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Il y a quelques jours, dans un collège de Marseille, situé dans les quartiers Nord et appartenant à un réseau d’éducation prioritaire, une scène banale de " violence scolaire " a connu un développement qui devrait donner à réfléchir à ceux qui prônent et installent les solutions " policières " en réponse aux problèmes de l’agressivité et de la violence à l’école. La conduite agitée de deux élèves qui sèment la perturbation à la Vie scolaire, qui tiennent des propos injurieux vis-à-vis du chef d’établissement, bref devenus " incontrôlables ", amène l’administration à faire appel aux îlotiers qui accourent et font eux-mêmes appel aux brigades " spécialisées ". Les policiers débarquent en voiture dans la cour du collège, gyrophare et brassards, ceinturent les gamins et leur passent les menottes devant les élèves qui sortaient de classe ! Départ vers l’Évêché (commissariat central) où les parents viendront les récupérer un peu plus tard. Et le lendemain, grève de tous les élèves du collège, traumatisés par la scène vécue la veille et qui restent toute la matinée dans la cour, nos deux jeunes agités jouant les héros et s’offrant le luxe de donner le signal du retour en classe vers 11 heures 30.
Évidemment, quelques jours plus tard, ces élèves ont été exclus définitivement de l’établissement.
L’autorisation que le ministre de l’Éducation nationale va donner aux forces de police d’intervenir à l’intérieur des établissements risque de banaliser ce type de " bavure " (comment qualifier autrement un passage de menottes devant leurs camarades à deux gamins de quatorze ans qui chahutaient ?) Il cède, ce faisant, aux pressions de tous ceux qui rêvent sans le dire et même souvent sans se l’avouer d’une école protégée, hors du temps, où des élèves polis et sans casquette, oublieraient en franchissant les portes du collège les galères et les drames dans lesquels ils sont plongés et dont les parents seraient des partenaires éducatifs présents et avisés. Or, les collégiens sont les jeunes d’aujourd’hui et ceux qui sont scolarisés dans les secteurs de l’éducation prioritaire vivent parfois au quotidien dans la violence et le désespoir. Ceux qui s’en approchent sans peur, sans haine, sans se boucher le nez savent que les " sauvageons " sont avant tout des jeunes qui souffrent, qui subissent la violence avant de s’en servir comme unique moyen d’expression, après avoir attendu et espéré en vain de l’écoute, du respect et de la sympathie. Beaucoup sont, lorsqu’ils entrent au collège, sur la crête du mur séparant l’intégration et l’exclusion. Qu’on leur tende la main, qu’ils sentent qu’ils ont une place, qu’ils ont une valeur et ils passeront du bon côté du mur ; qu’ils ressentent au contraire méfiance, traitements différenciés, mépris et ils embarquent dans la spirale de la révolte, de la marginalité et de l’exclusion.
Ce ne sont pas ces mesures répressives qui résoudront les problèmes de la violence ; elles ne feront que les aggraver. Ce qu’il faut, c’est multiplier autour de ces enfants en souffrance les lieux d’écoute, les assistantes sociales, les psychologues et les psychiatres, les aides éducateurs et les enseignants ; c’est lutter avec davantage de détermination contre les classes ghettos, les classes poubelles, les classes protégées, les classes CAMIF, toutes classes qui théoriquement n’existent pas ; c’est faire respecter la sectorisation et abolir les privilèges et les prés carrés car, plus que tout autre, nos écorchés vifs sont sensibles à ces injustices et à ces marques de mépris et ce qu’il faut c’est laisser en dehors des collèges ces cow-boys qui nous jouent de mauvais westerns.
Jacques Dubrocard, Professeur de maths en collège ZEP, Marseille.
le 10 mars 2000Lundi 3 janvier 2000, jour de rentrée des classes, les journalistes ont chaussé leurs bottes pour aller vers les plages sinistrées et les forêts dévastées. Oublié le bogue, et peut-être oubliée la campagne annuelle sur la violence à l’école ?
Lundi 3 janvier 2000, jour de rentrée des classes : tout est calme dans mon collège de banlieue presque ZEP : cette année, pas de carreaux cassés, pas de robinets arrachés, pas de pneus crevés, pas de graffitis - ni dedans ni dehors - la dernière bagarre remonte à un mois et demi, aucune demande d’exclusion ; juste deux classes de cinquième à surveiller de près, quelques garçons de quatrième à convoquer. On se prendrait à penser que c’est grâce à notre travail que tout va si bien cette année Et si l’épidémie de grippe ne décime pas l’équipe et que les journalistes ne s’en mêlent pas, on se prendrait même à croire que ça va durer.
