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Sous le regard des évaluations externes
Pourquoi et en quoi serait-ce légitime d’évaluer l’école maternelle ?
Sur la question de l’évaluation, il est nécessaire de bien faire la part des choses entre évaluation individuelle des élèves et évaluation de ce que « produit » l’école. Il convient de distinguer clairement les évaluations en fonction de leurs objectifs. Dès la phase initiale de la construction d’un dispositif, l’usage qui sera fait des données à recueillir doit être clarifié. Au plan conceptuel, on distingue les dispositifs « d’évaluation diagnostique » et les dispositifs « d’évaluation bilan » qui constituent deux types d’évaluation qui ne se substituent pas l’un à l’autre. Ils diffèrent dans leurs objectifs, dans les modalités de mise en œuvre, dans l’exploitation et l’utilisation des résultats.
1- Les évaluations diagnostiques, outils professionnels pour les enseignants, concernent toutes les classes, tous les élèves. Elles permettent d’établir un diagnostic individuel – évaluer les points forts et les points faibles (freins aux apprentissages), d’aider l’enseignant à définir les actions pédagogiques adaptées à la situation de chacun (constitution de groupes de besoin par exemple) et à réguler la programmation des apprentissages.
Au niveau national, ces évaluations fournissent des repères. La Depp a déjà organisé, sur des échantillons représentatifs d’élèves, une remontée des résultats permettant de vérifier la validité psychométrique des épreuves. Ces résultats nationaux ne sont que des repères ; ils sont un constat sans autre ambition que de décrire une situation caractérisée à un moment donné ; ils aident les enseignants à faire une analyse individuelle des freins que rencontrent leurs élèves dans les apprentissages ; ils ne constituent pas le reflet de l’acquisition du programme officiel ; ils ne peuvent – au sens psychométrique – être comparés d’une année à l’autre ; ils ne sont pas des indicateurs d’évolution du système éducatif.
2- Les évaluations-bilans sont des outils pour le pilotage d’ensemble du système éducatif. Leur méthodologie de construction s’appuie sur les méthodes de la mesure en éducation et les modèles psychométriques. Elles concernent des échantillons représentatifs d’établissement, de classes et d’élèves. Elles sont organisées en fin de cycles. Elles révèlent, en référence aux objectifs de la politique éducative, les objectifs atteints et ceux qui ne le sont pas. Ces évaluations permettent d’agir au niveau national sur les programmes des disciplines, sur les organisations des enseignements, sur les contextes de l’enseignement, sur des populations caractérisées.
L’école maternelle, spécificité française, jouit d’une réputation de « modèle » qui n’a guère d’équivalent. En France, l’éducation « préscolaire » est une affaire d’école publique, elle est prise en charge par l’État. Elle est accessible à tous alors que dans la plupart des pays, on parle plutôt pour ce niveau d’éducation de « jardins d’enfants », le plus souvent privés et dans presque tous les cas payants. Dans le système scolaire français, bien que les enfants de deux à cinq ans ne soient pas soumis à l’obligation scolaire, dès trois ans, quasiment tous sont scolarisés (source MEN – RERS 2013).
Cette singularité, dont toute l’histoire de l’école maternelle témoigne, tient bien sûr à sa position et à son statut dans le système éducatif.
L’inspection générale, dans le rapport rédigé en octobre 2011 dresse un tableau précis sur l’état de l’école maternelle française. Dans ce rapport, l’accueil et l’éducation de la petite enfance sont décrits dans une perspective comparatiste ; des problématiques de fond y sont abordées telles que l’organisation pédagogique, l’enseignement de la langue orale, la qualité et l’efficacité de l’école maternelle.
L’école maternelle étant partie intégrante de l’école ; il peut donc être légitime, à la fin de cette école maternelle, de l’évaluer pour voir quel est le niveau, mais surtout l’hétérogénéité du niveau, des élèves à l’entrée à l’école élémentaire.
Bien entendu les enseignants sont conscients que les élèves accueillis à l’entrée au CP sont de niveau très hétérogène, mais le mettre en évidence à travers une évaluation standardisée sur un échantillon représentatif c’est autre chose. Un état des lieux à l’entrée au cours préparatoire sur les acquis fondamentaux, acquis en principe apportés par l’école maternelle est utile, sans que cela soit nécessairement réalisé de manière exhaustive.
