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« Tu fais la filière ES ? Mais tu n’étais pas un bon élève ? »
Si la menace accrue qui pèse actuellement sur la filière ES est particulièrement préoccupante, la réputation défavorable dont elle pâtit dans l’opinion publique n’est en revanche pas nouvelle. Il y a 7 et 8 ans, alors que nous entrions en première ES, dans un lycée public belfortain, séduits par l’option de SES que nous avons suivie en classe de seconde ainsi que par la formation généraliste offerte, nous avions dû affronter le même type de discours dévalorisant de la part de certains membres de notre entourage voire du corps professoral : « Vous compromettez votre avenir ». « La filière ES est une section poubelle », « Allez en S et faites une prépa scientifique. Vous gâtez considérablement vos capacités » « Tu fais la filière ES ? Mais tu n’étais pas un bon élève ? ». Notre choix suscitait l’incompréhension de ceux pour qui de bons élèves se destinent évidemment à la filière S ; l’avenir qui nous était prédit était quant à lui bien peu encourageant.
Presque une décennie s’est écoulée depuis et le baccalauréat ES que nous avons obtenu en 2002 et 2003 ne nous a non seulement pas handicapés dans la poursuite de nos études supérieures mais a très certainement favorisé notre réussite.
Titulaires d’une mention très bien, nous avons tous les deux intégré, à un an d’intervalle, Sciences Po Paris et son premier cycle franco-allemand situé à Nancy. L’étiquette ES n’a visiblement pas dissuadé le jury d’admission à Sciences Po de nous accorder la dispense de l’examen d’entrée sur mention très bien. Notre cas est d’ailleurs loin de constituer une exception : nombre d’étudiants dispensés de l’examen d’admission à Sciences Po que nous avons connus étaient eux aussi issus de la filière ES. Devrait-on d’ailleurs s’en étonner ? Sciences Po ne précise-t-il pas lui-même que « le jury sera extrêmement attentif aux résultats obtenus dans les disciplines qui préparent plus particulièrement aux études à Sciences Po et aux notes obtenues aux épreuves du baccalauréat dans les disciplines suivantes : français, philosophie, histoire-géographie, langues et sciences économiques le cas échéant »[[ http://admissions.sciences-po.fr/fr/node/90, consulté le 08 février 2009.]], disciplines qui constituent la spécificité de la filière ES ? Lors de notre scolarité à Sciences Po, la formation que nous avons reçue dans la filière ES, loin de constituer un handicap, a ainsi été un atout considérable, notamment dans les enseignements de sociologie politique, de philosophie politique, d’économie, de géographie ou encore de droit.
Si un établissement prestigieux comme Sciences Po accorde sa confiance à des bacheliers ES, supposés mal formés, c’est que ces derniers ont donc toutes les cartes en main pour y réussir leur scolarité. En effet, la filière ES, d’une manière générale, prépare efficacement aux études universitaires dans le domaine des sciences sociales et ce pour plusieurs raisons. Elle assure la diffusion de savoirs fondamentaux, permet un premier contact avec les travaux de grands noms des sciences sociales et en encourage la lecture ; elle assure aussi la transmission de savoir-faire et de savoir-être, parmi lesquels la rigueur et l’honnêteté intellectuelles. Ainsi, ce que la filière ES nous a apporté, c’est une curiosité d’esprit mais aussi une autonomie intellectuelle. Penser par soi-même, bâtir un raisonnement solide, étayer ses arguments par un support à la fois théorique et empirique ; savoir lire et interpréter des données ; savoir aller au-delà des chiffres et prendre conscience des limites des outils statistiques ; savoir mener une recherche documentaire ; avoir une lecture régulière et critique des médias ; ne pas céder à la paresse intellectuelle et aux explications trop réductrices : la liste ne saurait être exhaustive.
La filière ES ne forme d’ailleurs pas seulement de futurs étudiants ; elle forme aussi des citoyens, honnêtes Hommes du 21ème siècle. Face à un monde de plus en plus complexe à appréhender, les enseignements de SES ou d’histoire-géographie livrent d’indispensables clés de lecture de l’actualité. Si les lycéens de 2009 reçoivent dans la filière ES des outils de compréhension de l’actualité récente et des crises mondiales qui l’agitent, les lycéens de l’an 2000 dont nous avons été trouvèrent dans l’enseignement de SES des instruments de décodage du phénomène des start-up et des stock-options qui suscitaient à l’époque une intense attention médiatique, par exemple.
Que sommes-nous devenus ?
Lise, après le premier cycle franco-allemand, a opté pour le master Carrières Juridiques et Judiciaires de Sciences Po préparant aux concours de l’Ecole Nationale de la Magistrature, de commissaire de police, avocat et officier de gendarmerie. Elle a réussi le premier de ces concours sans préparation spécifique et dès sa première tentative. Et c’est avec une certaine émotion qu’elle a récemment prêté serment, étant donné qu’elle doit sa vocation en grande partie aux SES. En effet, elle a découvert le métier de magistrat lors de dossiers sur les métiers en SES en classe de seconde puis au cours d’une séance consacrée à la justice en classe de première et dans le cadre du cours de SES qui lui avait permis d’accéder à une audience correctionnelle. Loin d’être un frein, les SES ont plutôt été une impulsion décisive dans son orientation universitaire et professionnelle.
La filière ES aura suscité une vocation de sociologue chez Antoine, confirmée par Sciences Po. Après le premier cycle franco-allemand, il a en effet intégré le master recherche de Sciences Po, spécialité sociologie politique. Il est actuellement doctorant en science politique (spécialité sociologie politique), allocataire de recherche et moniteur à Sciences Po rattaché au Cevipof et espère se consacrer plus tard à l’enseignement et à la recherche.
Si nous le devions, nous referions donc le choix de la filière ES. Sans aucune hésitation.
Antoine Mandret-Degeilh, Doctorant allocataire-moniteur à Sciences Po Paris.
Lise Chipault, Élève-magistrat à l’Ecole nationale de la Magistrature auditrice de justice.