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Un ménage à trois obligé !

Relève des ressources humaines, réforme du curriculum et formation continue :Un ménage à trois obligé !

Selon des données récentes fournies par la Direction des statistiques et des études quantitatives du ministère de l’Éducation du Québec , c’est cette année, en 2000, que la population enseignante de nos écoles aura atteint son niveau maximum de vieillissement. Ainsi, malgré un nombre d’élèves qui ira diminuant d’ici l’an 2009, l’attrition du personnel enseignant créera d’importants besoins de recrutement . De plus, cette entrée continue de nouveaux personnels dans les écoles se fera dans un contexte où celles-ci vivront elles-mêmes un important processus de changement, tant au niveau organisationnel qu’éducatif.

Que ce soit à l’école publique, qui voudra profiter des nouvelles marges de manœuvre qui lui ont été dévolues pour se distinguer davantage, ou à l’école privée qui, tout en adhérant au virage proposé, voudra préserver la pérennité de ses traditions institutionnelles quelquefois séculaires, on sera à la recherche d’enseignants-entrepreneurs (et entreprenants) qui pourront apporter une plus-value à l’établissement. Cette idée d’entreprenariat peut sans doute paraître loufoque, mais comment qualifier ceux et celles à qui on demandera de concevoir et animer des projets, créer du matériel didactique original, développer des partenariats  » d’affaire  » avec des ressources issues de la communauté, gérer des équipes de travail coopératif ? Ces perles rares, il y a différentes façons de les acquérir : aller les chercher chez le voisin ou le compétiteur ou encore, c’est le propos de cet article, les développer soi-même. Dans ce dernier cas, si on veut développer et former une relève qui saura relever les défis posés par le renouvellement de la pédagogie et des modèles organisationnels, il faudra revoir notre façon de concevoir et réaliser la formation continue.

Plus qu’à tout autre moment de l’histoire, le développement professionnel des enseignants est perçu comme une des clés de voûte de l’amélioration des écoles. L’importance perçue du développement professionnel est en relation directe avec la nature ambitieuse des buts poursuivis par la réforme actuelle. L’atteinte de ces buts demandera beaucoup de nouveaux apprentissages aux enseignants eux-mêmes, la vaste majorité d’entre eux ayant été instruits et ayant appris à instruire sous un tout autre paradigme que celui proposé actuellement. Le type d’apprentissage qu’on exigera sera, par nature, transformationnel puisqu’il requerra, non seulement des enseignants mais aussi des écoles elles-mêmes, des modifications importantes de leurs croyances profondes, des connaissances acquises de longue date et de leurs habitudes de pratique.
Dans cet article, je vais tenter de décrire les défis que cela pose à ceux qui ont la responsabilité de former les enseignants sur les lieux de travail ou de gérer cette formation. De la même façon que les enseignants auront à revoir leurs pratiques, les formateurs d’enseignants devront revoir leur art qui, traditionnellement, se définissait en termes de cours, d’ateliers ou de séminaires. Même si beaucoup d’écrits ont traité des changements de pratique majeurs que les réformes imposent aux enseignants, nous savons encore bien peu de chose sur les changements qui seront exigés des formateurs d’enseignants afin de rendre leur pratique plus conforme au nouveau paradigme proposé.

Ce que nous avons et ce que nous voulons

Pour la plupart des enseignants, les activités de support à l’amélioration de leur enseignement se divisent en deux grandes catégories : les sessions de perfectionnement, plus ou moins obligatoires, offertes par leur école ou leur commission scolaire et leur participation facultative à des cours universitaires, des ateliers, des congrès ou des séminaires. Ces formes de développement professionnel ont été conçues afin de supporter le paradigme de l’enseignement dans lequel le rôle des élèves consistait à pratiquer des habiletés techniques et à mémoriser des données et celui des enseignants à démontrer des procédures, donner des tâches et noter les élèves. Aucune de ces formes n’était destinée à soutenir l’examen en profondeur des pratiques, l’expérimentation continue et la réflexion critique qui sont requises pour développer les croyances, les connaissances et les habitudes de pratique qui sous-tendent les formes complexes d’enseignement qui sont recommandées par les réformes actuelles.

