démarche d’investigation est une pratique qui peut changer l’image des mathématiques ; elle favorise leur apprentissage par tous les élèves, donc bien sûr par ceux qui sont en difficulté.

Il y faut toutefois des conditions et la plus importante me semble être la conduite de la phase de structuration des connaissances. Lorsque sont terminées les expérimentations pour valider ou invalider les hypothèses de résolution du problème posé émises par les élèves, l’enseignant stabilise les connaissances en reprenant toute la démarche et en faisant émerger les conclusions déduites des expériences. Cette phase intervient à la fin de la séance et il peut arriver que l’enseignant manque de temps pour la mettre en œuvre correctement. Par ailleurs, elle demande un niveau d’expertise important de la part du professeur. Cette phase est souvent jugée compliquée à mener par les enseignants eux-mêmes mais son absence pénalise davantage les élèves en difficulté.

La DI entraîne l’élève à raisonner : que nous dit-elle sur le rapport à l’erreur de l’élève et sa prise en compte dans le processus d’apprentissage ?

C. T.-R. : C’est une bonne démarche pour changer le statut de l’erreur. L’émission d’hypothèses variées doit être favorisée mais il arrive que le poids du groupe, en particulier lorsque les élèves ne se connaissent pas car issus de classes différentes, limite cette expression. Souvent, les élèves ont peur de proposer des pistes de solutions erronées.

En outre, la démarche d’investigation développe la capacité d’argumentation, ce qui concourt au développement de l’esprit critique. L’élève apprend à développer ses arguments lors de la démarche d’investigation. La phase d’échange des résultats obtenus et d’argumentation est aussi une phase difficile à mener par l’enseignant qui doit veiller à ce que les élèves ne valident pas une réponse erronée sous l’impulsion de quelques élèves plus convaincants que les autres.

L’enseignant de mathématiques qui s’empare de la DI modifie-t-il ses pratiques ?

C. T.-R. : Il est certain que mettre en place une séance fondée sur une démarche d’investigation conduit à modifier ses pratiques ; cela demande du temps et exige une autre façon de travailler. La phase de préparation est cruciale, l’enseignant doit bien évaluer les savoirs en jeu et concevoir une situation de départ porteuse et susceptible de motiver les élèves, ce qui favorisera la dévolution du problème. Il doit aussi anticiper de la façon la plus large possible les réponses et les difficultés des élèves. La gestion de la séance est aussi très différente et repose sur un contrat didactique particulier. L’enseignant n’est plus le seul détenteur du savoir mais assure un rôle de guide et de médiateur entre l’élève et les connaissances en jeu.

Le travail à plusieurs est-il, selon vous, un élément de la professionnalité enseignante ? Ne crée-t-il pas de l’insécurité chez les enseignants ?

C. T.-R. : Oui, le travail collectif devient un élément de la professionnalité. Il le sera encore davantage au collège avec des programmes déclinés par cycle ou encore avec les EPI.

Il devrait être sécurisant mais il faut reconnaitre que ce n’est pas toujours le cas. Chaque enseignant doit se dire qu’il y a un apport dans les deux sens, y compris avec les jeunes professeurs sortis de l’ESPE qui apportent des connaissances récentes issues de leur formation. Ensuite, ce sont les échanges autour des méthodes qui vont sécuriser ceux qui en ont besoin. Pour cela, il faut prévoir des temps de concertation.

La DI et plus généralement la démarche scientifique place l’enseignant en situation de chercheur par rapport au savoir à enseigner. Est-ce un « plus » pour l’enseignement des disciplines scientifiques ?

C.T-R : Les enseignants de mathématiques ont tous accès à l’IREM ; c’est un avantage par rapport aux autres disciplines. Les enseignants peuvent animer ou participer à des ateliers, assister aux séminaires organisés, ou encore mener une recherche-action.

Je ne pense pas qu’il soit nécessaire de faire de la recherche pour un enseignant. Par contre je pense qu’il est bénéfique de se tenir informé des avancées de cette recherche par la lecture régulière des revues professionnelles.

Propos recueillis par Daniel Comte
Proviseur adjoint au lycée Lislet Geoffroy à Saint-Denis (La Réunion)

Intitulé de la thèse de Chantal Tuffery-Rochdi : Les ressources au cœur des pratiques des professeurs de mathématiques : le cas de l’enseignement d’exploration MPS en Seconde