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Savoir entendre les élèves ou les étudiants, savoir traiter les problèmes

L’ambition du comité d’organisation du colloque « Racisme et discrimination raciale de l’école à l’université » était clairement d’associer une réflexion scientifique de haut niveau et internationale à une perspective pratique et politique, dans la visée de contribuer à corriger une injustice latente des institutions éducatives en France.

Si la quantité et l’assiduité du public sont un signe, alors cette ligne de travail a été validée par le succès : le colloque a fait le plein pendant ses deux jours et demi en dépit (ou à cause ?) d’un programme chargé à fond. Il est vrai que le thème du racisme et de la discrimination raciale est très rarement traité dans l’université française, malgré la saillance du problème dans la société. Et encore plus rarement – jamais, en fait – en formation initiale ou continue des enseignants ou dans la formation des cadres de l’Éducation nationale. L’ESENESR (École supérieure de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche) ne reconnaît comme discriminations dignes d’être présentées aux cadres pour qu’ils sachent les repérer, les prévenir et réagir le cas échéant, que l’inégalité filles-garçons et le handicap.

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Il ne s’agit pas ici de suggérer qu’au concours de l’impact scolaire, la discrimination raciale surpasserait les deux autres, mais elle serait assurément dans le tiercé de tête, à en juger par les déclarations des personnes interrogées dans les enquêtes à grand échantillon (qui se déclarent auteurs, victimes, ou témoins de discriminations raciales). Rappelons qu’une large enquête à ce sujet a été passée en 2008 par l’INED et l’INSEE à 22 000 personnes, l’enquête « Trajectoires et Origines »[[Présentation sur : https://www.ined.fr/fr/publications/grandes-enquetes/trajectoires-et-origines/]]. Le Défenseur des droits a, de son côté, réalisé une grande enquête sur l’expérience des discriminations, qui sera publiée au début 2019.

Question taboue

Si donc le problème n’a pas vraiment d’existence reconnue au plan institutionnel – il s’agit encore à l’école, on peut le dire, d’une question taboue –, nombre de personnes ont rencontré la discrimination raciale dans leur vie scolaire ou à l’université, et il y a de la recherche scientifique sur la question, plus souvent à l’étranger, mais aussi en France, de plus en plus. Le laboratoire URMIS a, lui, une tradition de recherche académique sur la question du racisme qui remonte aux années 1980. Plus de cinquante intervenants ont fait une présentation lors du colloque, dont une bonne proportion de doctorants et jeunes chercheurs[[Voir https://racismeecole.sciencesconf.org/program. Le colloque sera mis en ligne, ce qui permettra de suivre les discussions.]]. Parmi les intervenants, figuraient quatre conférenciers éminents venant de l’étranger.

Mentionnons seulement Philomena Essed, chercheuse hollandaise exerçant aux États-Unis. Son apport a plané sur toute la rencontre car elle est l’auteure d’un livre exceptionnellement inspirant pour le propos du colloque, Understanding Everyday racism (1991), Comprendre le racisme au quotidien. Il n’est pas traduit et ne se trouve généralement pas en bibliothèque, mais on peut l’acheter sur internet. Ce livre analyse, à partir d’entretiens approfondis, l’expérience ordinaire que des femmes noires diplômées ont du racisme (à la ville, dans leurs métiers, à l’université) selon qu’elles vivent aux États-Unis ou aux Pays-Bas. Les Pays-Bas, on le sait, se veulent un pays tolérant, ouvert à la différence, et non raciste, contrastant avec l’emprise de l’idéologie raciste aux États-Unis. Il n’empêche que les femmes interviewées aux Pays-Bas évoquent elles aussi des expériences où elles se sont vues réduites à leur altérité. Le préjugé racial est plus culturel, moins crument raciste qu’aux États-Unis. Mais il est prégnant.

Ce qui fait problème

La situation française ne se laisse-t-elle pas lire à la lumière de cette réflexion ? Toute la fin du colloque a été occupée par un échange largement partagé autour de cette question. De jeunes diplômées du Master professionnel « Migrations internationales – Relations interethniques » de l’université Paris 7[[Ce Master, co-dirigé par Fabrice Dhume et Marguerite Cognet, n’a hélas pas survécu à la recomposition des formations en 2018.]], ont exposé les résultats d’une enquête exploratoire sur l’expérience du racisme parmi les étudiants et (dans une moindre mesure) les personnels de l’université Paris 7 Diderot, montrant notamment qu’une importante partie d’entre elles et eux (environ un cinquième) a rencontré le préjugé racial et n’a personne à qui en parler. Elles ont noté par ailleurs la méconnaissance du problème par diverses personnes qui détiennent des rôles d’autorité dans l’université.

La référente racisme de l’université Paris 7 a, dans sa propre présentation, légitimé cette position de retrait. Notant que les sept autres établissements de la communauté d’établissements (COMUE) Sorbonne Paris Cité n’ont même pas de référent racisme, elle a conclu qu’à l’université « la question des discriminations n’est pas vraiment un problème », avant d’ajouter en forme de boutade dans la discussion animée qui a suivi : « L’ignorance pourrait être levée dans quelques décennies, c’est le temps qu’il a fallu à l’égalité hommes-femmes. »

Le Défenseur des droits ne l’a pas soutenue dans cette position attentiste. « Je suis attaché à ce que l’ensemble des acteurs aient une meilleure appréhension de l’importance du phénomène des discriminations en général, et des discriminations raciales en particulier », a-t-il déclaré, avant d’annoncer plusieurs initiatives à l’appui de cette orientation. « La discrimination est au cœur de notre principe d’égalité, a-t-il conclu, l’attachement à l’égalité et à la méritocratie de l’école et de l’université ne doit pas les rendre aveugles. Il y a besoin de lucidité, de courage, de tolérance, pour avancer dans nos têtes, nos cœurs, nos actes, sur le chemin très escarpé de l’égalité. »

Et toi lectrice, lecteur, que penses-tu de la lutte contre les discriminations raciales à l’école ? Est-elle à mener ? Doit-elle au contraire être remisée ? As-tu toi-même une expérience à ce sujet ? Le CRAP-Cahiers pédagogiques est preneur de témoignages qui viendraient nourrir un débat.

Françoise Lorcerie
Directrice de recherches au CNRS (IREMAM), Aix-en-Provence


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