Les activités de formation offertes par les écoles ou les commissions scolaires sont généralement conçues pour transmettre un ensemble déterminé d’idées, de techniques ou pour permettre aux enseignants de se faire la main sur un nouveau matériel didactique. Par exemple, on inscrira les enseignants à des ateliers sur l’utilisation des objets de manipulation en mathématiques, sur l’implantation de l’apprentissage coopératif ou la gestion des cas de discipline en classe. Une telle vision considère l’enseignement comme quelque chose de routinier et de technique et encourage une approche superficielle de la rénovation des pratiques plutôt qu’une analyse en profondeur de celles-ci.

Les cours offerts par les universités ont, quant à eux, une approche plus académique que pratique et même si certains accordent une plus grande place aux pratiques, ils affichent généralement des manques importants au niveau du suivi à l’implantation. Tout comme les sessions décrites précédemment, ces activités tiennent trop peu compte des facteurs positifs et négatifs des environnements organisationnels où retournent ensuite les enseignants. De plus, ces activités sont très généralement planifiées et conçues par des personnes autres que celles à qui elles s’adressent (les participants ont peu à dire sur le contenu…) De façon générale, ces deux types d’activités résultent généralement en des séries d’expériences déconnectées et décontextualisées desquelles les enseignants extrairont ce qu’ils voudront bien additionner à leur répertoire actuel. Toutefois, il est peu probable que les pratiques des enseignants puissent être transformées par des expériences comme celles-là.

Un nouveau paradigme pour le développement professionnel

À travers les expériences des uns et des autres, les grandes lignes d’un nouveau paradigme pour le développement professionnel des enseignants semble peu à peu émerger. M’appuyant sur une appréciation conservatrice de la profondeur du réapprentissage requis des enseignants pour s’approprier la réforme actuelle et une évaluation honnête de ce qui n’a pas fonctionné dans le passé, voici les principaux éléments qui pourraient constituer la topographie de ce nouveau paradigme :

Le support à l’enseignant est imbriqué dans l’acte d’enseigner lui-même ou directement relié à celui-ci

Les enseignants ont besoin de ressources qui soutiennent concrètement l’effort qu’ils consentent quotidiennement dans leur milieu de travail pour s’approprier ces nouvelles approches pédagogiques plus complexes et exigeantes. Le support peut être donné à un enseignant en particulier en utilisant l’un ou l’autre des dispositifs suivants : co-enseignement, mentorat, co-planification, coaching, etc. Il peut également être offert à un groupe : groupe de développement coopératif, groupe d’analyse des pratiques, etc. Dans un cas comme dans l’autre, la matière première, c’est l’action de l’enseignant et ses conséquences sur les élèves. Les contraintes de temps et d’horaire, le cloisonnement des matières, le format des tâches sont autant d’obstacles qui devront être surmontés pour mettre en place de telles structures de support. De plus, l’idée de coach et/ou de mentor renvoie à la question des statuts différenciés et des échelles de carrière des enseignants. Ce n’est pas mon but d’aborder cette question ici, mais il vaudra sûrement la peine qu’on s’y arrête sérieusement un jour.

Le support à l’enseignant prend racine dans les contenus d’enseignement et d’apprentissage

Les activités de formation portent souvent sur des sujets tels que l’apprentissage coopératif, la pédagogie de projets ou l’enseignement stratégique sans toujours prendre en considération que les enseignants doivent aussi apprendre à organiser les expériences d’apprentissage de leurs élèves afin de permettre à ceux-ci de maîtriser des concepts disciplinaires importants. Les enseignants ont souvent besoin de se retrouver face à une discipline en tant qu’apprenant avant de s’attaquer à son enseignement. Le développement professionnel doit leur permettre de vivre des expériences en ce sens et leur permettre de maîtriser le contenu disciplinaire qu’ils ont à enseigner. Si actuellement le pendule est visiblement du côté du  » apprendre à apprendre  » et que le  » transversal  » se porte comme un scapulaire, il vaut mieux ne pas trop rapidement mettre de côté les didactiques propres aux disciplines, car plus on les négligera, plus le réveil sera brutal au retour du pendule.

