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Trois alternatives scolaires

De nombreux observateurs disent depuis longtemps que la forme scolaire appliquée en France est dépassée (une heure, une classe, un enseignant, une discipline). Les écologistes le disent également depuis longtemps et on ne fera pas ici l’inventaire des raisons pour lesquelles il faut faire autrement. La question se pose d’une traduction politique d’une ou de plusieurs alternatives : inscrire dans un programme, proposer des étapes pour montrer que le cadre ancien (qui passe pour rassurant) peut être dépassé. C’est aussi une exigence démocratique : si la visée de la transformation est lointaine, on promet d’évaluer le chemin quand il sera parcouru. Je propose d’examiner trois alternatives qui se présentent à nous aujourd’hui en France au début du XXIe siècle. Par commodité d’exposition, on choisira le niveau du lycée. On discutera enfin les limites de cette présentation.

L’alternative planificatrice

Dans un livre que j’ai commis en 2000 (Tenir parole sur l’école), je faisais le lien entre ce que présentait Jean-Pierre Astolfi (L’école pour apprendre) et les travaux des psycho-sociologues sur les groupes dans l’enseignement. On peut remarquer que les différents modes d’enseignement qui se sont succédé depuis les années 60 n’avaient pas été corrélés aux modes de groupements d’élèves. Ainsi, le modèle de la transmission peut très bien se satisfaire de grands groupes d’élèves (pourquoi pas jusqu’à 50 en terminale) et tolère une hétérogénéité des élèves. Le modèle du conditionnement nécessite des groupes moyens (12 à 18) et des élèves regroupés par besoins repérés, ce qui suppose une relative homogénéité ; ces groupes doivent être périodiquement révisés. Enfin, l’approche constructiviste développée depuis les années 80 nécessite des groupes réduits, réunis régulièrement et contrairement à une idée reçue, s’accommode très bien de l’hétérogénéité. Tout cela suppose une autonomie d’organisation des équipes d’enseignants, qui doivent régulièrement faire le point sur l’organisation des groupes d’élèves.
Que faut-il pour que cette nouvelle cité scolaire idéale fonctionne ? Deux leviers de transformation doivent être activés. Tout d’abord la formation des enseignants, surtout la formation continue, parce que les enseignants ont intégré des gestes professionnels qui correspondent à des attentes contradictoires. Ainsi, ils font des cours magistraux à 35 élèves en bombardant de questions les élèves, de façon à coller aux injonctions sur les méthodes actives. C’est le fameux effet TGV décrit par Jean-Pierre Astolfi. Il faut donc que les enseignants déconstruisent leurs pratiques – sans être remis personnellement en cause – et s’initient à la gestion de groupes d’élèves aux références différentiées. Cela prend du temps et nécessite de repenser les modes d’inscription en formation (des groupes d’analyse de pratiques hors établissement pour déconstruire et des groupes dans l’établissement pour reconstruire des outils à partir du moment où il y a une demande réellement collective).
Le deuxième levier est celui de la transformation des espaces scolaires. Il faut des salles plus petites et des salles plus grandes. Il faut peut-être en fonction des établissements prévoir des cloisons mobiles ! Ce défi n’est pas moins redoutable que le précédent. Faut-il par exemple que les conseils régionaux privilégient les économies d’énergie ou le réaménagement interne des locaux ?
Si cette solution est envisagée, elle ne peut se réaliser qu’à moyen terme (il faut du temps pour les travaux comme pour le recrutement de formateurs d’enseignants). Il faut donc planifier, établissement par établissement, bassin par bassin, rectorat par rectorat. La planification est une condition incontournable, mais loin d’être suffisante. Si ce principe est arrêté, on peut très bien imaginer qu’un ou des emprunts soient lancés par les régions et l’État.

