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« Un enjeu qui dépasse les clivages politiques »

Couverture du n° 575 des Cahiers pédagogiques

Comment lutter contre les inégalités à l’école ? Fin janvier, le CRAP-Cahiers pédagogiques organisait un webinaire, premier d’une série de « débats éducatifs 2022 », avec comme invité Jean-Paul Delahaye, ancien directeur général de l’enseignement scolaire. Nous reprenons ici quelques points forts de cet échange.

L’auditoire était nombreux (plus de 300 inscrits, aux profils divers) pour cette rencontre à distance avec Jean-Paul Delahaye, qui a repris certaines des propositions de son rapport écrit en 2015, Grande pauvreté et réussite scolaire1. Pour lui, le système éducatif a certes bien évolué depuis soixante ans (accès plus large aux études longues, moins de sélection), mais reste toujours en difficulté pour accueillir les enfants venant de la grande pauvreté. Même avec un meilleur accompagnement social, la réussite des élèves les plus pauvres ne sera pas assurée s’il n’y a pas une réponse pédagogique.

L’école de la République devrait être celle qui privilégie le commun pendant la scolarité obligatoire. Il s’agit de permettre à toute la population de partager un diagnostic sur la place accordée aux enfants les plus pauvres (en n’ayant pas peur du mot, plutôt que parler de « défavorisés ») dans l’école de la République. Dans les textes, l’Éducation nationale prévoit pour eux une aide prioritaire. Dans les faits, les plus pauvres souffrent de grandes inégalités, et « restent à leur place », dit-il. Majoritairement, les enfants d’ouvriers et ceux des cadres ne passent pas le même bac. « Dans le pays du vivre ensemble on ne scolarise pas ensemble. »
« L’accès des enfants pauvres à l’égalité des droits est un enjeu qui dépasse les clivages politiques. » Si la gauche a installé l’école primaire pendant la Troisième République, elle n’a pas réussi à installer la démocratisation de l’école. La droite a supprimé l’examen d’entrée en 6e, a créé le collège unique. La gauche a ensuite créé l’éducation prioritaire. Mais elle n’est pas parvenue à ce que la France ne soit plus le pays dans lequel les origines sociales pèsent le plus sur les devenirs scolaires.

De bonnes intentions, mais…

« Que penser d’une école qui dépense plus pour ses élites que pour l’ensemble des élèves ? Qui sont les assistés dans ce pays ? Comment prévenir les difficultés scolaires quand on dépense moins pour l’école primaire (8 % de moins que la moyenne OCDE) et plus pour le lycée (30 % de plus), notamment par l’abondance des options ? Quelle fraternité dans un pays qui a fait du temps scolaire une exception en le concentrant sur quatre jours, ce qui pénalise les enfants des milieux populaires ? Qui se soucie de ce que font les enfants de pauvres quand il n’y a pas classe ? Comment expliquer qu’à chaque fois que l’on veut progresser dans la démocratisation de la réussite on est accusé d’égalitarisme ou de nivèlement par le bas ? »

Pour presque tout le monde, les enfants pauvres doivent avoir les mêmes chances que les autres. Pour beaucoup, il faut de la mixité sociale. Mais pas forcément dans l’établissement de son propre enfant ! De fait, « ce dont ont besoin les enfants des familles pauvres c’est que cesse la ségrégation scolaire », mais « les inégalités à l’école ne nuisent pas à tout le monde, elles rendent service à quelques-uns qui bloquent les propositions de démocratisation de la réussite scolaire. Il existe une lutte des classes à l’école qui ne dit pas son nom. » L’intérêt général s’efface trop souvent devant les intérêts individuels, raison pour laquelle il ne faut pas laisser « l’usager trier entre le bon et le mauvais, c’est à l’État de le faire ».

Or, développer la mixité sociale et scolaire n’est pas simple. On sait ce qui ne marche pas pour instaurer ou restaurer de la mixité : le libre choix des familles (qui profite aux non-boursiers et place les établissements en concurrence). Au contraire, des politiques régulées de modification de sectorisation conduites avec élus et parents d’élèves peuvent contribuer à enrayer la ségrégation, comme on en connait des exemples à Amiens, Paris ou Toulouse. Il y a un équilibre à trouver entre la volonté des familles d’avoir le meilleur pour leurs enfants et l’exigence d’égalité. Et il faut que l’on cesse d’implanter les UPE2A (Unités pédagogiques pour élèves allophones arrivants), Segpa (Sections d’enseignement général et professionnel adapté), ULIS (Unités localisées pour l’inclusion scolaire) toujours dans les mêmes établissements et les options élitistes dans d’autres.

Se pose aussi la question de l’enseignement privé sous contrat, qui bénéficie de subventions publiques importantes : il faudrait moduler les moyens en fonction de la présence, ou pas, de mixité sociale et de l’éviction des enfants fragiles au cours de leur scolarité.

D’en haut et d’en bas

En réponse à une question sur le « mal français » de vouloir tout « remettre à plat » dès qu’arrive un nouveau ministre, Jean-Paul Delahaye relève notre incapacité à partager un diagnostic sur l’école, sans fantasme ni nostalgie, à se fixer de grands objectifs au niveau de la Nation, à l’instar de pays comme la Finlande qui se sont donné du temps pour y arriver. En France, on dépend des temporalités électorales et des alternances politiques. Il observe la difficulté qu’ont les politiques à envisager que des choses positives ont été faites avant eux. On supprime les dispositifs sans évaluation. La période actuelle est caricaturale de ce point de vue : « Est-il si difficile de penser que l’an I de l’école n’est pas 2017 et que de belles choses se sont faites avant ? Un quinquennat ne suffit pas, on a besoin de plus de temps. Lorsque je travaillais avec Vincent Peillon, nous nous sommes inscrits dans la continuité de Luc Chatel, par exemple, sur la lutte contre le décrochage ou de François Fillon sur l’instauration du socle commun. »

Bien d’autres points ont été abordés lors de cette rencontre : comment faire face à la « haine de la pédagogie », comment développer des pratiques vraiment démocratisantes, comment donner une véritable place aux parents de familles populaires (allusion est faite au formidable travail d’ATD-Quart Monde) ou encore l’importance de développer la formation pédagogique des enseignants. La vidéo intégrale est accessible sur notre chaine YouTube2. Et nous ne pouvons qu’encourager à lire les livres de l’auteur, à en débattre, loin des polémiques qui font le buzz à coup de désinformations et de méconnaissance du fonctionnement réel de notre école.

Jean-Michel Zakhartchouk
Transcrit à partir d’une prise de notes collaborative

Article paru dans le n° 575 des Cahiers pédagogiques, en vente sur notre librairie :

 

 

Le bienêtre à l’école

Coordonné par Andreea Capitanescu Benetti et Maëliss Rousseau
La recherche en éducation met de plus en plus l’accent sur l’importance du bienêtre à l’école, et les conditions à mettre en œuvre pour que les élèves persévèrent et réussissent scolairement, voire développent leur personnalité. Cela demande de faire émerger une relation apaisée entre les élèves, les enseignants, et les savoirs.


Notes
  1. https://miniurl.be/r-3za6
  2. https://www.youtube.com/channel/UC_tNikGM3_YYMrXldw1H2Tw