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L’art des minots dans la ville

Le thème de la nature est fortement présent dans le travail de Lise Couzinier, qu’il soit mené avec des classes ou à titre personnel.

Pendant sept ans, avec le festival « Arborescence » puis avec « Seconde nature », elle a exploré au sein d’un collectif les rapports entre l’homme et la nature en lien avec les technologies. Depuis 2009, elle intervient dans les écoles dans le cadre de l’enseignement artistique et culturel, à l’initiative de la ville d’Aix en collaboration avec le rectorat, l’académie d’Aix-Marseille et la direction de la Culture.

Chaque année, la conseillère pédagogique déléguée aux arts plastiques, Chantal Blache, écrit une note sur la thématique décidée, à partir de laquelle des artistes proposent un projet. Les idées retenues sont présentées aux écoles afin qu’elles choisissent celle qui sera menée en leur sein à partir du mois de janvier. Une journée de rencontre est organisée entre les artistes retenus et les enseignants, pour mieux se connaitre et préparer une collaboration précieuse pour la réussite du projet.

En 2009, ce fut l’année Picasso. Lise Couzinier travaille avec trois classes sur le thème des cabanes. Avec des CE2, elle compose une cabane « Déjeuner sur l’herbe » à la façon d’un Rubik’s cub’iste construit avec des toiles à peindre tournant sur elles-mêmes. Les différents panneaux avaient une face peinte, inspirée du travail de Picasso, et une face noire. La cabane changeait de décor lorsque le visiteur tournait les panneaux comme des portes ou des fenêtres sur l’imaginaire. Avec une classe de maternelle, elle construit un tipi en forme de plante renversée et le nomme avec les enfants Ti’Picasso. Avec leur enseignante, les élèves visitent les expositions consacrées à Picasso et sont particulièrement attirés par les représentations du soleil du peintre. Alors, sur les feuilles qui ornent le tipi, ils dessinent des soleils revisités.
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Le travail mené est un va-et-vient entre les apprentissages scolaires et la création, un dialogue entre l’approche de l’enseignante et celle de l’artiste. La troisième classe bâtit une tente à l’ancienne dont les deux pentes sont recouvertes de gazon. A l’intérieur, les parois sont recouvertes de versions de « l’Acrobate ». Les trois cabanes sont exposées dans la cour carrée de la Cité du Livre, lieu culturel fort fréquenté à Aix-en-Provence.

« Vent des sables »

En 2010, Lise Couzinier travaille avec une classe de CLIS (élèves en situation de handicap) sur le thème de la trace. Les enfants créent sur une table lumineuse des dessins avec du sable qui sont filmés pour se transformer en dessin animé. Le travail avec l’enseignante est étroit pour que le projet aboutisse. Les cinq élèves sont autistes et le recours aux pictogrammes est nécessaire pour expliquer les mots, les consignes. Souffler sur le sable est si amusant qu’il faut parfois recommencer la trace à peine posée. La répétition est de mise d’une séance à l’autre comme un rituel rassurant. « Vent des sables », le scénario écrit avec la professeure, prend forme avec des interprétations qui surprennent Lise Couzinier, comme ces dessins magnifiques réalisés à main levée par un des élèves.

Vent des sables, école maternelle de Célony.

Vent des sables, école maternelle de Célony.


En parallèle, elle explore le même thème avec une classe de maternelle. La façon d’apprendre et d’interpréter est différente. Ici, elle utilise des sables de couleur alors que certains élèves de la classe CLIS s’effrayaient du sable bleu, ou rouge. Elle apprécie le travail avec des enfants qui ignorent les contraintes, le cadre qui s’impose à eux ou qu’ils s’imposent à l’école élémentaire. « C’est comme de l’art brut » constate Lise Couzinier. Avec une autre école, elle crée une cabane en brique de papiers, transformant la classe en petite usine. Le résultat ressemble aux bories, abris en pierres sèches que construisaient les bergers pour s’abriter en cas d’intempéries. Le papier matériau léger devient alors un matériau solide. Les travaux sont exposés lors de la manifestation C’est Sud, rendez-vous annuel de la création artistique à Aix-en-Provence. Sur le cours Mirabeau, les minots donnent à voir leurs réalisations aux passants.

