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Elle n’était pas une élève remarquable, regardant plutôt le temps passer à mesure que le sens de ce qu’elle devait apprendre lui échappait. Elle développe son goût d’apprendre à l’Université, période où, par hasard, elle fait ses premiers pas à l’Éducation nationale en tant que surveillante d’externat. Depuis la vie scolaire, elle découvre alors les facettes du métier de CPE (conseiller principal d’éducation) qu’elle ignorait totalement lorsqu’elle était élève.

Elle qui voulait être enseignante d’anglais change de voie, passe le concours de CPE, sentant que ce qu’elle souhaitait profondément faire c’était « de veiller à ce que les conditions soient bonnes pour bien apprendre ». Elle se régale à l’IUFM (institut universitaires de formation des maitres) de Paris, dans les échanges avec les autres étudiants et à la rencontre d’enseignants éclairants comme Philippe Meirieu et Claude Lelièvre.

Elle fait son stage dans un petit collège puis est nommée au lycée Georges-Brassens de Courcouronnes (Essonne). « J’arrivais de Bretagne, préservée des phénomènes de banlieue. Là, j’ai été plongée dedans avec le plaisir de sentir que l’on sert à quelque chose. » Pendant sept ans, elle s’épanouit jusqu’au moment où elle ressent l’envie d’embrasser plus de responsabilité, d’agir plus largement. Elle rejoint un collège tout neuf et crée la vie scolaire puis saute le pas, tente le concours de chef d’établissement, le réussit et rejoint le lycée Jean-Pierre-Timbaud à Brétigny-sur-Orge (Essonne).

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Devenir chef d’établissement

Elle apprend son métier avec un proviseur qui, quelques années auparavant, avait été son tuteur lors de sa titularisation en tant que CPE. « C’était une première expérience riche, un poste hyper formateur, auprès d’un homme extraordinaire dans un établissement avec un internat, des sections sport de haut niveau, une section européenne et des projets Erasmus. » À l’occasion d’une formation où elle va « pour rendre service », elle découvre l’outil Qualéduc, une méthode de diagnostic et de projet qui utilise la qualité pour fonctionner en amélioration continue.

Elle se sent prête pour devenir à son tour cheffe d’établissement, prend la direction du collège Paul-Fort à Montlhéry. Le projet d’établissement est à réécrire, elle s’appuie sur la démarche qualité pour le construire afin de « faire le diagnostic, observer, réfléchir tous ensemble à ce que l’on peut faire et comment ». Elle arrive dans une ruche fourmillant de projets sans que les uns soient reliés aux autres et sans que toutes les classes et tous les niveaux en bénéficient.

Elle propose d’identifier les points forts et les points faibles, voir ce qui fonctionne bien et moins bien, ce qui manque, lors d’ateliers où les post-its colorés décorent les murs de constats et de questions. Elle incite à trouver des solutions lorsqu’un point négatif apparaît, à ne pas s’arrêter aux causes que l’on attribuerait aux parents et aux élèves. Elle interroge le sens des multiples projets : « Ce qui vous demande de l’énergie, est ce que c’est efficace, est ce que c’est bénéfique pour les élèves, l’établissement, pour vous. » Elle surprend et déconcerte, en débutante commet parfois des maladresses amenant une mauvaise interprétation de ses propos, une impression chez certains enseignants qu’elle pense leurs projets inefficaces, inutiles.

Construire un projet collectif

Alors, elle s’arme d’optimisme et réexplique la démarche, la construction collective qui passe nécessairement par l’identification du sens et des objectifs pédagogiques des actions. Au fil des séances, une identité commune se dégage. Le projet d’établissement se construit autour de quatre axes : « accueillir » avec en point d’orgue la transition cycle 3 et cycle 4 , « accompagner » avec un volet éducatif, « permettre » avec en toile de fond le bien être des élèves et des personnels, « construire » l’orientation en ayant le souci de prévenir le décrochage.

