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Trois remarques sur la lecture de la lettre de Guy Môquet

Faire connaître à des élèves les lettres de fusillés de la Résistance n’est pas nouveau. En classe de 3e, on demande de travailler sur la « poésie engagée » et à cette occasion, nous sommes nombreux, professeurs de français, à
citer Manouchian, Môquet, Péri. Eh oui, les programmes de français honnis par les réactionnaires en tous genres, ont intégré cette défense de notre patrimoine qui, s’il n’est pas en l’occurrence proprement littéraire, est une composante de notre culture, et même du socle commun que tous les élèves de France doivent s’approprier.
Mais il est bien évident qu’il ne suffit certainement pas de lire une lettre, aussi belle soit-elle, pour emporter l’adhésion, pour amener les élèves vers plus d’engagement citoyen par exemple. Tout ce qui ressemble à une pesante leçon de morale ne peut provoquer qu’indifférence polie (au mieux) ou ricanements (au pire). Un accompagnement, pensé par ces professionnels de la pédagogie que sont ou doivent être les enseignants, est indispensable. Comment rendre les élèves actifs pour préparer par exemple une lecture à haute voix de la lettre, après un temps d’appropriation ? Comment relier cette lettre à des combats d’aujourd’hui, auxquels les élèves peuvent être sensibles ? Cela peut aller de l’allusion à Mandela à l’évocation de telle chanson engagée d’aujourd’hui. Il ne s’agit pas de tout confondre, mais de jouer pleinement le rôle de « passeur culturel » que doit être l’enseignant. En reprenant en quelque sorte ce qu’exprimait jadis Jean Ferrat : « Je twisterai les mots s’il fallait les twister. »
Enfin, si la beauté des mots de Môquet est indéniable, elle vient d’une situation, d’un contexte. Si sa lettre nous émeut et nous semble belle, n’est-ce pas d’abord parce qu’il se
trouve du bon côté de l’Histoire (même si au moment où il est arrêté, en 1940, son parti est loin de l’être !). Mais les mots du kamikaze qui va se faire exploser et qui écrit à sa mère la veille de son « sacrifice » peuvent aussi être « beaux », « nobles ». Comment faire apparaître aux yeux des élèves la différence essentielle entre le courage au service de la lutte contre la barbarie et celui qui est au service de la barbarie ? L’émotion ne suffira certainement pas : celle-ci peut, quand la raison est absente, mener aux défilés de Nuremberg. Tout cela, il ne s’agit pas tant de « l’expliquer » aux élèves, car en général, c’est bien peu efficace. Mais bien plutôt, et cela renvoie au point précédent, de travailler une réelle appropriation, pour qu’il y ait vraiment une transmission. Et cela, l’école de grand-papa qui inculquait davantage les vertus de la soumission que les valeurs de la « résistance » n’y parviendra pas, de toutes façons, dans le contexte actuel. Et c’est justement parce que nous, pédagogues, voulons faire vivre des grands textes, de grands noms de notre Histoire, que nous devons utiliser toutes les « ruses » de la pédagogie, tout notre savoir-faire de professionnels.

Jean-Michel Zakhartchouk , enseignant et auteur de Transmettre vraiment une culture à tous les élèves.