Les thèmes explorés d’année en année sont en phase avec les œuvres réalisées par Lise Couzinier visitant la nature dans toutes ses expressions. En 2011, elle reprend son « esprit de l’eau » exposée au Château de Servières en 2002 et sélectionnée à la Biennale des Jeunes Créateurs en 2004 pour le soumettre aux interprétations d’enfants de CM1.

Le dispositif composé d’un monticule d’herbe surmonté d’une loupe permettait, à la façon d’un verre à saké, à chaque visiteur de voir une image lorsqu’il versait de l’eau. Avec une classe, il se transformera pour révéler par des vidéos les visions de l’eau racontées par les élèves. « Aquamorphose » recueille les témoignages esthétiques et poétiques en misant sur une interactivité où l’effet de la nature est un déclencheur. Avec une autre école, elle mène un projet de peinture flottante. Dans de l’eau où de la colle à papier a été mélangée, de la peinture est diluée au hasard. Des feuilles sont ensuite posées dessus et le résultat donne du papier marbré comme les couvertures qui recouvraient les livres dans le passé. L’exercice est simple et permet à tous les enfants de s’exprimer. Les feuilles assemblées composent au final un paysage de volutes rappelant les mouvements de l’eau.
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En 2013, le thème du Midi est une opportunité de s’intéresser au voyage, à celui de la parole à travers la rumeur. Que devient une information lorsqu’elle passe de port en port ? Un plateau télé est imaginé avec des reportages et des carnets de voyage qui deviendront dessin animé. Marseille et sa région se font capitale européenne de la culture. Lise Couzinier propose un projet en écho à celui de « Transhumances », initié par le Théâtre du Centaure. Elle souhaite reprendre l’idée de rumeur en faisant suivre le Centaure de lieu en lieu par les enfants. L’histoire serait retranscrite en images, en volume de type pop’up. Le projet est adopté par une enseignante de CLIS mais à l’heure de la réalisation, il se révèlera trop ambitieux. L’enseignement artistique et culturel c’est cela aussi : une confrontation entre l’idée artistique et la réalité pédagogique.

La part d’interprétation est importante et l’appropriation par l’enseignant et les élèves donne vie à l’intention. Lise Couzinier apprécie cette part, le moment où, du dialogue entre l’art et l’école, nait une œuvre singulière nourrie des particularités de la classe, de la patte aussi du professeur. Les réalités de la classe amènent des contraintes matérielles ou de temps, des personnalités individuelles et collective qui offrent à chaque projet une dimension unique. A raison d’une dizaine de séances de deux à trois heures pendant un semestre, les liens se nouent et l’étonnement survient de l’interprétation d’une idée réfléchie sous l’angle artistique se transformant en intention pédagogique puis en expression créative.

Créer toujours

Les projets pour 2014 ont été déjà présentés et choisis. Elle travaillera cette année sur la fabrication de poupées kachina, poupées indiennes données aux enfants lors de rituels pour communiquer avec les esprits de la nature. Chaque année, ce sont de nouvelles idées qui naissent. Et au final, de beaux résultats : les créations des enfants s’exposent dans la ville et l’art qui rentre dans l’école offre un peu de poésie et beaucoup de créativité, aux élèves qui composent leurs œuvres particulières et aux visiteurs. Du dialogue entre l’artiste, l’enseignant et les enfants naissent de beaux apprentissages où chacun trouve sa voie pour s’exprimer. Lise Couzinier témoigne de cette douce et instructive rencontre. Alors chut, laissons l’artiste entrer dans l’école et y travailler.