Il se traduit dans un contrat d’objectif et se vit en actions évaluées et améliorées sans cesse. Depuis quatre ans, il sert de cadre de référence. L’axe « accompagner » est particulièrement mobilisé. « Beaucoup d’élèves subissent le système. Comment leur le plaisir d’apprendre, laisser des traces dans leur parcours ? Apprendre c’est aussi grandir. »

Parcours éducatifs, interdisciplinarité, accompagnement personnalisé, les dispositifs se conjuguent pour une réussite éducative avec pour chaque projet des moyens en heures et une évaluation. « C’est un projet classique, travaillé par tous, mobilisé par tous, connu de tous. Pour chaque initiative, une fiche compte-rendu est rédigée par les enseignants pour déterminer en quoi les objectifs ont été atteints et compléter par d’éventuelles pistes d’amélioration. Ces fiches nourrissent mon rapport annuel d’activité qui permet de voir l’évolution de l’établissement, les axes plus ou moins investis et de rééquilibrer l’année suivante. »

Créer un espace

Les fiches sont disponibles en salle des professeurs, permettent aussi le partage, la mutualisation, la reprise d’idées. Chaque enseignant est référent d’une activité : devoirs faits, numérique, développement durable. Au fil des années, le collectif s’est construit et se consolide. Une heure de concertation chaque lundi est inscrite dans l’emploi du temps. « Il faut forcer le travail collectif, que chacun se sente obligé de se lancer. Si on ne créé pas d’espace, cela ne peut pas fonctionner. »

La réflexion collective est également de mise pour travailler sur les moyens nécessaires pour les projets, y compris en heures d’enseignement à affecter. En premier lieu, le diagnostic et les indicateurs sont partagés. Ensuite, la solution est construite collectivement. Cette année par exemple, le constat des mauvais résultats en mathématiques aux évaluations de 6e et au brevet ont amené l’équipe a envisager des dédoublements dans ces matières en classes de 6e et 5e. « Mon rôle est de piloter, de partager le diagnostic pour voir comment on peut être efficace, de veiller à ce qu’aucun niveau, aucune classe, aucun élève ne soient lésés. »

Animatrice de bassin, et pilote d’un PIAL (pôle inclusif d’accompagnement localisé), elle a proposé à ses collègues chefs d’établissement d’utiliser la démarche qualité pour avancer dans leurs projets en passant par une phase de diagnostic partagé, de coconstruction et d’évaluation. La période de confinement a validé une nouvelle fois la démarche aussi bien par l’entraide développée entre les chefs d’établissement du bassin que dans la construction concertée de solutions par l’équipe du collège. « Ça nous a soudé, on avait des réunions toutes les semaines avec les enseignants, les parents, les collègues du bassin. »

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Pilotage à distance

Elle se félicite d’avoir pris au sérieux un document de préconisations pour gérer un éventuel confinement envoyé par la Dasen (direction académique des services de l’Éducation nationale) une semaine avant la fermeture des établissements scolaires. Toute la semaine qui a précédé le confinement, l’ensemble des élèves est allé en salle informatique pour un rappel du fonctionnement de l’espace numérique de travail. Le vendredi du confinement, les enseignants ont de leur côté pris en main la classe virtuelle du CNED. « Le pilotage à distance a été assez palpitant avec des conseils pédagogiques où les idées fusaient, se partageaient, une véritable émulation collective. »

Le déconfinement a été pour elle plus difficile à vivre. « J’ai eu le sentiment d’avoir été dépossédée de ma capacité de réflexion, d’adaptation, de gestion. J’ai été dépossédée de mon autonomie. » Or, c’est cette autonomie qu’elle apprécie dans son travail, cette possibilité de se saisir du cadre, des orientations et de les adapter à un contexte local sur lequel elle a posé un diagnostic. « On a construit plein de choses et une fois que les choses ont été construites, on a reçu un texte froid, directif, puis des ordres contradictoires dont on ne parvenait pas à trouver le sens. »

Elle rêve d’un système décentralisé où le national n’imposera pas des solutions uniformes sans laisser au niveau local la possibilité d’adapter, de se baser sur la connaissance du terrain pour que les mesures s’appliquent de façon efficace et avec du sens. En adepte de la qualité, elle place au sommet des questions un grand « à quoi ça sert ? » assorti d’un « et comment saura-t-on que cela a servi à quelque chose ? ». Alors, même si les conditions de la sortie du confinement ont laissé en suspens les réponses, elle les repose en collectif pour une rentrée où les élèves seront accueillis dans les meilleurs conditions possibles pour apprendre et grandir.

Monique Royer