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Une pédagogie pour le XXIe siècle. Pratiquer la pédagogie institutionnelle dans l’enseignement supérieur

Arnaud Dubois, Patrick Geffard et Gérald Schlemminger, Champ social éditions, 2023

Pratiquer la pédagogie institutionnelle dans le supérieur, c’est possible ! » (p. 7) telle est l’exclamation-proclamation qui ouvre cet ouvrage. Certaines représentations pourraient réserver cette pédagogie au premier degré, tant son histoire est liée au mouvement Freinet. Alors les mots pédagogie et institutionnelle seraient-ils à bannir du supérieur, temple des savoirs ? Les vagues successives de massification l’ont aujourd’hui atteint et la question de l’échec y est tout aussi vive, voire plus, que dans les autres degrés. Les auteurs revendiquent leur appartenance à une troisième génération d’universitaires pratiquant la pédagogie institutionnelle dans une introduction intitulée Genèse, terme qui témoigne d’une institutionnalisation reposant sur des enseignants-chercheurs, des groupes, des colloques et de la recherche, notamment mais pas exclusivement historique. Les neuf premiers chapitres sont consacrés à neuf institutions alors que les deux derniers montrent la force du collectif qui est maintenant réuni et au travail ainsi que les principaux repères pour qui désire aller plus loin dans la connaissance et la pratique de cette pédagogie pour le XXIe siècle.

Le choix d’une structure unique pour les neuf chapitres présentant les institutions facilite la lecture : la définition sert à fixer la nature de l’objet pédagogique identifié et à éviter tout risque de réduction à un dispositif qui tournerait « à vide » : des mots-clés et un développement d’une page permettent de promouvoir les enjeux de cet élément d’une complexité où tout se combine. Les origines présentent son historique qui éclaire l’intérêt de l’institution souvent bonifiée au fil des ans. C’est alors que sont présentés des récits d’expérience qui ont pour intérêt de donner de la chair à ce qui pourrait n’être qu’un mode d’emploi désincarné, le contraire de l’approche psychanalytique à laquelle se réfèrent Jacques Pain et Mireille Cifali pour ne citer qu’eux. Autre intérêt, l’ancrage théorique souligne l’assise dans les sciences humaines et sociales de cet élément afin d’éviter les reproches de pratico-pratique qui ne manquent d’être adressés aux composantes de l’Éducation nouvelle. Par la suite, d’autres pistes et d’autres expériences qui entrent en résonance avec ce qui est présenté vont autoriser une exploration source de renouvellement et objet d’analyse ultérieure. Enfin, des fiches pratiques et les références bibliographiques bouclent la présentation et la mise à disposition de tous les éléments souhaitables dans le cadre de cet ouvrage.

Le Quoi de neuf, objet du premier chapitre, révèle l’importance de l’accueil dans toute action éducative de manière à créer le groupe et déclencher sa dynamique. Comme annoncé, d’autres pistes vont dans le sens d’une facilitation de la parole : ainsi, le journal de recherche est présenté avec un extrait authentique qui situe cette pratique au niveau de l’enseignement supérieur et de son rapport à la recherche. Les équipes de travail marquent la rupture avec l’obsession individualiste d’un système éducatif élitiste. Le récit d’Arnaud Dubois établit la difficulté de mise en place de cette institution puis sa réussite dès la troisième séance. La complexité et les interactions avec les autres institutions comme les ceintures de niveau et les métiers sont soulignées afin de pallier le risque d’une présentation successive claire mais éventuellement simplificatrice. Les métiers et responsabilités reposent sur l’engagement personnel dans un projet collectif (de l’imprimerie de Freinet au tutorat dans l’enseignement supérieur). L’essentiel sera de faire tourner ces responsabilités présentées dans une fiche très explicite (p. 64) même s’il est spécifié qu’un nouveau métier peut toujours être proposé et soumis au conseil.

L’évaluation est aussi mise en valeur d’abord sous la forme d’un bilan bref ou plus développé ; c’est plutôt une expression globale et spontanée, à la manière de la météo dans le premier degré. L’héritage des fichiers autocorrectifs se retrouve et se développe dans l’autoévaluation formative qui a toute sa place dans l’enseignement supérieur car elle entraîne une appropriation des critères de jugement d’un travail dans une discipline. De plus, selon Benjamin Royer, elle « ouvre à la possibilité de moments instituants dans lesquels chacun pourra faire l’expérience de sa propre transformation » (p. 83). Institution clé, le conseil articule entre elles toutes les autres et permet de faire tourner les responsabilités. Lieu de parole, de discussion et prise de décisions mais aussi de suivi de leur mise en œuvre, il ne doit pas être idéalisé car la psychanalyse a pu établir la nécessité d’une prise en compte du « travail du négatif » (p. 95) qui s’y produit.

Viennent ensuite le plan de travail, le passage de ceintures (que l’on peut rapprocher d’une co-évaluation), la correspondance (avec une adaptation permettant des échanges entre futurs professionnels de l’éducation, p. 132-136) et enfin les monographies, encore objet de recherches et d’expérimentations. Le dixième chapitre présente le collectif qui réunit les enseignants et enseignants-chercheurs pratiquant la pédagogie institutionnelle et échangeant sur elle. Quant au onzième, il revient sur quelques repères fondamentaux : les institutions, la « machine collective », les statuts, les rôles et les fonctions ainsi que les dynamiques groupales dans un fonctionnement coopératif.

Particulièrement adapté à l’enseignement supérieur, ce livre, une somme impressionnante de recherches et de récits, se lit aisément grâce à sa qualité d’écriture mais aussi à son organisation rigoureuse et claire qui le rend accessible à l’ensemble des personnes qui s’intéressent à la pédagogie institutionnelle et en feront une pédagogie pour le XXIe siècle.

Richard Étienne