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Transmettre vraiment une culture à tous les élèves, réflexion et exemples de pratiques

Sans aucun doute la réflexion sur la culture devient-elle absolument prioritaire aujourd’hui dans le débat éducatif. Non qu’elle ait été absente depuis un siècle et que les tenants de l’« Éducation nouvelle » l’aient négligée. Bien au contraire. Pour eux, la dimension culturelle était si évidente qu’ils n’éprouvaient pas le besoin d’en proclamer l’urgence à chaque page. Même si d’importants débats agitaient les intellectuels sur la question de l’école, même si des « philosophes-pédagogues » comme Marion étaient déjà vilipendés, nul ne les soupçonnait d’être des « fossoyeurs de la culture »… Et pour cause : les pédagogues étaient tous des hommes et des femmes de culture engagés et reconnus comme tels. Mieux encore : les pédagogues avaient ouvertement partie liée avec l’éducation populaire qui, justement, se donnait pour objectif la démocratisation de l’accès aux œuvres littéraires, cinématographiques, scientifiques, etc. Difficile de dire à quel moment le soupçon est apparu : peut-être avec l’insistance excessive de la pédagogie sur la psychologie (comme en témoignent la création de la psychopédagogie et les travaux qui pouvaient laisser penser que le « développement personnel », dans toutes ses dimensions, primait sur la transmission culturelle) ? Peut-être avec la multiplication des recherches sur la manière de « différencier » l’enseignement pour faire face à de « nouveaux publics » (avec l’accumulation de propositions méthodologiques qui pouvaient faire passer au second plan la question des « contenus ») ? Peut-être avec certaines initiatives institutionnelles qui, depuis les « 10 % Fontanet », ont pu faire croire que les pédagogues investissaient les marges pour y faire du « socioculturel » au détriment des connaissances du programme ? Mais le fait est là : l’opinion s’est laissée imposer l’opposition entre « les méthodes » et « les savoirs ». C’est pourquoi il est important de renouer explicitement les fils et de montrer que la pédagogie ne s’oppose nullement à des apprentissages rigoureux et de haut niveau, mais qu’elle s’intéresse à la manière dont des élèves concrets peuvent les effectuer, à ce métabolisme étrange qui transforme des « programmes » en « savoirs intelligibles, mobilisateurs et réinvestissables ». Et c’est ce métabolisme-là qui fait problème. Parce qu’il est du côté du vivant et non du mécanique. Parce qu’il met en échec tous les réductionnismes et toutes les injonctions autoritaires.

Le premier mérite du livre de Jean-Michel Zakhartchouk est donc de nous réinstaller au cœur du pédagogique, c’est-à-dire au cœur de la « culture ». La culture entendue en tant que « contenus », mais aussi, et indissociablement, en tant que « vecteur » des apprentissages. Objet et outil… et donc ni seulement objet, ni seulement outil, mais « passage au vivant ». Interaction entre des œuvres et des sujets qui constituent simultanément les unes et les autres : c’est parce que les œuvres sont transmises et incorporées qu’elles deviennent culture, et c’est dans ce travail que s’instituent des sujets qui peuvent, en même temps, « parler de quelque chose » et « parler d’eux ». D’autant plus qu’il n’y a pas d’autres manières de parler pour un humain !
Avec beaucoup de doigté et de modestie à la fois (quand tant d’autres donnent les leçons avec une arrogance invraisemblable !), Jean-Michel Zakhartchouk explore, dans les deux premiers chapitres de son livre, la notion de culture, ses difficultés et ses richesses. Il n’élude aucun des grands débats sur la question et renvoie à de précieuses analyses qui permettront au lecteur d’approfondir éventuellement ces questions. Peut-être, cependant, aurait-on aimé un peu plus d’éclairage anthropologique, d’autant plus que cette entrée aurait servi son propos ultérieur.

Reste que, tout au long de son texte, l’auteur butte légitimement sur des contradictions : faut-il enseigner une « culture universelle », au risque de tomber dans une sorte de « colonialisme » ? Ou bien vaut-il mieux travailler sur « les cultures » des élèves, au risque d’être suspecté de « relativisme » ? Faut-il miser sur l’imaginaire et la création collective ou bien, au contraire, permettre d’explorer à fond les œuvres du patrimoine ? Etc. C’est parce qu’il assume ces questions, ces tensions, voire ces contradictions, que Jean-Michel Zakhartchouk fait œuvre de véritable « pédagogue ». Car, pédagogie il y a, justement, dès lors qu’on refuse de céder aux délices de la polémique, aux enfermements dans le « ou bien… ou bien… ». Pédagogie il y a, dès lors qu’on sort des apories idéologiques de toutes sortes (l’autorité de l’adulte/le respect de l’enfant… le programme/le projet… l’individuel/le collectif…) pour mettre en place des dispositifs qui permettent de travailler dans la temporalité avec des élèves concrets et des exigences fortes. À cet égard, le tableau utilisable en formation présenté aux pages 209 et 210 est un modèle de formalisation pédagogique exemplaire : il met en tension la nécessaire « transmission de la culture » et la non moins nécessaire « construction d’un rapport personnel à la culture. » Non comme une opposition indépassable entre la fonction d’inculcation et la fonction critique de l’école, mais comme la démonstration que l’une n’est pas possible sans l’autre et vice versa.

Au centre du livre, Jean-Michel Zakhartchouk a réuni – et c’est une belle performance – des témoignages particulièrement intéressants et stimulants. Loin de tout angélisme et de tout dogmatisme, on y trouve des propositions, des expériences, des analyses susceptibles d’aider tous les enseignants de toutes les disciplines. Écrits de manière toujours très claire, sans le moindre jargon techniciste ni la moindre complaisance affective, ces textes sont des outils de formation exceptionnels. On pourra s’en inspirer. Ils pourront aussi nourrir l’inventivité de ceux et celles qui cherchent à « transmettre vraiment une culture aux élèves ». Car, c’est probablement dans cette inventivité que se trouve, tout à la fois, le moyen de redonner sens au métier d’enseignant et de démocratiser le système scolaire. Pour cela et pour bien d’autres choses, il faut remercier l’auteur.

Philippe Meirieu


Programmation 2014-2015

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