Les Cahiers pédagogiques sont une revue associative qui vit de ses abonnements et ventes au numéro.
Pensez à vous abonner sur notre librairie en ligne, c’est grâce à cela que nous tenons bon !

Une réponse pédagogique à l’injonction du ministre

1991, la guerre du Golfe [[La télévision nous avait également servi le ballet des boucles d’images, alors même qu’il n’y avait pas vraiment d’images. « Y’a rien à voir, mais regardez quand même ». L’impact émotionnel avait fonctionné par l’effet spectacle.]]. La tension ressentie à cette période avait amené Lionel Jospin, ministre de l’Éducation, à demander aux enseignants de ne pas aborder le sujet en classe pour préserver la neutralité de l’école et éviter les affrontements entre élèves. Bon nombre d’enseignants n’avaient pas suivi la consigne et avaient justement évité les conflits en permettant une expression des élèves et un débat raisonné dans leurs classes. Depuis, les travaux du psychanalyste Serge Tisseron sur les effets des images de télévision, ainsi que les recherches et les pratiques de l’éducation aux médias, ont confirmé que le pire serait justement de demander aux enfants de laisser à la porte de l’école ce qu’ils ont vu à la télé.

Septembre 2001, dix ans plus tard, l’exemple a été retenu et Jack Lang demande aux enseignants de « trouver les bonnes attitudes pédagogiques pour que les inquiétudes et les interrogations des élèves puissent s’exprimer et trouver des réponses appropriées. »

L’injonction est intéressante, mais comment s’y prendre quand on est soi-même soufflé par la violence des faits, quand c’est encore trop tôt, qu’on n’a pas les réponses, les analyses, et que les enfants vous pressent par leurs questions.

Quelle attitude et quelle parole poser quand on est enseignant pour aider les enfants à faire de cette expérience traumatisante une expérience de vie vers plus d’humanité ?

Pour répondre à cette question, posée par de nombreux collègues, j’ai suggéré de suivre les conseils que Dominique Wolton, sociologue des médias, propose aux journalistes. Il s’agit, dans un événement de cette ampleur, de bien distinguer trois temps et de ne pas vouloir tout traiter en même temps.

Le premier temps est celui de l’émotion, celui des images de la télé. Comment absorber le choc avec les enfants et être ouvert à une attitude responsable et critique, même dans l’émotion, même dans la compassion ? La parole à dire, à échanger, à écrire, à écouter et surtout pas le silence. J’ai entendu une enseignante de CE2 raconter qu’elle avait dû expliquer aux enfants que c’était « seulement » quatre avions qui étaient en cause, et pas des dizaines comme certains enfants le croyaient avec l’effet des images en boucle et des angles de vue différents.

L’une de mes collègues de lettres en lycée a choisi d’accompagner cette émotion, avec ses 1res S, par la lecture de la « Prière à Dieu » extraite du Traité sur la tolérance de Voltaire. « Car dans des cas semblables je préfère toujours de beaucoup laisser la parole aux auteurs plutôt que la prendre moi-même. »

Ensuite vient le deuxième temps, celui de l’explication, de la distanciation critique. On peut faire des revues de presse, des comparaisons de titres, d’images, de commentaires, expliquer les mots (World Trade Center, Manhattan, « disparus », musulman, islamisme, terrorisme, représailles, etc.), répondre à des questions : qui est Ben Laden ? Où est l’Afghanistan ? Qui sont les talibans ? Etc.

Et ce n’est que dans le troisième temps que l’on peut prendre en compte l’explication de l’action politique, resituer les contextes historiques et économiques, en comprendre les enjeux, présenter des points de vue différents, débattre des choix faits par les dirigeants politiques.

Bien sûr, chaque étape peut être adaptée à l’âge des enfants et la dernière ne sera approfondie qu’avec les plus grands, en ECJS, par exemple. Mais s’en tenir à la dernière étape risque d’être vain, à tout âge.

La collaboration entre enseignants a très bien marché sur Internet. Documents en ligne, échanges sur les listes de diffusion, TP sur les événements, etc.

Deux sites qui ont regroupé des ressources :
www.cafepedagogique.net/dossiers/index.php3
www.clemi.org/formation/outils/ny1109.html

Dans ce travail, on peut bien sûr être amené à faire état de ses propres convictions. Et comme nul ne peut prétendre détenir la vérité sur ce qu’il faut faire, on peut juste avancer des hypothèses et des arguments et se rattacher à des valeurs essentielles. Ce sont nos voix, multiples, peut-être contradictoires, qui donneront des repères aux enfants si nous savons nous mettre à l’unisson d’un attachement immodéré aux Droits de l’homme.

Odile Chenevez, Clemi Aix-Marseille