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Sous les sciences, les valeurs
Avec le recul, on est choqué par ce qui, hier, était couramment enseigné. On découvre par exemple le sexisme de manuels de « Sciences appliquées » pour la « Classe de fin d’Etudes » publiés en 1959 (Classiques Hachette) : un pour les garçons, avec les connaissances sur la mécanique et la réparation des automobiles ; et un pour les filles, avec les informations scientifiques et pratiques pour mieux faire le ménage, la lessive, le repassage, bien tenir sa maison, s’occuper des enfants.
Ainsi, le choix des contenus scientifiques enseignés était largement dépendant à la fois des pratiques sociales de l’époque, mais aussi de valeurs sous tendues par ces pratiques, valeurs qui, avec le recul, nous paraissent aujourd’hui à la fois sexistes et cautionnées par le système scolaire. Ce dont ils n’avaient pas conscience.
Il n’y a pas de raison pour qu’aient disparu aujourd’hui ces interactions entre d’une part le choix, la présentation des connaissances scientifiques enseignées et d’autre part les pratiques sociales et systèmes de valeurs actuels. Leur identification est l’objet des recherches que nous développons depuis plusieurs années à l’Université Claude Bernard Lyon 1, et plus récemment dans un cadre international.
Prenons l’exemple de l’introduction de la génétique en classe de 3ème. Le premier chapitre traite des supports de l’hérédité. Dans le manuel édité par Bordas (1999, toujours utilisé), il s’intitule « Les chromosomes, supports du programme génétique ». Le message est clair. Dans la page 19 qui résume le chapitre par un texte court et un schéma sous le titre « L’essentiel », on peut dénombrer 5 occurrences de « programme génétique ». Or cette notion est contestée par les biologistes car l’information contenue dans les gènes n’est pas un programme automatique : c’est en fonction de l’environnement qu’elle s’exprime ou non, et de différentes façons, par des processus épigénétiques. Dès lors, continuer à parler de « programme génétique » relève d’une idéologie réductionniste, déterministe, héréditariste. Parmi tous nos « caractères » (terme sémantiquement ambigü car relatif aussi bien aux traits psychologiques qu’à la couleur des yeux ou des cheveux), nos caractéristiques psychologiques et intellectuelles se forgent au cours de notre vie par les processus d’épigenèse cérébrale. Or ces processus n’étaient jusqu’ici absolument pas abordés dans l’enseignement secondaire français. Ils viennent juste d’être introduits en classe de 1ère, timidement, avec le thème de la plasticité cérébrale. Mais sa place reste modeste si on la compare à celle accordée au déterminisme génétique. Par exemple, quand le même manuel de 3ème montre une photo de deux jumeaux conduisant chacun une moto, avec la même coupe de cheveux, la même position et les mêmes vêtements, avec pour seule légende « Les vrais jumeaux possèdent le même programme génétique. Savez-vous pourquoi ? », le message implicite est que les gènes ont programmé leur look identique, ainsi que leur choix de vêtements et de moto.
Ce message déterministe est porteur de valeurs fatalistes. Avec une déresponsabilisation de mes actes, puisque c’était écrit dans mes gènes ! Comme hier (et encore parfois aujourd’hui) c’était écrit dans le plan de dieu, ou encore dans la conjonction astrale à ma naissance, ou dans les lignes de ma main, ou dans la morphologie de mon visage !
L’alternative n’est pas si complexe à construire. Déjà le manuel de 3ème édité par Hatier (également en1999) évite d’utiliser l’expression « programme génétique » en la remplaçant systématiquement par « information génétique », et la place manque ici pour prendre d’autres exemples montrant que les messages scientifiques sur la génétique sont la plupart du temps porteurs de valeurs, parfois déterministes, parfois au contraire anti-racistes ou anti-sexistes. Valeurs qui sous-tendent des pratiques sociales plus ou moins citoyennes.
Mieux identifier les interactions entre valeurs et connaissances scientifiques, c’est, pour les enseignants comme pour leurs élèves, devenir moins prisonniers de valeurs implicites, et mieux assumer des choix de valeurs pour ce qu’elles sont sur le plan éthique, citoyen, et pas à travers une peudo-objectivité scientifique. C’est aussi se donner les moyens d’une vigilance épistémologique permettant d’assumer et questionner des connaissances scientifiques et leurs limites.
Par exemple, enseigner l’importance des processus épigénétiques ne signifie pas que le message d’hier sur le « tout-génétique » deviendrait un message sur le « tout-environnemental » ! L’épigénétique insiste sur l’interaction entre les gènes et ce qui les entoure, sans nier le génétique. Or rares sont les enseignements sur les interactions ou sur les régulations. Ainsi, au message génotype phénotype succède souvent, dans les manuels scolaires les plus récents, un message additif, parlant explicitement de « la part du génome » et de « la part de l’environnement » dans l’explication d’un trait phénotypique. Mais, quand deux phénomènes sont en interaction, parler du pourcentage d’influence de chacun d’eux n’a aucune signification scientifique : les deux sont à 100 % nécessaires.
Apprenons à identifier tout réductionnisme, plus particulièrement dans l’Education à l’Environnement, à la Santé et à la Citoyenneté. Toute maladie ne peut pas être réduite à une cause unique (un microbe, ou une mutation).
Nous poursuivons actuellement de telles recherches dans 19 pays, dans le cadre d’un projet européen dont j’assure la coordination (« Biology, Health and Environmental Education for better Citizenship ». Nous analysons les programmes et manuels scolaires, ainsi que les conceptions d’enseignants et futurs enseignants, sur plusieurs questions vives. Vous pouvez consulter notre site : www.biohead-citizen.net. Et si vous avez des questions, remarques ou propositions, n’hésitez pas à nous faire signe : Pierre.Clement@univ-lyon1.fr
Pierre Clément, LIRDHIST, Université Claude Bernard Lyon 1
Coordinateur de projet de recherche européen « Biology, Health and Environmental Education for better Citizenship »