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Trop jeunes pour coopérer ?

Les pratiques de coopération à l’école maternelle semblent à la fois naturelles et rares : l’altruisme est une qualité innée cependant l’idéal de l’autonomie érigé en modèle, ces dernières années, peut faire glisser les pratiques de classe vers une dérive individualiste. Elles exigent ainsi toute l’expertise de l’enseignant pour dépasser l’adage « aide-moi à faire seul » et aller vers un « permets-moi également d’apprendre avec les autres ».

Dans les textes officiels, l’école maternelle est définie en creux comme celle qui va permettre à l’enfant de se décentrer pour devenir progressivement un être social évoluant dans son groupe, puis un citoyen éclairé amené à agir plus largement dans le monde. De cette première école, il en ressort l’image d’un échantillon d’individualités devant être modelé pour constituer in fine une nouvelle entité : une communauté qui ferait sens autour des apprentissages scolaires. Drôles d’alchimistes que sont les enseignants de maternelle !

Dans cet espace-classe où coexistent d’emblée autant de savoir-faire, de connaissances et de représentations du monde que d’individus, il est pourtant question de faire vivre la coopération. Si cette notion n’apparait en tant que telle qu’à six reprises dans les programmes officiels du cycle 1, elle semble pourtant cruciale au regard des objectifs à atteindre. Ainsi, comment concevoir la coopération à l’école maternelle ou, pour grossir le trait, comment passer du statut de cohabitation à celui d’une équipe qui apprend ?

« Un, deux, trois coopérez ! »

La plupart des occurrences liées à la coopération sont concentrées dans le domaine « Agir, s’exprimer, comprendre à travers l’activité physique » des instructions officielles. Il est vrai que ce domaine est une entrée à favoriser pour inciter à la coopération car celle-ci ne peut se concevoir intellectuellement qu’une fois vécue corporellement. Cela est d’autant plus vrai pour de jeunes élèves. Cependant, la coopération ne se décrète pas et ne peut se résumer en une injonction telle qu’« un, deux, trois coopérez ! ». Elle se vit, s’éprouve et grandit.

Pour la faire vivre, il est pertinent de mener des jeux coopératifs dès le début de l’année scolaire. De nombreux exemples sont envisageables : la balade à cheval, retourner un tapis sans que les pieds le quittent, les chaises musicales, faire rouler une balle dans des gouttières à juxtaposer afin d’atteindre un récipient, réaliser des traversées à plusieurs avec un matériel à déplacer au fur et à mesure de l’avancée, etc. La finalité reste à chaque fois la même : apprendre à travailler à plusieurs dans un même but et un même espace.

Balade à cheval
Le jeu de la gouttière
Regarder pour mieux voir

Il est essentiel, dans un premier temps, de laisser faire les élèves sans intervenir. En effet, bien choisis, ces jeux vont très certainement mener à des situations d’échec et donc nourrir un fort sentiment de frustration chez les élèves. Et c’est heureux car le sentiment d’incompétence est à l’origine de l’envie d’apprendre ! Une fois le constat d’échec établi, Il faut désormais en trouver les raisons. Et là… la faute est souvent rejetée sur un camarade. Le fameux : « oui, mais c’est untel qui n’a pas… ». L’enseignant se doit alors d’intervenir et de rappeler la dimension collective du défi : ce n’est pas tel élève qui doit réussir mais l’équipe. Le changement de paradigme est énorme. Mais alors, comment faire ?

L’observation est un outil puissant pour faire évoluer les procédures. Pour cela, il ne faut pas hésiter à donner aux élèves des observables : que font les enfants au départ ? Comment se déplacent-ils tout au long du défi ? Comment communiquent-ils ? Quels sont les points forts des élèves ? Est-ce que tout le monde participe ? En plus de l’observation directe, l’analyse de vidéos faites par l’enseignant est également à privilégier. Enfin, faire témoigner les groupes qui réussissent en leur demandant d’expliciter leur organisation est un bon point d’appui pour le reste de la classe. Ces différents outils vont permettre plus facilement de repérer des attitudes et des procédures efficaces : se mettre d’accord sur une stratégie en amont, se parler tout au long de l’activité afin de la réajuster au besoin, définir des rôles, valoriser les points forts de chacun, etc. Progressivement les élèves vont verbaliser ce qui fait la coopération. Ainsi, la formation à la coopération commence par la lecture et l’analyse du réel, de ce qui se fait. Ensuite, chaque nouvelle séance devra débuter par un rappel des premières conclusions obtenues afin de les mettre à l’épreuve pour les valider ou les invalider.

Un habitus à développer

En proposant ces jeux dès le début d’année scolaire, les élèves vont apprendre à se connaitre, à échanger, à réfléchir à plusieurs, à s’organiser, à échouer ou réussir ensemble dans ce contexte d’action imposé par l’activité physique. L’enseignant va alors pouvoir développer chez ses élèves un habitus de la coopération : ne pas ou ne plus rester seul face à un problème, mais faire appel aux autres pour avancer soi-même.

