Les Cahiers pédagogiques sont une revue associative qui vit de ses abonnements et ventes au numéro.
Pensez à vous abonner sur notre librairie en ligne, c’est grâce à cela que nous tenons bon !

Tenir sa classe ou tenir sa place ?

Programmation 2014-2015

La « note de sérieux » : une proposition hors la loi !

Parmi ces moyens, il propose la « note de sérieux », proposition qu’il a développée dans un livre au titre alarmiste[[Clerc. S. 2008. Au Secours ! Sauvons notre école. Paris : Oh éditions.]] et dans nombre d’interventions médiatiques notamment face au Ministre de l’Education Nationale sur France télévision[[Émission « A vous de Juger » diffusée sur France 2 le 11 septembre dernier.]]. La « note de sérieux » (comptée coefficient deux) sanctionne le comportement des élèves en classe selon un barème très précis pour évaluer leur comportement. Il suggère notamment de retirer des points pour les retards et les absences injustifiées.
Une telle proposition est fortement contestable sur la plan éthique, mais elle est surtout hors la loi ! Rappelons que la circulaire de juillet 2000[[ Circulaire n° 2000-105 du 11 juillet 2000 sur l’organisation des procédures disciplinaires dans les collèges et les lycées – toujours en vigueur.]] précise qu’il « convient de distinguer soigneusement les punitions relatives au comportement des élèves de l’évaluation de leur travail personnel. Ainsi n’est-il pas permis de baisser la note d’un devoir en raison du comportement d’un élève ou d’une absence injustifiée ». Or, la proposition de M. Clerc contrevient à cette circulaire puisqu’il propose de baisser la moyenne des élèves en raison de leur comportement ou de leur absence injustifiée. D’autre part, la « note de sérieux » ne prend pas en compte la « note de vie scolaire attribuée aux élèves de la classe de sixième à la classe de troisième »[[Circulaire n° 2006-105 du 23 juin 2006.]]. Cette note sanctionne déjà le comportement de l’élève. On s’étonne du soutien au plus haut niveau de la proposition de M. Clerc de noter le « sérieux des élèves » au mépris des textes qui encadrent l’activité des professeurs. Et on peut s’interroger sur les effets d’un tel discours sur les enseignants débutants formés par Sébastien Clerc. Cet épisode illustre parfaitement l’état de confusion dans lequel se trouve l’école aujourd’hui.

Un professeur « sans loi »

Nous partageons le constat de Sébastien Clerc : l’école est en crise. Mais pour nous, le concept du « sans loi », convoqué d’abord par Fernand Oury, puis par Francis Imbert, nous semble particulièrement éclairant pour décrire et comprendre la situation actuelle, notamment celle de Sébastien Clerc. Le collège est « sans loi ». Des adolescents bolides apparaissent « déconnectés de tout circuit d’échanges et de partage : ils errent, libérés de toute inscription symbolique, à la dérive »[[ IMBERT Francis et le GRPI. 1997.]]. Mais aujourd’hui, outre les élèves, une partie des adultes aussi est « sans loi ». Nous avons déjà décrit un conseil de classe qui se transforme en règlement de compte, en boucherie, lorsqu’une équipe enseignante fait corps contre les élèves[[Professeur principal : Animer les heures de vie de classe, DUBOIS Arnaud. WEHRUNG Muriel. 2004.]]. Nous avons aussi évoqué ces jeunes enseignants en formation qui apparaissent perdus, sans aucun repère, pour faire face à des situations difficiles en classe[[DUBOIS Arnaud. 2005. In GIUST-DESPRAIRIES.]]. Les adultes apparaissent souvent déboussolés, comme errants dans un immense terrain vague et ne disposant d’aucun outil, d’aucun moyen de faire le point pour retrouver un cap ! Ils sont dans « un monde sans loi, sans médiation, sans limites »[[LEBRUN Jean-Pierre. 2006. Un Monde sans limites. Paris : Erès.]]. La description que fait Sébastien Clerc de ses débuts dans le métier en est une illustration éclairante. Il se donne donc à lui-même ses propres lois qui sont hors la loi.
Dans ce contexte, le principal enjeu de la formation des enseignants est de les aider à se repérer, à trouver les ressources pour assumer leur place.