Lundi 10 janvier : la grippe est bien là, mais les journalistes ne parlent toujours pas d’autre violence que celle du vent et du pétrole.
Lundi 17 janvier à sept heures : un petit flash à France Info : violence entre élèves dans un lycée professionnel. Aïe ! Ça y est ! le lendemain, concert dans tous les médias : quel unisson ! Et tous les jours qui suivent, à toutes les heures même parfois, de nouveaux fait divers répétés à l’envie pour tous publics de sept à soixante-dix-sept ans : la violence à l’école fait de nouveau recette.
Lundi 24 janvier : le collège s’agite ; depuis quelques jours les graffitis refleurissent, aux intercours des professeurs se sont fait insulter dans les couloirs, des objets volent dans les escaliers : canettes de Fanta, ufs, et même des chaises. Toutes affaires cessantes, la direction sillonne les couloirs et la cour de récréation : au passage un petit groupe d’élèves chantonne : " la violence à l’école ! la violence à l’école ! " (sic).
Jeudi 27 janvier : Un professeur a retrouvé sa voiture entièrement rayée. Le ministre dévoile son nouveau plan anti-violence, si bien résumé par les journalistes : " prévention dans le primaire, répression dans le secondaire ".
Vendredi 28 : une dizaine de professeurs arrivent ensemble dans mon bureau pour demander de l’aide et des solutions.
Lundi 31 janvier : huit heures : quatre professeurs absents, les deux surveillants malades, sans parler des agents. Je fais face mais je nourris au fond de moi un sourd ressentiment contre les journalistes ; heureusement, les vacances approchent et les élections autrichiennes ont remisé les violences à l’école aux oubliettes médiatiques.
Quelle est la morale de l’histoire ?
Que quand la forêt méditerranéenne est prête à brûler en plein mois d’août, il suffit d’une étincelle pour y mettre le feu ; et que celui qui provoque l’étincelle s’appelle un pyromane.
Que si les médias voulaient dénoncer la violence des adultes au travail, ils trouveraient certainement quelques faits divers quotidiens largement aussi croustillants que dans les écoles : des morts par accidents du travail, des violences morales pour pousser les gens à la démission, j’en passe et des meilleures.
Mais exciter la société à la colère contre les patrons est un peu passé de mode en ce début de millénaire. Il est sans doute plus civique d’y instiller la peur des adolescents.
Noëlle Villatte, Principal de collège. Bagneux, le 8 février 2000.
le 10 mars 2000Il a fallu l’accumulation fortuite de plusieurs affaires dans le courant du mois de janvier pour que les médias, soudain et une fois de plus, s’émeuvent de la violence-qui-gangrène-l’école. Alors, comme un seul homme et comme d’habitude, tout le monde rejoint le cortège des protestataires et entonne les trompettes de l’indignation moralisante.
C’est la faute aux parents qui ne tiennent plus leurs enfants.
C’est la faute à la famille qui n’existe plus.
C’est la faute au chômage qui exclut.
C’est la faute à la société qui ne respecte pas ses propres lois.
C’est la faute aux professeurs qui ne savent pas s’adapter.
C’est la faute à l’école qui ne sait plus ni punir ni instruire.
Stop ! On a fait le tour !
Et nous les enseignants, trop souvent ballottés, agressés, réduits à l’impuissance, allons-nous continuer à ruminer dans notre coin contre le manque de moyens, contre l’incurie de l’administration, contre l’autoritarisme des inspecteurs, contre les programmes, contre les collègues, contre les élèves ?
Sommes-nous donc à ce point liés et contraints, que nous ne puissions rien faire d’autre que ce qu’" on " nous ordonne de faire ?
La première chose qui relève entièrement de notre responsabilité est bien de nous interroger, d’analyser nos pratiques et d’organiser nos activités pédagogiques.
La seconde est de nous concerter même si l’on ne nous en accorde pas suffisamment le temps.
La troisième est de considérer les élèves comme des citoyens en puissance qui font l’apprentissage de la responsabilité en se confrontant au savoir et à la loi.
Et s’il est d’abord demandé aux élèves de se situer dans une institution qui comporte un règlement intérieur à l’élaboration duquel ils peuvent être associés, des instances où leur parole peut être entendue, des espaces et des temps dans lesquels ils peuvent espérer se déplacer sans être a priori considérés comme des suspects, c’est au sein même de l’acte d’apprendre que se joue l’essentiel.