L’alternative par la complexité

Pourquoi partir de la pédagogie ? Ne pourrait-on dépasser le débat entre « pédagogues » et « républicains ». Pourquoi ne pas partir du réel actuel ? En clair, considérons d’abord que les enseignants du secondaire se déterminent très majoritairement par leur identité disciplinaire, ensuite ce qui attend ceux qui aujourd’hui  entrent à l’école : l’apprentissage de la complexité est leur horizon inévitable et cela passera par une approche disciplinaire. Mieux vaut y entrer franchement pour les dépasser (et justement, ne pas s’enfermer dans une discipline).
La piste est tracée par exemple par le GARL (Groupe Ambition pour la réforme des lycées) qui regroupe de nombreuses organisations.
On peut donc imaginer qu’un enseignant soit chargé d’un enseignement modulaire intégrant des démarches de recherche, de documentation, et qu’il fasse ponctuellement appel à des intervenants qu’il va chercher dans l’établissement ou son environnement proche. À la limite, on évite une hypocrisie et on met le savoir au centre. Mais pour que cela ne soit pas une escroquerie intellectuelle, il faut réellement que les élèves entrent dans la complexité et pas seulement en attendant l’onction finale du bac. Il faut donc revoir totalement les modalités d’évaluation et cesser de considérer que l’évaluation est un agrégat de moyennes, que le parcours est sanctionné par une évaluation-couperet dont les formes sont académiques et normatives. Il faut alors non pas tomber dans le contrôle continu, mais choisir au moins le contrôle en cours de formation, et si possible des pratiques stabilisées de co-évaluation, un vrai programme de construction de compétences peu nombreuses, mais bien ciblées à travers des tâches complexes. Si on ne fait pas sauter le verrou de l’évaluation (donc la forme dépassée du bac), on n’y arrivera pas.
Une fois ce cadre posé, il est évident que les besoins en formation continue des enseignants seront importants. On ne passe pas sans transition d’une logique d’évaluation à une autre. Mais il n’est pas nécessaire (même si c’est souhaitable évidemment) de passer par un long travail d’analyse de pratiques. Cette formation s’accommodera très bien d’une formation essentiellement d’origine disciplinaire (hors établissement). Il y aurait tout de même nécessité pour les différentes inspections de s’entendre (ou d’être cadrées) sur les termes communs des outils du socle : capacités, connaissances, compétences, attitudes. Ce qui est loin d’être le cas même dans les formations à visée professionnalisante (BTS par exemple). Les résistances institutionnelles seront fortes, mais n’apparaitront pas au départ.
Un tel scénario pourrait fort bien s’accommoder du développement de l’usage des TICE hors la classe (ENT), ce qui peut aussi contribuer à faire du brouillage stratégique tant la culture numérique dans l’institution et chez les enseignants est hétérogène et inégale.