En termes d’apprentissages scolaires, qu’est-ce qui a été exactement évalué dans cette étude ?
Les épreuves ont été élaborées en 1997 par une équipe d’universitaires spécialistes des domaines de la psychologie cognitive et de la psychologie du développement (cf. « Les compétences des élèves à l’entrée en cours préparatoire. Études réalisées à partir du panel d’élèves recrutés en 1997 », Les Dossiers n° 132, MEN-DEPP, août 2002).
Les exercices interrogeaient les élèves sur les compétences suivantes :
- la phonologie : détection d’intrus (mots qui commencent ou ne se terminent pas pareil),
- la numération : écriture de chiffres, de suite de nombres, calculs simples,
- le repérage dans le temps : maîtrise du vocabulaire lié au temps (entourer l’image qui correspond à la situation temporelle décrite),
- l’écriture : écriture de lettres, de mots (prénom, maman),
- l’écriture après mémorisation : mémoriser et reproduire des séries de signes (+/-) ou de lettres montrées en temps limité,
- la compréhension orale : association d’un message oral avec l’image correspondante
- la pré-lecture : lecture de mots et de pseudo-mots, connaissance de l’alphabet et du son des lettres,
- l’identification de nombres et de figures géométriques.
Quels sont les résultats de cette étude ?
La reprise à l’identique des évaluations a permis de comparer le niveau des acquis des élèves à l’entrée au CP à quatorze ans d’intervalle, entre 1997 et 2011.
Cette étude a montré une forte augmentation du niveau de performance des élèves à l’entrée en CP. Cette élévation du niveau moyen est observée dans toutes les dimensions évaluées. Sur les 100 items utilisés au total, le taux de réussite moyen passe de 66 % en 1997 à 74 % en 2011.
En outre, cette augmentation s’accompagne d’une réduction des inégalités sociales (pour plus de détails, Note d’information 13.19, septembre 2013). A titre d’illustration, un enfant d’ouvrier en 2011 est au même niveau global qu’un enfant de cadre supérieur de 1997. C’est un résultat remarquable. Par ailleurs, en 14 ans, les élèves entrants au CP ont pris 3 à 4 mois d’avance sur les dimensions mesurées. Ces résultats semblaient très encourageants pour la suite. Malheureusement notre récente étude (note d’information 19 – mai 2014), portant sur les élèves de cette même génération en début de CE2, a montré que cette hausse ne s’est pas transférée sur les acquis de début de cycle 3.
L’étude sur le Panel CP 2011 montre qu’en termes d’acquis scolaires, l’école maternelle a évolué dans le sens attendu c’est à dire tel que cela était défini dans les programmes 2008 ; l’étude de début de CE2 ne remet pas en cause la nécessité de travailler spécifiquement les compétences nécessaires à l’automatisation des processus d’identification des mots écrits (connaissance des lettres, connaissance des correspondances graphèmes-phonèmes), néanmoins, elle confirme que ces habiletés ne sont pas suffisantes pour accéder à la maîtrise de la langue écrite ; un travail spécifique sur la compréhension et le vocabulaire sont eux aussi nécessaires, très certainement de manière concomitante.
Il est très clair que ces résultats conduisent à interroger la fonction et le rôle des classes de cycle 2 dans la construction des apprentissages au cours de l’école élémentaire et dans la prise en compte de l’hétérogénéité des élèves.
Quelles sont les limites de ce type d’évaluation ?
Certains domaines comme le vocabulaire, l’expression orale, n’ont pu être évalués en début de CP, et il est possible que le niveau de ces compétences ait évolué en 14 ans.
D’autres aspects ne sont pas faciles à évaluer d’une façon standardisée, la socialisation, l’autonomie, le respect des autres par exemple. Pour ces dimensions, sans doute pourrait-on réfléchir à une évaluation par observation, effectuée par des personnes formées, mais cela demanderait des moyens dont nous ne disposons pas pour le moment.
Dans la perspective de la réduction de la difficulté scolaire, il y a un enjeu à observer ce qui se joue en grande section et si les résultats positifs observés en début de cycle 2 sont durables, notamment pour les élèves les plus faibles, dans l’apprentissage de la lecture.
Bruno Trosseille (chef de bureau) et Thierry Rocher (adjoint) de la DEPP
propos recueillis par Sandra Andreu, chargée d’études, professeure des écoles