C’est là en effet que prend place la confrontation intime entre la parole de l’élève et celle du maître dans une relation au savoir et à l’autorité qui construira une part essentielle de son identité. À ce moment, s’il est privé de tout pouvoir sur la nature des questions qu’il pose, sur les cheminements que peuvent emprunter ses apprentissages, sur ses notes, sur son orientation, sur les examens et les contrôles qu’on lui impose, l’élève cesse d’apprendre, il subit, s’ennuie, renonce ou se révolte. C’est bien là, en classe, dans les relations qui se nouent avec ses profs et ses camarades, que se détermine ce qui va ensuite se prolonger dans la cour, les gymnases, les ateliers, les couloirs, hors de l’établissement. Sans même le savoir parfois, sans même l’analyser, des enseignants bourrent de haine leurs élèves parce que par exemple l’humiliation, l’image dégradée de soi que donnent une " évaluation " négative, une mauvaise note, sont insupportables. Et la classe est trop souvent le lieu de cette atteinte intolérable à la personne, parfois dès la maternelle.
L’exercice de l’esprit critique est certes au fondement de la démocratie. Mais c’est bien par une pédagogie fondée concrètement sur les principes démocratiques du dialogue, de la médiation positive, du respect des personnes que s’acquiert cet esprit critique. Apprendre et enseigner devraient être considérés comme des activités de cette raison critique, de telle sorte que notre responsabilité d’enseignants soit engagée par cette capacité que nos élèves acquièrent, développent, oublient ou refusent, d’opposer la parole à la violence.
Lorsque malheureusement les racketteurs sévissent, lorsque des actes de barbarie - tortures, viols - sont commis par nos élèves, il est trop tard et le dialogue cède dans l’instant la place à une répression nécessaire mais, hélas, pas suffisante. Car force doit rester à la paix et l’école doit protection et réparation aux victimes. Mais l’inévitable répression signe alors l’échec de l’éducation, et il faudra bien, avec ces élèves violents, après la sanction et la fermeté revenir à la pédagogie.
C’est pourquoi il dépend de nous qu’en étant présente à chaque minute de notre métier d’enseignant, la conscience de notre responsabilité de pédagogues contribue à rendre l’école plus démocratique et combatte la violence qui l’envahit.
Pierre Madiot, le 28 janvier 2000.
Cher Pierre,
Je crois comme toi à la démocratie scolaire, à la parole, aux débats loyaux, à l’évaluation formative, au respect des élèves dans leur individualité. Comme toi j’ai essayé sur le terrain de pratiquer tout cela 1#. Mais encore faut-il que les cours puissent avoir lieu et que quelques caïds n’interdisent pas au reste de la classe, par la menace et la violence, de participer et d’avoir des résultats ; encore faut-il que les enseignants ne perdent pas un quart d’heure par heure à régler tant bien que mal les conflits ; et que les gamins et les profs ne soient pas angoissés à l’idée d’aller en classe. On dénonce justement la ghettoïsation de bien des établissements : mais chacun connaît dix exemples de gens de gauche qui ont dû retirer leurs enfants d’établissements où ils se faisaient casser la gueule. Comment leur donner tort ?
" Médiatisation " ? Je suis d’accord avec Marie-Danielle Pierrelée (Libé du 14 janvier) : le silence n’est plus possible. La liberté de la presse, c’est bien ; et le ton des journaux et de la télé, pour ce que j’ai pu en voir, m’a paru juste. Effets d’excitation sur certains élèves, sans doute, mais c’est le prix à payer pour que des gamins martyrisés osent enfin se plaindre, que profs et parents osent enfin revendiquer la sécurité pour tous.
Le " silence de gauche " n’est plus tenable et j’ai bien peur que les " explications de gauche " ne marquent aussi leurs limites. Révolte devant l’école-caserne, est-ce la bonne explication ? Et est-ce encore dans la relation pédagogique que " se joue l’essentiel " ? Je le voudrais bien, parce que nous aurions alors en main la clé. Mais il me semble constater que la violence est en amont et au-dehors : de 1993 à 1998, les actes de violence urbaine pénalisés 2 sont passés de trois mille à vingt-six mille Violence symbolique de l’école ? C’est une réalité et nous la combattons. Mais violence symbolique des pompiers, des chauffeurs de bus, des services d’urgence, des médecins, des examinateurs du permis et des mémés à sac à main ? Allons donc ! Contre la loi de la rue, celle de la famille et celle de l’école ne font pas le poids. Loi imposée par des gangs et des bandes en état de guerre civile : quelques milliers d’individus, mais autour desquels la violence s’autogénère, parce que les cogneurs sont d’anciens cognés. Un gamin a besoin de faire des conneries, pour voir ; mais dans une zone de non-droit, le drame est que ses conneries ne butent plus sur rien. Le sentiment d’impunité est une drogue dure. Et l’école contribue à la fournir : supposons qu’un enfant perturbé me donne un coup ; j’ai deux moyens de le rendre fou : faire celui qui n’a rien senti (c’est la politique classique des chefs d’établissement), ou lui dire qu’il a raison (c’est le propos que nous avons essayé de tenir, et des sociologues le tiennent encore).