L’alternative démocratisante

La troisième solution existe déjà… dans les établissements expérimentaux. Prenons l’exemple des micro-lycées ou celle du Collège-lycée élitaire pour tous. Il s’agit de prendre les jeunes comme ils sont à un moment de leur parcours. L’expérience des micro-lycées est intéressante et on trouve des articles détaillés dans les Cahiers pédagogiques. Le préalable est sans doute l’éducabilité : chacun peut réussir et c’est sans doute la conviction qui est sans doute la moins partagée par les élèves en situation d’échec à leur arrivée. Le fonctionnement de l’établissement est impliquant : les élèves participent au ménage par exemple. La vie quotidienne est discutée et la salle des profs est commune à celle des élèves. Le mode réel n’est pas celui de la négociation (si présente dans les salles de classe des lycées en général…) avec des jeux de rapport de force. Dans les lycées expérimentaux, élèves et enseignants peuvent décider ensemble des emplois du temps (avec des règles et des critères) à travers la planification d’activités réelles et on ne négocie pas plus les contenus enseignés (ce n’est pas encore le cas dans les lycées en général).
Prendre les jeunes là où ils en sont pour les faire rentrer dans l’institution (redevenir élève pour passer le bac) leur permet aussi de raccrocher à un parcours de formation. Cela passe par la reconnaissance du sujet qui devient aussi membre de la communauté, participe à la construction de la loi, etc. En ce sens, ces dispositifs alternatifs, qui ont toujours du mal à émerger, transforment ces établissements en lieux-ressources (y compris actuellement pour la réforme du bac). La troisième alternative serait donc la logique de la tache d’huile. Un rythme relativement lent… Propose-t-on alors la création d’un établissement expérimental par bassin avec appels à projet pour constitutions d’équipes de volontaires ? Ceci obligerait à une couverture nationale dans une mandature (cela représenterait 300 à 400 établissements en projet qui au moins démarrent sur 5 ans) ? L’expérience du CNIRS (conseil National pour l’innovation et la réussite scolaire), comme la tentative des établissements expérimentaux proposés par Gaby Cohn-Bendit en octobre 2007 – sabordée par le ministère Darcos – obligent à considérer que les rectorats doivent être fortement impliqués, ce qui ne vaut pas dire qu’ils doivent définir le cahier des charges des appels à projets. Cela doit s’appuyer sur l’expérience avérée des établissements expérimentaux du service public (notamment ceux de la FESPI) et de mouvements pédagogiques, voire d’éducation (qui gèrent par exemple les dispositifs de classes et ateliers-relais).
On imagine aisément des freins puissants qui empêcheraient une telle alternative : les résistances syndicales sont à vérifier et il n’est pas sûr qu’on trouverait autant d’opposition chez les enseignants car on trouverait des volontaires. Le problème, c’est le rythme de création : trouver 15 enseignants par bassin avec suffisamment d’expérience… Des résistances de représentation existent chez les cadres administratifs (voire les inspecteurs), chez les parents, les élus locaux, habitués à la forme scolaire traditionnelle, sans oublier les établissements qui sont en aval (enseignement supérieur). Il faut plus de temps qu’un mandat pour installer vraiment les établissements.

Cadre de discussion des trois alternatives

Peut-on faire les trois alternatives ? Ne nous racontons pas d’histoire, on n’en fera qu’une seule et en un mandat, ce serait difficile d’aller jusqu’au bout du processus. Il y a tant de choses à coordonner, d’acteurs à mobiliser… sans compter que la ressource bien rare de la formation continue des enseignants est à reconstruire ! En revanche, il est sûr que le choix d’une alternative ou l’autre engagera durablement l’avenir.
Ces alternatives concernent le lycée. S’appliquent-elles aux autres niveaux ?
– La première peut en partie s’appliquer au collège : on n’imagine pas 50 élèves de 3e suivant des cours dans un amphi toute une année (sauf quelques rares établissements). En revanche, les approches pédagogiques différentes peuvent être appliquées à des moments dédiés.
– L’alternative par la complexité s’appliquerait au collège, dans la logique de l’approche par compétences (dans une définition tout à fait autre que celle qui est actuellement pratiquée). Mais les compétences ne seraient pas définies par les disciplines… scolaires. Cela accentuerait la coupure collège-lycée (ce qui est d’ailleurs à l’origine de la réforme actuelle des lycées).
– L’alternative démocratisante s’appliquerait logiquement au primaire et au collège. Les enseignants « Freinet » sont d’ailleurs assez répandus en France et peuvent servir d’éléments pour constituer des équipes de volontaires.

Y a-t-il d’autres critères de choix ? Par exemple, quel serait le cout de ces réformes ? Un chiffrage serait nécessaire, mais le calcul compliqué. Faut-il intégrer la suppression des redoublements ? Ceux qui sont escomptés ?
Y a-t-il d’autres alternatives ? Oui, sans doute. Par exemple le fait de confier à une équipe pédagogique un nombre d’élèves déterminé (proposition du rapport Legrand en 1982 sur les collèges) auxquels ils doivent assurer des enseignements, organiser les groupes, les évaluations. Cette proposition, simple dans son énoncé et vérifiée à l’étranger, nous renvoie à d’autres questions abordées dans la première et la troisième alternative. Il faut donc étudier les scénarios. Donc en discuter, car cela ne peut pas être laissé à la seule appréciation des experts.

Olivier Masson
Enseignant et membre de Europe Écologie Les Verts