Tenir sa place

Notre expérience de la formation des enseignants nous montre qu’assumer sa place, en tant que professeur, dans une classe quelle qu’elle soit n’est pas donné, mais que c’est une construction progressive. Dans le cadre de la formation initiale des professeurs de lycée et collège de l’académie de Créteil, nous animons depuis deux ans une formation transversale intitulée « s’autoriser l’autorité ». Les professeurs stagiaires sont invités à écrire des souvenirs d’élèves qui leur ont posé des problèmes de positionnement. Nous citerons ici un texte rédigé par Marie, une jeune professeure d’éducation physique et sportive pour illustrer la dimension subjective de la construction de l’autorité et les remaniements identitaires qu’elle implique[[BLANCHARD-LAVILLE Claudine (Direction). 2000. Malaise dans la formation des enseignants. Paris : L’Harmattan.]].

La Colle

D’un positionnement à l’autre : du statut d’élève puni à celui de professeur « punisseur ».
Elève de troisième, je n’avais jamais été « collée » et j’en étais très fière. Par ailleurs, il ne fallait pas que je le sois un jour sinon le pire m’attendait … « ma mère m’aurait tuée », comme je disais à l’époque. Pourtant je fus un jour collée. Mais pourquoi ?
Dans mon collège, nous avions tous les midis une heure de permanence. C’était chaque semaine la même surveillante. Elle avait décidé de tous nous « coller » durant l’année car nous étions trop bruyants. Elle en « collait » donc trois par semaine. Donc forcément un jour, c’est tombé sur moi : le drame. Impossible de faire comprendre à ma mère que je n’y étais pour rien : « je me suis donc faite tuer » !
Professeur aujourd’hui, je n’ai jamais « collé » un élève et je ne peux pas le faire. Je menace parfois les élèves, mais je ne passe jamais à l’acte. Alors je punis autrement […] Mais pourquoi ?
Une des hypothèses de cette « pathologie » de ne pas pouvoir « coller » les élèves renvoie à cette histoire.. En effet, j’ai peur des conséquences à l’extérieur de l’école d’une punition donnée à l’intérieur de l’école. La surveillante qui m’avait collée ne se doutait pas de l’ampleur de la réaction de ma mère à cette punition […]
C’est pourquoi ces derniers temps, je privilégie la discussion à la punition, ou du moins, la punition par discussion. Par contre, je n’arrive toujours pas à « coller » les élèves. D’une élève punie injustement, je suis devenue une professeure attentive au sens de la punition, mais amputée d’un des moyens de punir : « la colle ».

Ce texte permet d’entendre la complexité de ce qui peut être à l’oeuvre pour une jeune enseignante pour trouver sa place et la tenir. L’enjeu pour nous, dans la formation, est d’accompagner ces remaniements identitaires, par exemple le passage de l’identité d’étudiant à celle de professeur – le texte de Marie l’illustre parfaitement. Exercer son autorité en classe, ce n’est pas seulement avoir recours à un arsenal de techniques qui régleraient tous les problèmes au moment où ils surviennent, c’est aussi tenir sa place d’adulte capable de poser un cadre, de fixer des limites aux élèves, de tenir une Loi qui rende possible le « vivre ensemble ». Aucune technique ne peut garantir l’économie de ce cheminement pour tenir sa place, non pas pour soi, mais pour le bénéfice de l’autre. L’élève ne peut trouver sa place que s’il a face à lui un adulte qui tient la sienne, en commençant par respecter les règlements qui s’imposent à lui.

Arnaud Dubois, Professeur à l’IUFM de Créteil – Université Paris XII.


Sur le même thème, on peut lire également deux articles de Bruno Robbes :

Programmation 2014-2015

Programmation 2014-2015

Sauvons notre école… des professeurs « teneurs de classes »
Programmation 2014-2015

Programmation 2014-2015

Exercer une autorité éducative : principes d’action et dispositifs de formation possibles pour les professeurs