Les sanctions scolaires injustes appellent à un code clair et équitable. Quand un élève réagit à un acte d’injustice d’un prof, même s’il le fait de façon outrancière, on peut bien comprendre sa révolte. Mais massacrer un condisciple à dix contre un, ou traiter de salope une jeune prof simplement parce qu’elle a l’air vulnérable, 3 ce n’est plus de la révolte, c’est de la cruauté. Injustifiable.
Une évaluation négative, une mauvaise note sont insupportables, dis-tu ? Insupportables seulement pour des personnalités à vif, antérieurement et extérieurement victimes de violences autrement plus graves qu’une appréciation scolaire. D’ailleurs, il faut bien dire : " Écrite ainsi, ta phrase n’est pas compréhensible " ou " Non, 6x7 ne font pas tout à fait 25 ". Une attitude d’éloge et d’approbation systématique est, en fin de compte, éminemment méprisante - et sentie comme telle.
Non, la difficulté est plus vaste. Elle a en son cur l’échec de l’intégration des immigrés. Là est la zone douloureuse, à traiter d’urgence. Tout article traitant de la violence scolaire et évitant par mille ellipses et allusions le mot " immigration " me semble écrit par une autruche. Or l’école n’est pas responsable de l’urbanisme catastrophique démarré il y a quarante ans, du chômage, des chocs de l’acculturation (règles familiales, statut des femmes), des entraves mises à l’ouverture des lieux de culte, des réseaux de la drogue, de la défiance des employeurs, des répercussions des conflits des pays d’origine, de l’affaissement ou du dévoiement de la culture syndicale, etc. Sans une politique d’urbanisme volontariste, sans le soutien à la vie associative (autre chose que des arrosages irresponsables), le droit de vote municipal aux immigrés, etc, la vie de centaines de milliers de gamins de banlieue, et leur scolarité, seront gâchées par la peur et l’insécurité. L’urgence est politique, et elle est globale.
Philippe Lecarme, Le 3 février 2000.
Cher Philippe,
Tout point de vue est réducteur puisqu’il fait apparaître un regard et l’endroit d’où il provient. Plutôt que de prétendre à l’omniscience et de proférer des généralités inopérantes, je continue donc à m’interroger là où je peux agir c’est-à-dire au niveau de mes pratiques de pédagogue.
Dans le même temps, je vois bien les limites de ce parti pris et je te remercie de me rappeler à d’autres réalités qui s’imposent avec autant d’évidence que celles que j’ai choisi de souligner.
Toutefois, je ne peux m’empêcher de rappeler combien il est dangereux de laisser entendre que la montée de la violence serait imputable au problème de l’intégration des immigrés. Si ce problème est sans aucun doute inquiétant et massif, il ne fait en réalité qu’amplifier de manière catastrophique une situation scolaire qui n’a pas besoin de l’exclusion sociale pour générer de l’ennui, du non-sens, du désespoir, de la révolte et de la violence. Faut-il entrer dans le jeu d’établir qui est le plus responsable d’une situation qui dégénère ?
Je pense que la violence est bien, comme tu le dis, un problème de société mais n’ignorons pas ce qu’elle nous dit sur l’école et sur ce que nous y faisons.
Pierre Madiot, Le 5 février 2000.
Cher Pierre,
De réécriture en réécriture, nos points de vue se rapprochent. Reste une divergence : est-il " dangereux " de dire certaines choses ? Je crois plutôt qu’il est néfaste de mal les dire, mais encore plus néfaste de les taire quand elles sont vraies. Les jeunes originaires de l’immigration subissent une violence multifactorielle, venue d’une part, de l’accueil réticent de la société française et d’autre part, de gangs ou de caïds qui leur pourrissent la vie ; comme leurs parents ont subi et subissent encore une permanente violence sociale aux multiples facteurs. Les enfants et adolescents des quartiers sensibles viennent à l’école avec ce vécu-là. Il faut le savoir et le dire, sous peine de ne pas comprendre l’ampleur des terribles difficultés que rencontre l’école aujourd’hui.