Il faut développer des communautés d’enseignants centrées sur la pratique professionnelle.

Le nouveau paradigme du développement professionnel encourage la collégialité entre les enseignants afin de contrecarrer l’isolement caractéristique de la profession. Les formateurs d’enseignants doivent ajuster leur cadre de référence afin de tenir davantage compte de la réalité et de l’intégrité des équipes-écoles plutôt que de s‘adresser à des enseignants individuels. Cela veut dire notamment qu’il faudra penser à développer les habiletés des enseignants à critiquer et à discuter de leur travail et celui de leurs collègues en plus de développer chez eux des aptitudes au leadership pédagogique. Compte tenu de la mentalité égalitaire qui prévaut encore de façon générale dans les milieux, ce ne sera pas nécessairement facile. Par ailleurs, il ne faut pas percevoir les enseignants comme des individualistes, à la façon de Robinson Crusoé. Pour les enseignants, comme pour Robinson, ce serait oublier tout le contexte organisationnel où ils évoluent. L’organisation du travail, pour une, est loin de se prêter actuellement à l’exercice de cette collégialité sur laquelle on mise tant pour assurer le succès de la réforme et la préparation de la relève. Des actions sont possibles, puisque dans certains milieux où des interventions ont été menées afin d’agir directement sur des variables telles que le niveau de relation avec les autres ou le feedback en provenance des collègues, des augmentations de la satisfaction au travail et de la motivation intrinsèque des enseignants ont été mesurées .

Il faut développer la collaboration avec des experts externes

On ne peut pas s’attendre à ce que les enseignants connaissent toutes les facettes de la réforme scolaire, des didactiques des disciplines, ou de la pratique professionnelle. Ainsi, une collaboration avec des ressources externes est cruciale. Les experts externes, souvent des professeurs d’université, apportent des perspectives nouvelles, des idées sur ce qui s’est avéré efficace ailleurs et une facette analytique au processus de changement. La clé de tout cela est de créer une relation de confiance mutuelle entre les praticiens et les experts externes afin qu’ils travaillent ensemble à la résolution de problèmes associés à la pratique en apportant différents types d’expertise sur la table. En ce sens, le type de partenariat qu’établit l’université de Sherbrooke avec des commissions scolaires et des associations d’établissements privés pour offrir de la formation sur mesure, sur la base d’une approche client, est un exemple qui pourrait être généralisé. Des partenariats peuvent aussi être établis avec des associations professionnelles. Il faut aller trouver, là où elles sont, les ressources dont on a besoin pour se développer. Les responsables des services éducatifs des commissions scolaires verront leur rôle évoluer, comme c’est le cas depuis plusieurs années dans le secteur privé, vers celui de courtiers en services éducatifs.

Il faut prendre en considération le contexte organisationnel spécifique de chaque milieu

Les enseignants font leur travail à l’intérieur de contextes organisationnels variés qui se chevauchent les uns les autres : la classe, l’école, le groupe d’enseignants, la commission scolaire, le quartier, la province, le ministère, etc. Les valeurs, les normes et les procédures propres à chacun de ces contextes finissent toutes par avoir un impact sur ce qui se passe en classe. Les formateurs d’enseignants doivent soigneusement analyser les contraintes et les possibilités qu’offre chacun de ces contextes, des normes culturelles non-écrites jusqu’aux règles les plus explicites, en passant par les limites architecturales et les conventions collectives.

