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École : droit de réponses – Lettres d’un jeune maître d’école

Il est hélas probable que l’ouvrage de Sylvain Grandserre, professeur d’école et pédagogue engagé n’aura pas le succès médiatique des pamphlets médiocres et fatigants qui fleurissent à chaque rentrée, et cela reste quelque part incompréhensible. Car se trouve là déroulé, avec beaucoup de finesse et d’intelligence, dans une langue vivante et avec, ce qui ne gâche rien, une bonne dose d’humour, tout ce qui fait la grandeur et les vicissitudes d’un des plus beaux métiers du monde… L’auteur « s’y connaît » et tire parti de sa pratique, depuis ses débuts : sa première expérience en CLIS (classes pour enfants ayant un handicap et confiées trop souvent à des maîtres débutants et non formés) qui l’a marqué et l’a obligé à être inventif et à personnaliser son enseignement. Il a de plus choisi très habilement un procédé d’écriture qui fonctionne bien : des réponses à des lettres à peine fictives de parents contestataires, de collègues réacs, d’anciens élèves, de débutants demandant des conseils, etc., toutes classées selon une entrée alphabétique (cela va de « apprentisseurs » à « zéro de conduite »). Cela permet à S.Grandserre d’être tour à tour celui qui répond au souci de transparence de parents inquiets, celui qui contre-argumente face aux discours répétitifs de la nostalgie d’une école mythique ou celui qui expose sa quotidienneté, dans toute sa complexité. Au passage, le livre fourmille d’idées pour la pratique : comment exploiter l’actualité, comment organiser sa classe en reprenant les outils de la pédagogie institutionnelle, comment se faire « passeur culturel », comment gérer l’hétérogénéité et personnaliser les apprentissages. Et en même temps, il s’inscrit dans les grands débats du moment, mais toujours en dépassant l’indigente logique binaire. Oui, l’école doit « résister », mais aussi s’ouvrir au monde. Oui, elle doit être un lieu protégé, mais aussi inviter à la prise de risque. Oui, elle doit bousculer, mais dans un cadre sécurisant. À un « antipédagogue statufié », S. Grandserre explique que partir des enfants n’implique pas qu’on en reste là. Il faut les amener ailleurs, mais pas en les écoeurant du savoir, « en leur laissant croire qu’apprentissages
et ennuis sont associés, en les détournant de la jubilation que suscite la découverte ». Face au militant pur et dur pour qui pratiquer la pédagogie de projet et parler de « compétences » signifie se soumettre à la « logique libérale », l’auteur démonte calmement cette curieuse fable qui conduit certains à rejoindre les pires élitistes. Et il montre aussi l’écart extraordinaire qui existe entre ce que par exemple certains discours ministériels disent de l’école (qui serait en proie à une idéologie post-soixante huitarde) et une réalité qui conduit l’auteur à dire que « s’il y a une chose qui m’a surpris en entrant dans l’Éducation nationale, c’est justement de voir à quel point si peu de choses avaient changé. »
Bref, un ouvrage stimulant, des pages qui seront utiles en formation ou pour la réflexion d’équipes pédagogiques, un recueil d’arguments pour la promotion d’idées qui nous sont chères, sans dogmatisme, sans angélisme. On lira avec attention par exemple les passages sur le travail à la maison (au-delà du pour/contre) ou sur la prise en compte des représentations des élèves (pour les dépasser)…
Peut-être cependant avancerons-nous une ou deux réserves. À certains endroits, S.Grandserre défend avec vigueur sa profession, répondant aux reproches adressés si souvent aux fonctionnaires protégés aux vacances nombreuses et à l’esprit routinier. Il n’est toutefois pas certain que l’image réaliste de la profession soit bien celle qu’il donne en réponse à ces accusations. Le souci de rétablir un peu de vérité face à certaines attaques ne mène-t-il pas S.Grandserre à une indulgence excessive pour le corps enseignant, du coup paré de mille vertus et une mise en avant d’une pénibilité du métier quelque peu exagérée ? Avec en filigrane une sévérité disproportionnée envers la hiérarchie. Mais il est vrai que l’auteur, outré par certains comportements ministériels récents, montre que, dans certaines périodes, « la méfiance, le soupçon permanent, la défiance réflexe » prennent le dessus et font rejeter toute proposition émanant de l’institution, y compris lorsqu’elle est intéressante et juste…
Par ailleurs, si on ne peut qu’approuver la défense par l’auteur du service public contre ses détracteurs ultra-libéraux, est-ce que parfois, remises en cause et interpellations ne se trouvent pas trop vite évacuées ? D’autant que tout le monde n’a pas la haute conception de la profession enseignante qu’a le militant pédagogique, tout le monde n’est pas investi comme l’auteur, y compris
pendant les vacances. Et si l’écart est inévitable, lorsqu’il est trop grand, on sait bien que cela porte tort à la profession. De même faudrait-il se démarquer plus nettement de cette posture victimaire dont trop d’enseignants s’affublent et qui empêche justement de savoir entendre les critiques aussi bien que le fait
S. Grandserre !
Mais peu importe, que l’on partage ou non tout ce qui est avancé par S. Grandserre (le positionnement politique par exemple), d’autant que rien n’est affirmé de façon péremptoire, qu’est toujours présente la modestie, qualité essentielle du pédagogue quand elle s’allie avec l’audace et le dynamisme de l’action et de l’affirmation de valeurs fortes.
De même que les usagers de l’école ont droit aux réponses des pédagogues, ces derniers doivent avoir aussi ce droit de réponse dans le débat public. Le livre de S. Grandserre constitue une pièce importante de cette réponse collective que nous essayons de faire entendre, envers et contre tout.

Jean-Michel Zakhartchouk