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Supprimer la note ou n’en faire qu’un élément de l’évaluation ?
« La note doit être utilisée à bon escient. Elle est utile, mais, quand elle paralyse, on doit lui substituer d’autres formes d’évaluation. La note ne doit pas être l’unique étalon. Aujourd’hui, on doit pouvoir apprendre et évaluer différemment comme avec les travaux personnels encadrés (TPE) par exemple, qui permettent de juger l’aptitude de l’élève à travailler de manière collective. » (Benoît Hamon, Le Parisien du 23 juin 2014).
Les ministres passent, l’évaluation reste… un problème. Dès lors, lancer un travail sur ce point chaud est courageux. Certains diront même que c’est téméraire, en raison de l’attachement de trois quart des Français selon les sondages, à ce système de communication de l’évaluation. D’ailleurs, les conservateurs de tout poil se sont déchainés contre toute suppression des (mauvaises) notes, à commencer par un Brighelli, sans surprise dans son opposition systématique. Or, la note fonctionne comme un thermomètre : elle ne dit pratiquement rien quand elle est bonne. Elle alerte puis décourage quand elle est mauvaise. Certes, elle permet de faire des classements qui sont à l’origine de notre système élitiste où l’on élimine progressivement les moins bons.
Alors pourquoi la conserver, maintenant que l’on veut garder tous les élèves jusqu’à 16 ans dans le système ? C’est un fait, on peut imaginer des classes sans notes : j’en ai vu fonctionner mais j’ai vu aussi le désarroi de professeurs qui ont été précipités dans ce qu’ils ressentent comme une aventure, d’autant plus périlleuse que ni formation ni concertation n’ont préparé le passage de la note sanction à l’accompagnement formatif des élèves. Nos amis genevois ont supprimé les notes lors de leur réforme de l’enseignement primaire, mais une votation (un référendum d’initiative populaire) les a rétablies et le corps enseignant ne s’est pas dressé contre ce retour dans un environnement connu !
Il ne s’agit donc pas de supprimer tel ou tel moyen de communiquer une évaluation. Le projet devrait être d’utiliser ceux qui permettent la plus grande marge de progression aux élèves et qui évitent les dégâts psychologiques de l’échec, par stigmatisation et autodévaluation. Ce changement bouleverse tellement la conception de l’évaluation que les enseignants s’en dessaisissent en partie pour la confier progressivement aux élèves, dans l’autoévaluation et la coévaluation, forts du principe que l’on ne sait bien que lorsqu’on sait évaluer la pertinence, la cohérence et l’efficacité de son action. L’autonomie si chère aux pédagogues ne se vérifie que quand les élèves sont en mesure de pratiquer l’autoévaluation. Pour être concret, on peut envisager d’accompagner la note de dispositifs divers qui la désacralisent, s’appuient sur le socle commun, permettent aux élèves de s’engager dans ce qu’ils font. Ils émettent alors des avis sur leur action et celle de leurs camarades, dans une perspective de progrès. Ils dialoguent avec l’enseignante ou l’enseignant sur la pertinence de leur démarche, la validité de leur méthode ou la justesse de leurs résultats et ainsi les débarrassent du fardeau que représente le jugement négatif qu’ils n’aiment pas formuler. On passerait alors de la note comme unique (et pauvre) moyen d’information à toute une partition qui permettrait d’entamer le grand air de la symphonie évaluative, principale origine de la réussite scolaire, sociale ou professionnelle.
Richard Étienne est professeur d’université émérite en sciences de l’éducation