Pour atteindre cet objectif, les formateurs doivent se joindre aux administrateurs et à ceux qui ont la responsabilité de concevoir ces politiques afin de trouver les lignes directrices de ces différents contextes et de les optimiser. Cette optimisation devrait fournir un peu de cohérence aux expériences que vivront les enseignants, les nouveaux surtout, et fera en sorte qu’ils se sentiront supportés par les valeurs organisationnelles et les procédures opérationnelles. Par exemple, parler de pédagogie de projets et d’interdisciplinarité dans un contexte de fort cloisonnement disciplinaire où la gestion du temps est d’abord au service de l’organisation scolaire avant d’être au service de l’apprentissage, cela tient davantage de la gymnastique intellectuelle que de la réalité pédagogique. J’illustre cette nécessaire optimisation par un exemple supplémentaire. Il y a quelques années de cela, le Département des sciences de l’éducation de L’UQAM emménageait dans ses nouveaux locaux. L’apprentissage coopératif occupait une part importante d’un cours que j’y donnais sur la gestion des ressources éducatives en adaptation scolaire. Or, pour donner ce cours, j’ai eu droit à un mini amphithéâtre ! C’était beau, grand, bien éclairé, mais essayez d’organiser du travail en équipe là-dedans ! Or, combien de fois, des enseignants, au retour d’une formation, sont placés dans des conditions où il est difficile, sinon impossible, d’appliquer ce qu’ils ont appris et là-dedans, j’inclus la collaboration avec les collègues.

Le nouveau paradigme

Faire apprendre, nous le comprenons mieux maintenant, c’est beaucoup plus que faire accomplir des tâches aux apprenants et de présenter des informations de façon logique. Faire apprendre, c’est aussi stimuler et entretenir une interaction cognitive et sociale entre le formateur et ceux qui apprennent. La connaissance ne s’acquiert pas suivant un flux linéaire, c’est un processus dynamique, interactif et itératif. L’activité de médiation exercée par le formateur et l’interaction verbale entre les apprenants eux-mêmes se situent au centre de ce processus et supportent l’émergence d’une pensée réflexive autonome qui devrait caractériser l’action professionnelle des enseignants.

Je tenterai, dans les prochains paragraphes, de décrire les principaux attributs du nouveau paradigme de la formation continue qui vise une transformation des croyances, des connaissances et des pratiques professionnelles des enseignants. Quand on parle de développement professionnel efficace, il ne peut plus être question d’importer des modèles ou d’appliquer des formules toutes faites. Il faut désormais penser en terme de processus éclairé et conscient de prise de décision où les décideurs sont à la fois les apprenants et les formateurs. Ces décisions portent sur la création, l’implantation, l’analyse réflexive et la modification des approches et des programmes.

La pièce maîtresse de ce processus, illustré à la figure 1, est une activité continue de planification qui incorpore des phases d’établissement de buts, de planification, d’action, et de réflexion qui se chevauchent continuellement. Ce processus est alimenté de façon continue par le répertoire de stratégies de développement professionnel des formateurs ; leurs croyances et leurs connaissances sur la façon dont apprennent les enseignants et le processus de changement ; leur prise en compte du contexte à l’intérieur duquel le développement professionnel et l’apprentissage des enseignants se déroulera ; et finalement, l’attention qu’ils porteront aux aspects critiques qui ont une influence sur le succès à long terme d’un plan de développement, tels que le leadership, la capacité du changement à se maintenir et la culture professionnelle.

Ce modèle relatif au développement professionnel tient compte à la fois des activités d’enseignement-apprentissage et du contexte organisationnel, social et culturel où se développent ces activités. Dans le passé, notre perception de ce que devait être la formation des enseignants dépendait de nos préoccupations premières, fussent-elles d’ordre organisationnel ou éducatif. Nous ne voyions pas les interfaces potentielles qui pouvaient exister entre ces différentes dimensions. C’est ainsi que les spécialistes des disciplines développaient pour les enseignants des activités de formation qui tenait peu ou pas compte des dimensions relatives aux contextes organisationnels où se déroulent l’enseignement et l’apprentissage. De la même façon, les spécialistes en leadership ou en développement organisationnel, ont trop peu accordé d’attention aux disciplines en soi. Les nouvelles approches en développement professionnel doivent rendre perméables ces frontières afin de fournir un support qui soit à la fois  » transformationnel  » pour les enseignants et qui encourage le développement d’une culture et des structures d’école qui soient cohérentes et facilitantes vis-à-vis l’opérationalisation des nouveaux savoirs et des nouvelles pratiques acquises par les enseignants.

