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Poésie : au cœur de l’éducation artistique

«… et puis, tu as besoin de poésie pour vivre
comme on a besoin de l’eau et du pain.
— Les poèmes sont tes amis.
— Les poèmes, qu’est-ce que c’est ?
— Les poèmes sont des textes qui interrogent et s’interrogent, sur le monde pas simple et les gens seuls, sur les problèmes qu’on rencontre, sur les casse-têtes du cœur et nos besoins vitaux.
— Les poèmes, ce sont des mots qui en rencontrent d’autres, comme pour la première fois.
— Le poète les a placés les uns près des autres et ce n’est pas par hasard.
— Sauf certains poètes qui connaissent très bien le hasard.
— Le poète, les poètes sont tes amis. »

Ces lignes[[Extrait de la feuille de salle d’Alice et autres merveilles, texte de Fabrice Melquiot, mise en scène Emmanuel Demarcy-Mota, Théâtre de la Ville, septembre 2016.]] que Fabrice Melquiot, poète de théâtre, adresse à l’enfant, aux enfants, résonnent, superbes, en écho à l’action co-imaginée par la fédération nationale de l’OCCE (Office central de la coopération à l’école) et le Printemps des poètes : que la poésie s’invite dans l’extraordinaire de chaque enfant et dans l’ordinaire des classes ! Qu’enfants et adolescents rencontrent ensemble, à l’école, la singularité des langues poétiques, identifient le poème comme un ami, certes étrange, parfois lumineux, parfois opaque, et qu’ils lui fassent place sur un mode léger, souple et imaginatif, ou plus prononcé.

Naissance d’un label

Est donc né le label « École en poésie », aujourd’hui attribué à 264 écoles, collèges et lycées, dont douze à l’étranger. Solliciter le label « École en poésie » pour une classe, un enseignant, une équipe pédagogique relève d’une démarche toute simple[[Voir le mode d’emploi sur http://www2.occe.coop/contenu/developpement-de-la-poesie-lecole et http://www.printempsdespoetes.com]] au moyen d’une charte dans laquelle il convient de choisir cinq items de mise en œuvre permettant de mettre la poésie au cœur de la classe, comme organiser de petits instants poétiques en classe (par exemple, deux minutes de lecture poétique chaque matin) pour favoriser la diffusion de la poésie, ou encore organiser une correspondance avec un poète, un accueil ou une rencontre en classe ou ailleurs (en bibliothèque). La poésie peut rayonner dans l’école et au-delà, en donnant des noms de poètes aux salles de classe ou aux espaces communs et profiter de l’inauguration pour initier des lectures publiques. Les établissements peuvent créer un promenoir poétique dans la cour, comportant des stations poétiques (poèmes gravés sur des plaques, arbres à poèmes, totems, bancs poétiques avec casques audios faisant entendre des poèmes dits par des enfants, etc.). On voit bien que l’enjeu est essentiellement du côté de l’invitation à créer des microprojets coopératifs, qui enthousiasment et engagent élèves et adultes, portent le dynamisme de la classe et de l’établissement en faveur de la poésie, conçue comme univers d’art, de littérature, de culture.

L’inscription de la poésie au cœur des parcours d’éducation artistique et culturelle (EAC) distingue ces microprojets de la question de l’enseignement de la poésie en cours de lettres ou de français, ou même de l’analyse, pour déplacer l’approche du poème sur le versant sensible et esthétique.

Des poètes et des Œuvres

La récente charte pour l’EAC du Haut Conseil[[http://www.education.gouv.fr/cid104769/presentation-de-la-charte-pour-l-education-artistique-et-culturelle.html#La_Charte%20pour%20l%27%C3%A9ducation%20artistique%20et%20culturelle]] rencontre particulièrement la poésie. La rencontre des œuvres se souhaite ici immersion dans le bain poétique : on lit, on dit, on goute, on murmure ou on clame des poèmes ; les poèmes s’affichent, se font friandises secrètes ou partage festif ; l’année 2016 aura vu la création de fabuleuses « kermesses poétiques », des « contredanses poétiques » que l’on glisse sous les essuie-glaces un jour de marché, des « brigades d’intervention poétiques » composées de comédiens professionnels ou des groupes d’enfants faisant irruption chaque jour d’une période donnée dans les classes juste pour dire un poème, sans commentaire, des « lâchers de ballons-poèmes » : autant d’idées, disponibles dans le « répertoire d’actions » proposé par le Printemps des poètes invitant à ce bain-rencontre.

