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Le livre du mois du n°565 – Maria Montessori et Célestin Freinet, Voix et voies pour notre école

Cet ouvrage de 216 pages cherche à mettre en lumière l’œuvre de trois pédagogues majeurs du XXe siècle qui « eurent en commun de vouloir rompre avec les conceptions scolastiques de l’éducation scolaire et offrir de nouvelles voies pour l’école » (p. 9). Il prend la forme d’un véritable dialogue entre deux chercheurs spécialistes de l’œuvre de ces pionniers : Bérengère Kolly pour Maria Montessori et Henri-Louis Go pour Élise et Célestin Freinet. Il répartit leurs réflexions autour de plusieurs thématiques formant des chapitres qui, alignés, montrent la cohérence de ces traditions : la liberté, l’expression libre ; les controverses ; les intérêts, l’individualisation et l’attention ; l’espace, le corps et le naturisme ; le temps et la suspension de l’action, la coopération, l’éducation cosmique, la paix ; la normativité-normalisation ; la puissance, l’initiative et le sensible ; le travail, l’expérience et l’imitation ; l’écriture et l’esprit critique.

Alors que l’habitude est de les opposer, cet ouvrage tend à rapprocher la pensée de ces pédagogues dont les praticiens ne connaissent souvent pas très bien les apports réciproques. Ainsi, il apparait que les principales différences soulignées sont de considérer l’enfant chez le couple Freinet comme un être social et politique, alors que chez Montessori il est plus entendu comme un sujet psychologique (p. 135). Mais ces pédagogies ont de commun qu’elles s’opposent conjointement à celles dites « du bluff » (p. 163), qui empêchent les enfants d’engager de réelles expériences, par un accent mis sur l’usage de gadgets. C’est le cas notamment avec les priorités mises sur le jeu, qui se présente comme un palliatif au travail considéré comme rébarbatif. Au contraire, Montessori et Freinet promeuvent une pédagogie du travail de l’enfant, qui serait une activité propre à l’humain. Pour Montessori, la véritable aspiration de l’enfant est la persévérance dans ce travail, qui mobilise l’ensemble de l’être, son mouvement et son psychisme (p. 164). Pour Freinet, le travail est libérateur et c’est par son recours que l’humain parvient à se réaliser.

Bérengère Kolly et Henri-Louis Go expliquent pourquoi le but n’est pas de mélanger ces deux pédagogies, mais d’en clarifier les similitudes et les différences, afin de faciliter les choix des éducateurs (p. 212). Leur méthode de travail a été de croiser les approches philosophiques de textes, avec une connaissance rigoureuse et continue de pratiques dites « correctes », par une articulation de textes et de pratiques historiquement décrites (p. 212).

Rien n’est évité au sujet du parcours de Maria Montessori : ses liens avec le catholicisme, le régime de Mussolini, son rapport au capitalisme, son intérêt pour la cosmologie. La présentation faite du travail des époux Freinet nous semble un peu plus partiale, centrée sur les pratiques développées à l’école du Pioulier à Vence, mais n’évoquant que rarement l’incroyable mouvement d’idées et de pratiques issu des collectifs Freinet. Il n’en demeure que la forme et le fond de cet ouvrage sont d’une remarquable modernité : les pédagogies Montessori et Freinet ne sont pas dépassées, elles sont en mesure de répondre à de nombreux défis rencontrés par l’école française aujourd’hui. Elles ne sont également pas réservées à des publics d’enfants spécifiques, et potentiellement triés : ce sont des conceptions de l’organisation du travail d’apprentissage qui sont à la portée de tous.

Sylvain Connac

Questions à Bérengère Kolly et Henri-Louis Go

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On associe souvent Freinet à une pédagogie populaire et révolutionnaire, et Montessori à une pédagogie de l’autonomie. Pourquoi tenter de rapprocher ce qui semble si opposé ?

H.-L. G. : Je précise d’abord que la notion de « pédagogie Freinet » est une notion fabriquée dans un contexte qui ne rend pas assez compte de la réalité historique. Ce que beaucoup appellent aujourd’hui « pédagogie Freinet » renvoie à des pratiques tellement diverses qu’il est difficile de savoir de quoi elle est le nom. La pédagogie d’Élise et Célestin Freinet se voulait effectivement une pratique pédagogique populaire et révolutionnaire dans un contexte très différent de celui d’aujourd’hui. Qu’appellerions-nous une pédagogie « révolutionnaire » de nos jours ? Il me semblerait présomptueux d’affirmer que la pédagogie Freinet est révolutionnaire.