Recherche sur la mise en place du nouveau paradigme

Très peu, sinon aucune étude, n’a été faite à ce jour sur les efforts à long terme qui ont visé le développement de programmes de formation pour supporter le développement de formes plus complexes d’enseignement. Les quelques études qui existent portent sur les enseignants et sur les changements qu’ils doivent apporter afin de pouvoir participer de façon productive à ces nouvelles formes de développement professionnel. Des recherches suggèrent que les enseignants qui sont habitués ou qu’on habitue à un format d’ateliers où il y a présentation et/ou démonstration, avec possibilité d’appliquer le tout en classe dès le lendemain (formation  » pour apporter « ) se sentent fréquemment démunis quand on leur demande de construire en collaboration un plan de formation à long terme avec des ressources externes. Ils ne sont pas convaincus de la pertinence de devoir se réapproprier le contenu de leur discipline et, lorsqu’on leur donne du temps pour y travailler avec des collègues, ils ne savent trop comment utiliser ce temps de façon efficace. Ce qui manque surtout en terme de recherche, ce sont des indices sur la façon dont doivent travailler les formateurs d’enseignants afin de favoriser l’émergence de formes plus complexes de support aux enseignants.
Nous savons peu de chose sur les efforts qui seront requis de ceux qui sont habitués à  » donner  » des ateliers afin de transformer leurs pratiques pour être davantage en mesure de répondre aux nouvelles demandes. Le manque flagrant d’études dans ce domaine nous laisse sans mode d’emploi explicite quant à la façon de penser le développement professionnel des formateurs d’enseignants. Comme nous ne savons pas comment apprennent les formateurs en période de changement paradigmatique, nous devons nous tourner sur ce que nous savons sur les façons d’apprendre des enseignants en contexte de réforme.

Des études sur l’apprentissage des enseignants nous disent qu’ils interprètent les nouvelles idées à travers les lunettes de leurs croyances et de leurs habitudes. Ils filtrent aussi les informations à travers leur expérience d’élève et à travers l’image culturelle de l’enseignement et de l’école qu’ils ont intériorisée. Ce sont, en dernière analyse, leurs connaissances antérieures et leurs expériences qui pèsent le plus lourd dans la balance. Sans une image explicite du modèle qu’ils poursuivent, les enseignants remplissent de façon naturelle les espaces blancs et les zones grises de leurs représentations avec ce qu’ils savent, sentent et font.

Il est facile de supposer alors qu’un formateur d’enseignants interprétera lui aussi les nouvelles demandes à travers ses lentilles. Étant donné que le nouveau paradigme du développement professionnel n’est pas clairement spécifié ni largement partagé, il remplira lui aussi les espaces en se fiant sur sa compréhension et son expérience actuelle.
Le tableau 1 présente les discontinuités possibles entre ancien et nouveau paradigme. Un coup d’œil rapide nous permet de constater que les changements à venir sont majeurs. Ils requièrent des formateurs de s’immerger dans les contextes où travaillent leurs clients afin d’être en mesure d’évaluer rapidement les résultats de leurs interventions sur les pratiques des enseignants et l’apprentissage des élèves et d’y réagir. Leur responsabilité n’est désormais plus d’assurer le développement professionnel d’enseignants-individus, mais de s’assurer de l’implantation réussie d’un programme par un groupe d’enseignants, dans un contexte organisationnel donné. Cela relève d’une éthique différente et forcément, plus exigeante.


