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Un défi pour le temps présent

Phénomène de mode, détournement, récupération… rien n’y échappe, Che Guévara fait le bonheur des vendeurs de tee-shirts et Gandhi pose pour une Mercedes… Il y a trente ans d’aucuns dénonçaient les travers d’une société «spectaculaire» mais cela ne semble pas avoir réfréné ses tendances à l’indécence.
Ainsi, le terme « développement durable », devenu aussi vert et high tech qu’une campagne de publicité pour une eau de source, n’est pas loin de devenir le dernier concept marketing en vogue. Mais, dépolitisé et galvaudé, il peut en perdre sa puissance subversive et laisser oublier les catastrophes, constatées et potentielles, écologiques et humaines, qui sont à son origine. Et, il est loin d’être le seul à perdre son sens dans cette ère du plein de la communication : la mondialisation néolibérale, génératrice de pauvreté et de la violence qui l’accompagne se donne des airs de modernité, invoquant ouverture au monde et métissage des cultures pour faire oublier à des consommateurs satisfaits ce sur quoi leur bien-être repose. La solidarité, moribonde des effets de l’individualisme et de la déliquescence des liens traditionnels, devenue aussi très à la mode, sert à vendre tout et n’importe quoi et, si on est fatigué d’être solidaire, on peut toujours faire une cure d’éthique…
Faut-il donc jeter tout cela aux oubliettes ? Ou n’y a-t-il pas encore quelque chose à faire, non pour sauver des concepts, mais faire réagir face aux problèmes écologiques et aux inégalités qui vont être pour l’humanité les défis des prochaines décennies ? Le développement durable peut certes être récupéré et mis au service du marché (où la pollution va se vendre et s’acheter en toute irresponsabilité), il n’en est pas moins porteur d’un modèle économique et social alternatif qui renouvelle les relations entre les hommes, les sociétés et leur environnement. La Déclaration de Rio [[Conférence sur le Développement et l’Environnement, Rio, 1992.]], rappelait cette aveuglante évidence dont on s’étonne qu’on puisse l’oublier « L’élimination de la pauvreté et la réduction des inégalités entre les peuples sont les conditions essentielles d’un développement qui satisfasse durablement les besoins de la majorité des habitants de la planète. » Il s’agit donc de bien autre chose qu’un emballage recyclé : ses principes (précaution, solidarité dans le temps et l’espace, responsabilité, participation de tous) n’expriment rien moins qu’une vision du monde qui renoue avec les formes de sagesses les plus ancestrales, tout en exprimant les nécessités du temps présent.
La mobilisation en faveur de transformations ne devrait pas être réservée à une élite intellectuelle ou à quelques militants infatigables car, même le plus égoïste des êtres humains a intérêt à ce que des changements soient effectués rapidement, ne serait-ce que parce que la pauvreté et la concurrence pour les ressources naturelles, portent en elles les germes d’une violence inéluctable. Et les nuages radioactifs, le réchauffement de la planète, la disparition de la biodiversité, la déforestation ont des conséquences planétaires et irréversibles et se soucient bien peu des frontières.
Le courant du développement comme celui de l’environnement ont leurs détracteurs car chacun, pris séparément et radicalisé, peut être inacceptable. Dans ses dérives, l’écologie ressemble à un luxe indécent (ce que n’ont jamais manqué de dénoncer les pays du Sud) et le développement, compris comme la seule croissance économique est, entre autres choses, un suicide écologique assuré.
Le développement durable, synthèse de ces courants, tente de dépasser leurs imperfections pour traiter la question planétaire en ne négligeant aucune dimension, ne sacrifiant ni l’humain à la nature, ni la nature à l’homme, et permet donc de penser la nécessaire alliance entre environnement et développement.
Si le terme est sujet à caution, les transformations qu’il réclame sont bien nécessaires à moins de penser que l’on peut impunément, dans un rapport toujours plus inégal entre les peuples de la planète, poursuivre la voie de la surconsommation de biens et de la surexploitation de ressources. Dans les grandes lignes, les revendications des mouvements qui se font jour partout dans le monde contre les diktats du tout économique (dont Seattle ou Porto Allegre sont des symboles) convergent bien, appelant tous à cet autre développement : « économiquement efficace, écologiquement soutenable, socialement équitable, démocratiquement fondé, géopolitiquement acceptable et culturellement diversifié ». [[Gus Massiah, Les ONG et la mondialisation, quelles perspectives après Seattle, Aitec, mars 2000.]]

Éduquer pour transformer

De nombreuses associations de solidarité internationale (celles qu’on appelle ONG) issues des vagues tiers mondistes et anti-impérialistes, ont compris depuis longtemps que cela n’avait pas de sens de vouloir changer les choses au Sud si on n’agissait pas en même temps au Nord, pour faire évoluer mentalités et comportements. Si mondialisation il y a, c’est d’abord celle d’une interdépendance planétaire croissante et la solidarité qui en résulte est d’abord celle d’une unité de destin. Elles ont donc commencé à sensibiliser aux réalités du tiers monde puis à éduquer au développement, à la solidarité internationale dans l’espoir de transformer les choses à la racine pour ne plus avoir à traiter des symptômes dans l’urgence.
D’autres, à la même époque, s’inquiétaient du sort fait à la planète au nom de la croissance économique et tentaient de sensibiliser à l’environnement. Les enjeux sont tels qu’il apparaît plus que nécessaire de sortir des cercles d’initiés et de s’allier pour espérer modifier le cours des événements.
Depuis plus de vingt ans, les militants de l’éducation au développement et à l’environnement, tentent ainsi d’entrer dans l’école, ou au moins de collaborer avec elle, pour élargir leur audience et toucher tous les publics. L’école tente, inégalement, de répondre à toutes les demandes mais cette immense machine, lourde d’histoire, est lente à changer. Pourtant, il en va de son rôle le plus fondamental : former des hommes, citoyens pleinement conscients de leur rôle et de leurs actes. Outre le fait que l’école ne peut échapper aux transformations nées des révolutions technologiques qui bouleversent les sociétés et rendent les frontières poreuses, n’est-ce pas son rôle que de permettre d’échapper à une vision télévisée du monde et de poser les bases d’une nouvelle « civilité » ?
Éducation à la solidarité, aux Droits de l’homme, à l’environnement, au développement durable… Cela peut paraître beaucoup pour une seule institution mais cela n’est peut-être qu’une question de perspective.

Sandrine Chastang, association RITIMO (Réseau d’information tiers monde des centres de documentation pour la solidarité internationale).