Cet habitus se transpose ensuite bien évidemment en classe avec, là encore, des activités à choisir minutieusement pour inciter à coopérer : défis divers à hauteur des élèves de maternelle tels que décorer le couloir avec une toile d’araignée géante pour Halloween, imaginer une courte histoire avec plusieurs personnages pour le théâtre d’ombres et la jouer, réaliser le défi « chamallow » qui consiste à élaborer une construction la plus haute possible, etc. En proposant ce type de situations que l’on peut qualifier de « tâches complexes », les élèves auront naturellement le réflexe de faire appel aux autres, quitte à entrer en conflit cognitif. De fait, la coopération constitue une modalité pédagogique favorisant les apprentissages avec, par et pour les autres.

La situation idéale pour apprendre à coopérer est celle où aucun élève ne sait réaliser seul la tâche. En voici un exemple : un petit groupe a pour consigne de dessiner une tête de robot avec le crayon coopératif. Devant la difficulté à produire un dessin lisible, les élèves se trouvent dans l’obligation d’échanger et d’élaborer une stratégie commune. Le rôle de l’enseignant est alors déterminant. En guidant les élèves par ses questions, il parvient à faire émerger leurs besoins : nécessité de se coordonner (et donc de communiquer), d’ordonner les tracés (d’agir avec méthode et chronologie) et de pas oublier d’éléments. Évoquant la liste de courses de ses parents, un enfant propose des étapes à dessiner à la manière d’un pas à pas. Le groupe est désormais la voie de l’apprentissage et de la réussite. Pour former à la coopération, il faut donc oser les tâches complexes, dès le plus jeune âge.

Dessiner avec un crayon coopératif
De la complexité à coopérer

Cependant coopérer ne relève pas toujours de l’évidence et il ne suffit pas de mettre en interaction des élèves pour que « la magie opère ». En observant les groupes au travail, on constatera probablement que les enfants les plus discrets s’effacent devant les leadeurs et que les plus fragiles se voient souvent affectés aux tâches subalternes. Ces dérives doivent être transformées afin que chacun y trouve son compte. Parfois certains élèves sont plus compétents que d’autres ; c’est à l’enseignant d’en faire une force en organisant des modalités de travail pour que ceux qui savent accompagnent ceux qui ne savent pas encore.

La pratique du tutorat entend répondre à ce besoin car elle est individualisée et s’inscrit dans une réciprocité des échanges. Le rôle du tuteur n’est pas hiérarchique mais fondamentalement pédagogique. Cette pratique permet de réduire les inégalités car chacun pourra, en fonction de ses besoins ponctuels, devenir tuteur ou tutoré. Ainsi, elle n’est pas réservée aux seuls bons élèves. Elle nécessite une formation et des engagements de tous : le tuteur est toujours volontaire, il termine son travail avant d’aider un camarade, il ne donne pas les réponses mais conseille, reformule, donne des exemples, il rappelle les outils de la classe, il encourage et sait orienter vers un autre enfant ou vers l’enseignant. De son côté, le tutoré s’engage tout d’abord à essayer seul, il émet de la bonne volonté et pose des questions précises, il peut décider à tout moment d’arrêter de se faire aider.

Bien évidemment, il est difficile pour les élèves, et plus encore pour ceux de maternelle, de comprendre les limites de leur rôle. C’est pourquoi une préparation est indispensable : discussion et définition de la pratique du tutorat, échanges autour de cas pratiques et passation d’un brevet. L’enseignant devra ensuite veiller régulièrement à évaluer les tuteurs pour les confirmer dans leur fonction.

Le brevet de tuteur
Entretenir la coopération

Après avoir vécu des situations de coopération et une fois les élèves convaincus de leur bénéfice, il convient désormais de la faire vivre au quotidien et de l’élargir en dehors des seules tâches complexes, sous peine de la voir dépérir rapidement. Plusieurs dispositifs peuvent être mis en œuvre : des temps de travail personnel dans lesquels les élèves seront amenés à travailler ensemble, des espaces de parole libre tels que les « quoi de neuf ? », l’implication des élèves dans la vie quotidienne de la classe par la tenue de conseils coopératifs et la mise en place de responsabilités, des formes de communication plus sereines avec le recours aux messages clairs ou encore l’organisation de marchés de connaissances. De quoi bien occuper une année scolaire !

Le chemin de la coopération en maternelle est loin d’être plus simple, mais qui s’y aventure fait rarement demi-tour…

Séverine Haudebourg
Professeure des écoles, formatrice

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Former les élèves à la coopération

Coordonné par Sylvain Connac, Cyril Lascassies et Julie Lefort
Il ne suffit pas que quatre élèves travaillent ensemble pour qu’ils en tirent un bénéfice. Sans précautions spécifiques, la coopération peut même décourager les plus fragiles. Un des leviers pour que la coopération soit profitable à tous est la formation des élèves à la coopération, pour leur expliciter les attendus.