Tableau 1
Caractéristiques des modèles traditionnel et émergent
du développement professionnel

Modèle traditionnel

Modèle émergent
L’accent est mis sur les activités (techniques,
idées et matériel)
L’accent est mis sur la maîtrise
des contenus disciplinaires et la capacité d’amener les élèves
à maîtriser des concepts.
Les formats les plus courants
sont les ateliers, les séminaires et les cours
Une grande variété
de formats est utilisée, incluant des interventions de support directement
en classe, participation à des groupes de production ou d’analyse
des pratiques, etc.
Centré sur les individusCentré sur les équipes-écoles
Courte durée dans le temps
et engagement limité des enseignants à implanter ce qu’ils
ont appris.
Durée plus
longue dans le temps et engagement des enseignants à implanter ce
qu’ils ont appris.
Les formateurs sont maîtres
du contenu
Co-construction itérative
par les enseignants et les formateurs sur une période de temps plus
ou moins longue
Théorie de l’apprentissage
basée sur la psychologie des individus
Théorie de l’apprentissage
qui fait de la place aux dimensions sociale et organisationnelle
Le transfert des apprentissages
dans la salle de classe est un problème à résoudre
(généralement, par l’enseignant).
Les apprentissages réalisés
sont non seulement pertinents et utilisables à court terme, mais
contribuent à élargir la base de connaissance des enseignants.
On ne tient pas compte des particularités
des contextes où travaillent les enseignants
Les particularités des contextes
tiennent une place importante dans l’élaboration du développement
professionnel
Les activités se déroulent
généralement à l’extérieur de l’école,
de la classe ou sans la présence des élèves.
Les activités se tiennent
dans une grande variété d’emplacements et plusieurs d’entre
elles se déroulent en classe et en présence des élèves.
L’accent est mis sur le développement
individuel des enseignants (les enseignants participent en tant qu’individus)
L’accent est mis sur l’amélioration
de la qualité des services éducatifs. Les enseignants participent
en tant qu’entité organisationnelle distincte et cohésive
L’entraînement au leadership
et à l’entrepreneurship n’est pas un sujet important
L’entraînement
au leadership et à l’entrepreneurship est un sujet important

En conclusion

Je ne crois pas avoir disposé de la question de la préparation de la relève des ressources humaines dans nos écoles en présentant cet article. Je n’ai non plus la prétention de proposer une panacée universelle. Ce que je dis cependant, et c’est sans doute un vieux fond de darwinisme et de béhaviorisme qui parle, c’est que les contextes et les environnements où nous travaillons ont la capacité de changer ce que nous sommes. Qu’est-ce que l’apprentissage sinon un changement ?

L’organisation du temps, de l’espace et du savoir qui prévaut dans nos écoles a une influence sur nos conduites, nos façons de penser et de percevoir la réalité. Ils déterminent également de façon significative l’orientation professionnelle de la relève.

Bridges, dans une étude classique datant du milieu des années soixante, avait établi que les années d’expérience dans un milieu donné faisaient en sorte de rendre de plus en plus semblables les comportements et les attitudes des gens et que les rôles qu’ils occupaient prenaient peu à peu le dessus sur leur personnalité comme facteur de prédiction de leur comportement.

Voilà pourquoi les activités de formation continue que nous proposerons à nos enseignants devront tenir compte des caractéristiques uniques des contextes où ils travaillent. Et si ces caractéristiques devaient empêcher les choses d’évoluer dans le sens proposé par les réformes et le progrès, ayons la lucidité et courage de les modifier. Je dis courage, car, faut-il le dire, les modes traditionnels d’organisation scolaire sont d’une commodité évidente pour tout le monde car elles rendent la vie plus facile aux enseignants et aux directions d’écoles .

La formation, particulièrement lorsqu’elle s’adresse à la relève, est un investissement, pas une dépense. Ceci dit, comportons-nous en investisseurs avisés et assurons-nous qu’à la fin de l’année il y aura des dividendes à redistribuer. Investir dans de la formation qui n’a aucun impact, direct ou indirect, sur la qualité des services éducatifs que nous offrons ne contribue en rien à préparer une relève de qualité pour nos écoles.

Marc St-Pierre, Coordonnateur des services à l’enseignement, Association québécoise des écoles secondaires privées