B. K. : Il faut absolument déconstruire ce que nous croyons savoir de ces pédagogues, en particulier sur Maria Montessori, qui fait l’objet de trop de vulgarisations approximatives (elle n’est tout simplement pas, par exemple, une pédagogue de l’autonomie !). Cela suppose un travail rigoureux et de longue haleine des textes, articulé à une profondeur historique et une fréquentation assidue des pratiques correctes de ces pédagogies. C’est à ce prix que peuvent apparaitre à la fois leur radicalité et leurs convergences possibles. Ainsi, notre souhait n’était pas tant de rapprocher ces pédagogies (chacune ayant sa logique propre) que de souligner les proximités qui existent entre elles sur des thématiques comme le travail, le jeu, l’individualisation du travail, etc.

Le CRAP-Cahiers pédagogiques promeut le pluralisme des approches, la nuance et la conditionnalité des affirmations. Est-ce compatible avec les pédagogies Montessori et Freinet ?

B. K. : Nous soutenons l’un et l’autre qu’il est aujourd’hui nécessaire de sortir de la gadgetisation des pédagogies et de la frénésie du « supermarché pédagogique ». Notre travail vise à transcrire ce que représentent ces pratiques si riches et complexes, dans leur esprit comme dans leurs techniques. Choisir une pédagogie, ce n’est donc pas mettre fin à la nuance, à la conditionnalité, ni même aux mixages.

H.-L. G. : Soutenir la valeur d’une pédagogie n’implique pas de nier la valeur d’autres approches possibles de l’enseignement : ce n’est pas une démarche d’exclusion ou de séparation. C’est plutôt la recherche du sens de la pédagogie en question. Nous avons d’ailleurs choisi de faire dialoguer Montessori et Freinet.

Dans cet ouvrage, il est question d’une pédagogie Freinet, issue d’un héritage. Pourquoi ne pas évoquer la diversité des réflexions et des pratiques la caractérisant ? Vaut-il mieux une pédagogie Freinet pure mais confidentielle ou des pratiques étendues mais parfois éloignées des repères initiaux ?

H.-L. G. : Il me semble qu’il n’y a pas à opposer pureté et diversité ou confidentialité et visibilité. C’est la pédagogie d’Élise et Célestin Freinet bien comprise qu’il s’agit pour nous de populariser, en veillant à ne pas l’affaiblir par une trop grande dilution et dispersion de ses techniques et du sens de ses techniques. On ne peut pas qualifier de pédagogie Freinet n’importe quelle pratique.

B. K. : Une telle position est valable aussi pour Montessori, même si cette pédagogie a diffusé des pratiques stables très largement et sur le temps long. Pour autant, en son sein également, la question du sens, des bonnes pratiques et de la compréhension fine des enjeux doit être posée, surtout à l’heure actuelle où le nom « Montessori », qui n’est pas protégé, est utilisé à tort et à travers. La démocratisation de la qualité et de la profondeur des pratiques, voilà une question d’importance, à laquelle nous tentons de répondre à notre manière.

La pédagogie Montessori est, plus souvent que celle de Freinet, utilisée comme marque par des écoles privées hors contrat. A-t-elle des compatibilités avec les conceptions libérales de l’éducation ? Pourquoi quelqu’un comme Céline Alvarez parle plus de Montessori que de Freinet ?

H.-L. G. : D’une part, Céline Alvarez ne connait rien à la pédagogie d’Élise et Célestin Freinet ; d’autre part, elle a contribué à développer une mode (parce qu’elle avait quelques connaissances sur des techniques Montessori) dans un contexte réactionnaire où l’on dénigre l’école de la République, qui est par essence l’école pour tous. Pour moi, Céline Alvarez parle surtout de ce qui fait fructifier son entreprise et son markéting. Peu importe, au fond, pour elle, à qui la vitrine se réfère.

B. K. : Céline Alvarez laisse planer l’ambigüité, en valorisant des pratiques montessoriennes tout en récusant toute association avec la pédagogie Montessori elle-même, qu’elle accuse précisément de ne pas être suffisamment souple et libérale. De fait, la présence d’un matériel et de techniques identifiables rend la pédagogie Montessori plus vulnérable à des formes d’opportunismes marchands, en particulier dans un contexte de grande indigence pédagogique de l’école. Je crois qu’il faut donc entendre ce dont ces écoles sont le symptôme : la recherche d’une autre vie à l’école, d’une autre conception de l’éducation, ce dont Montessori comme les Freinet sont incontestablement porteurs.

Propos recueillis par Sylvain Connac