Philippe Lecarme, Le 7 février 2000.
le 10 mars 2000La mère de Yannick est contente de m’apprendre que son fils a été pris comme apprenti chez un charcutier et que ce travail lui plaît beaucoup. Elle est soulagée après des années d’inquiétude : Yannick était connu dans le collège pour son obstination méthodique à refuser tranquillement tout travail. Les entrevues avec sa mère se soldaient, des deux côtés, par de grands soupirs d’impuissance.
De Vanessa non plus on n’aurait pas auguré grand bien pour l’avenir. Elle semblait borner ses efforts à avoir dix sur vingt et riait quand les profs lui reprochaient de s’en tenir là. On se disait : au lycée, elle va s’effondrer. Elle me hèle gentiment dans la rue et m’annonce qu’elle a eu son bac de français. Oh un peu juste, évidemment ; mais enfin, ça lui plaît, elle tient le coup.
Et Nadir, qui étalait ses grandes jambes entre deux tables et répondait toujours d’un air narquois, d’un bout à l’autre de l’année ? Il travaille, anime un groupe de rock et est très amoureux d’une de ses copines de cette ancienne classe de 3e.
Envie d’histoires à l’eau de rose, aujourd’hui ? Non, les évolutions, ça existe. Dans tous les sens, d’accord. Mais dans celui-là aussi.
Alors, quand Steve pose sur la table le bloc-notes qui lui tient lieu de classeur avec le roman qu’il n’ouvrira pas, puisqu’il n’est là que pour attendre l’âge d’aller en apprentissage ; quand le conseil de classe voue Cindy aux gémonies pour son mutisme boudeur et sa façon de travailler du bout des lèvres, je sais qu’il faut se redire : patience. Certains, comme ceux-là et d’autres, sont en attente.
Attente du moment où, délivrés d’un poids que nous n’avons pas à connaître, ils apprendront ; où, libérés du souci de rester strictement identiques à eux-mêmes pour ne pas grandir, ils pourront lire et accueillir les idées des autres ; où, reconnus dans la seule activité qui leur convienne, ils pourront en accepter d’autres. Psychologie de bazar ? Donnez m’en une qui explique comment quelqu’un peut cultiver l’échec pendant les trente-six semaines d’une année scolaire, et remettre ça l’année suivante.
Que faire alors, en attendant ? On peut déjà éviter d’aggraver, par le mépris, par exemple, ou les prédictions, si sûres d’elles-mêmes, d’échec et de catastrophe. Bien sûr, il y a ceux qui rendent la vie si difficile à eux-mêmes et aux autres qu’on trouve parfois d’autres mesures, les classes-relais par exemple. Essayons alors d’en arriver là le moins souvent possible, et pour ceux qui, à un degré moindre mais bien réel, décrochent, d’imaginer des attitudes et des ruses tout en sachant que l’échec est possible. Dans une récente journée IUFM, un stagiaire a demandé une liste de trucs concrets pour tenter de ramener au travail quelqu’un qui s’y refuse. Il a bien fallu s’y mettre. Sans atteindre des sommets d’originalité, on trouve bien dix ou douze petites choses à faire et plusieurs à éviter.
Avouons qu’on ne sait pas ce qui déclenche un retour au travail : comment Louis s’est-il remotivé, comme on dit, après sa calamiteuse année de 5e ? Impossible à savoir. Mais ça me permet de refuser de désespérer d’Amin qui n’a toujours rendu aucun devoir. Tant que je ne prétends pas savoir vraiment pourquoi il est ainsi, j’ai les mains libres, comme professionnelle : je n’ai aucune raison d’abandonner.
Florence Castincaud, professeur de français au collège Berthelot, Nogent-sur-Oise
le 10 mars 2000C’est en 1982 que les Cahiers pédagogiques consacraient un premier dossier à la bande dessinée : intitulé " La BD, une potion magique ? " (n° 203). Il s’interrogeait déjà sur l’intérêt d’étudier et de faire créer des BD à l’école. Depuis, la bande dessinée est entrée officiellement dans les programmes (depuis 1995, avec les nouveaux programmes de 6e et, depuis, à tous les niveaux du collège ; en revanche, rien dans les programmes de lycée). Les manuels ne se contentent plus d’en faire un simple " appât " pour faire passer quelques notions grammaticales, mais certains présentent des chapitres sérieux et intéressants, incitant à un véritable travail d’analyse et de création, dans le cadre de l’étude de l’image fixe.