La rencontre des poètes vivants par les élèves se trouve favorisée et accompagnée par l’OCCE et le Printemps des poètes ; elle fonde une relation à la poésie comme actes inouïs de vie littéraire et humaine au sein de la classe. L’invitation du poète en classe se doit d’être rêvée, nourrie, et soigneusement préparée.

La question du répertoire parfois interroge : du côté de l’enfance, les démarches éditoriales en faveur de la poésie sont remarquables. Nous citerons bien entendu les anthologies de Rue du Monde, celles de Motus, les recueils des éditions Cheyne (dont la collection Poèmes pour grandir) ; du côté de l’adolescence, il importe d’encore lire Rimbaud ou Anna de Noailles, mais aussi les poètes contemporains, cueillis au fil des petites ou grandes éditions ou des poéthèques en ligne.

Jean-Pierre Siméon, poète et directeur artistique du Printemps des poètes, appelle à la présence de la poésie en classe à la fois comme un instrument du savoir, un état de la conscience, un questionnement sur le monde, une expérience sensible, une interrogation du réel, un révélateur de la langue, une compréhension extensive, un éloge de l’attention, un engagement au quotidien[[Dans Introduction de la poésie au quotidien, Canopé, 2013.]].

Encourager la créativité

« Allumons les esprits ! » La poésie éveille et accélère les consciences, « objecte quelque chose du monde et au monde », et tel est bien le choix éducatif (citoyen et politique) porté par l’OCCE et le Printemps des poètes dans son invitation aux classes. Ainsi, l’opération PhotoPoème, qu’ils coorganisent également, suggère-t-elle aux classes d’explorer des poèmes qui attisent à la fois leur sensibilité et leur conscience, tel celui de Maram al-Masri, poétesse franco-syrienne (voir encadré). Cette action propose chaque année en fin d’hiver aux classes de se saisir du poème proposé « Bleu Klein » de Zéno Bianu en 2014, « Jour qui donne toute sa chance au jour » d’Yvon Le Men en 2016 ; en 2017, un poème de Tanella Boni sera offert. Chaque classe réalise une photographie en écho à ce poème et l’adresse à l’OCCE par voie électronique ; la photographie n’est pas forcément une illustration du texte, plutôt une évocation, une résonance. Toutes les photos des classes sont réunies sur un mur (serveur en ligne), constituant ensemble une grande mosaïque-poème qui sera dévoilée le jour du Printemps[[Voir les mosaïques des trois années passées et les pistes pédagogiques sur http://www.occe.coop/~photo-poeme/]].

La poésie[[Voir à ce sujet l’action nationale « Théâ » de l’OCCE qui favorise la rencontre entre des écritures théâtrales contemporaines, ses auteurs, et des classes, en partenariat avec des compagnies et des théâtres ; www.occe.coop/thea]] s’inscrit au cœur de l’éducation artistique, en tant qu’elle offre des approches sensibles, sensorielles, littéraires, de création collective. Inviter la poésie à l’école et au sein des parcours des enfants et adolescents ouvre un espace infiniment précieux, où chacun d’entre eux, à la grâce du pas de côté créatif, peut rencontrer quelque chose de lui-même dans le poème.

Katell Tison-Deimat
Coordinatrice et formatrice nationale Arts & Culture, Office central de la coopération à l’école


Paroles
Lettre d’une mère arabe à son fils
« La liberté est un cri l’explosion d’une corde dans une poitrine qui n’en peut plus. La liberté est la maitresse de la force la Belle des belles déesse de la sagesse car le monde devient sourd aux cris des mères car le monde ne prend plus dans ses bras la gazelle blessée qui a fui la balle du chasseur car il y a entre nous, mon fils, des montagnes des mers des vents et des nuits sans couleurs rythmées de peur et d’espoir mon fils, sois la goutte d’eau qui formera la vague avec les autres gouttes qui nettoiera la côte du monde et adoucira le rocher pointu. Mon fils, sois le souffle qui s’unira à l’air pour que la tempête arrache les racines de l’injustice sois l’étincelle dans la lumière, que le soleil de la liberté illumine ton pays. Ta vie m’est chère… comme celle des enfants de toutes les mères je te dédie, mon fils, à la liberté. »

Maram al-Masri, La Robe froissée, éditions Bruno Doucey, 2012.