On pourrait penser que la BD n’est plus considérée avec méfiance, voire mépris, mais qu’elle est étudiée comme un genre à part entière.
Les résistances demeurent cependant [1], dues à des préjugés culturels, à une méconnaissance du genre et de ses richesses de la part des enseignants, au genre lui-même, encore à ses débuts, offrant le pire comme le meilleur (mais n’est-ce pas le cas de toute production artistique ?), à sa complexité : à la fois image et texte, la BD a du mal à se situer dans les programmes et les pratiques : les programmes officiels la rangent dans le champ disciplinaire du français, pas dans celui des arts plastiques : cela pose problème aux enseignants de lettres qui ne se sentent pas toujours armés pour aborder le côté graphique et plastique. Peut-être est-ce pour cette raison que nous avons eu plus de facilité pour trouver des enseignants du premier degré qui font de la BD en classe. Le travail n’y est pas cloisonné comme dans le secondaire, le temps n’y est pas non plus géré de la même façon. Car étudier et faire créer des BD suppose une organisation particulière de la classe, qui en fait justement son intérêt : travailler en équipe, prendre du temps, accepter, de la part des élèves comme des adultes, un gros investissement en recherche, lecture, travail.
On trouvera dans ce numéro des échos de ces créations collectives, mais aussi des productions individuelles d’élèves, primés au fameux concours d’Angoulême [2].
Si on ne veut pas forcément faire un travail d’analyse et création, on peut utiliser la bande dessinée comme support pédagogique : on verra que le cours d’histoire se prête particulièrement bien à l’utilisation de cet outil. En français, une planche de bande dessinée peut parfaitement trouver sa place dans un groupement de textes, ou un album peut être choisi comme objet de lecture d’une " uvre intégrale ". La seconde partie de notre dossier présente un panorama d’activités diverses dans les différents degrés de l’enseignement. Panorama non exhaustif, bien sûr. Les disciplines scientifiques sont quasiment absentes [3]. Dans le domaine des langues, des travaux sur les traductions d’albums en langues étrangères ou en latin pourraient certainement trouver leur place. Le FLE, français langue étrangère, utilise souvent la BD pour travailler sur la langue et aussi sur les représentations et les stéréotypes.
La dernière partie du dossier présente divers témoignages qui montrent la richesse de ses utilisations possibles. Nous avons aussi donné la parole à des créateurs et à des diffuseurs. Les divers outils bibliographiques qui suivent seront, nous l’espérons, utiles pour ceux qui veulent se lancer dans l’aventure.
Certes, la bande dessinée a encore du chemin à faire pour trouver sa place à l’école, non comme sous-genre destiné à meubler les dernières heures avant les vacances (rôle encore trop souvent dévolu aussi au film), ou facile à faire passer auprès d’élèves en difficulté. C’est un média à part entière, qui a aussi sa place à l’Université [4] et dans la formation, qui fait partie de notre culture, et qui peut contribuer à la formation (esprit critique, autonomie du lecteur), sans pour autant faire perdre le plaisir de la lecture. Mieux connaître et mieux comprendre, savoir critiquer, choisir et défendre ses choix : l’introduction du livre de jeunesse en classe n’a pas empêché les élèves de continuer à lire et aimer cette littérature. Il faut combattre l’idée que la " scolarisation " d’un genre en dégoûte forcément les jeunes : que resterait-il d’ailleurs à étudier si l’on mettait de côté la poésie, le roman policier, le fantastique, tous genres qui se prêtent à des travaux passionnants sans pour autant en détourner les enfants et adolescents : cela provoque plutôt en général une demande forte en lecture, écriture By Jove, mille sabords et par Toutatis, que place soit faite à la BD à l’école !
Mireille Carton, Professeur de français, Collège de l’Oradou, Clermont-Ferrand.
le 10 mars 2000Une sous-culture ? Un intrus qui n’a pas sa place dans notre noble institution, ou alors seulement comme un auxiliaire pour accrocher les regards dans les manuels ? Ou une forme d’expression qui a toutes ses lettres de noblesse et qui a nourri l’imaginaire de beaucoup d’entre nous.
Un dossier très complet sur l’utilisation de la bande dessinée, de la maternelle à l’université, en cours de français comme en cours d’histoire ou de langue. Réalisé avec notamment le concours du Centre national de la BD d’Angoulême.
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