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Sociologie des pédagogies alternatives

Ghislain Leroy, La Découverte, 2022

Cet ouvrage tombe à pic en 2022, à un moment où l’on pointe le centenaire des pédagogies nouvelles avec comme départ le Congrès de Calais. On  trouve aussi sur les étals de librairies, le livre Pédagogie de la résonance de Hartmut Rosa. En Suisse, l’enquête sur la santé mentale des enfants et des jeunes montre des réalités inquiétantes.  Et dans un environnement global, dans et l’extérieur de l’école à la fois anxiogène et en quête de bien-être, de sécurisation et de multiples assurances.

Ghislain Leroy mène ici une analyse sociologique des pédagogies qui se posent comme alternatives face aux pédagogies dites plus transmissives, voire plus traditionnelles. Cet exercice forcément difficile car englobant, général, tente de rendre compte d’un mouvement foisonnant d’alternatives à l’école. C’est un faisceau avec des influences partagées ou en hybridation, de différents courants, par les figures de proue (Freinet, Montessori, Neill, Decroly, etc.) sans en faire une histoire du type hagiographique ou un répertoire complet et exhaustif mais plutôt en pointant et en questionnant les problématiques centrales des différentes pédagogies par des thèmes-analyseurs comme : les finalités pédagogiques, sociales, politiques souhaitées par ces courants pédagogiques. De même, on esquisse les idées-forces des différents courants pédagogiques (l’élève comme sujet, le respect de la nature de l’enfant, l’activité de l’élève, l’intérêt de l’élève, des activités scolaires plus proches des problèmes de la vie, les pratiques enseignantes provoquant la contrainte ou le libre choix chez l’enfant ou l’élève, la liberté de l’enseignement et de l’apprentissage).

Les enjeux de la rupture par ces pédagogies alternatives ainsi que le but poursuivi sont éclairés tout en s’appuyant sur une périodisation (début XXe siècle à 1980, des années 1980 à nos jours, les années 2020).  Les pédagogies participent-elles davantage par leurs propres modes de socialisation, d’attentes, de justification à la sélection scolaire car elles seraient éventuellement trop invisibles en exigeraient des postures et des pré-requis des élèves qu’ils ne disposeraient pas d’entrée de jeu ? Ou au contraire, servent-elles à mieux inclure les élèves et plus particulièrement ceux pour qui l’école est une épreuve ou des pédagogies pour lutter contre l’exclusion ou l’échec scolaire ou encore le décrochage trop précoce ? S’agit-il par-là d’impliquer davantage les élèves, afin de les scolariser, les instruire et les éduquer au mieux, voire les émanciper, ou sont-elles des instruments puissants servant l’assujettissement subtil de l’enfant ? A qui profitent-elles ? A un renouvellement de l’ordre social ? A un renversement des positions entre « les dominants et les dominés » ? Sont-elles suffisamment transparentes pour éduquer et instruire tous les enfants quel que soit le milieu d’appartenance familiale ? Est-ce qu’il y a un enjeu de classe sociale dans le choix de ces pédagogies ? Sont-elles élitistes ou sont-elles pertinentes ou plus justes dans les milieux populaires car elles prendraient davantage en compte l’intérêt de l’élève et l’importance des mises en activité ? Sont-elles en train de rompre vraiment avec la forme scolaire traditionnelle pour des pratiques différentes (oralités, interdisciplinarité, production de projets …) ?

L’auteur ne situe pas uniquement ces pédagogies dans le passé, mais met aussi sous le projecteur les finalités visées par le marché prégnant des « nouvelles » alternatives comme : le retour des idées et pratiques montessoriennes, les écoles Steiner-Waltdorf, les écoles Sudbury, le homeschooling, ainsi que les pédagogies critiques (les pédagogies du type Paolo Freire, le féminisme, le queer, les critiques de race, le décolonialisme, les éco-pédagogies, et les pédagogies nouvelles).

Le lecteur peut trouver dans cet ouvrage, un panorama général, analytique, sociologique des enjeux de ces pédagogies dites alternatives face à une école plus traditionnelle. Mais la question subsiste sur les pratiques enseignantes actuelles et sur la définition de ce qu’est concrètement l’alternative. En quoi celle-ci se développe-t-elle pour aller développer ou expérimenter des nouvelles manières d’enseigner et d’apprendre en dehors des murs de l’école publique?

Cet ouvrage par sa large voilure, (qui trop embrasse mal étreint), présente quelques angles aveugles concernant la singularité et l’hétérogénéité des actions pédagogiques « alternatives ». A partir de cette entrée présentée dans l’ouvrage, j’aurais tendance à pousser l’analyse de ce qu’est « l’alternatif » au plus près des pratiques enseignantes, des élèves et des autres intervenants dans et en dehors de l’école.

Afin de mieux connaitre ces différentes pédagogies alternatives, on devrait davantage les situer dans les contextes socio-historiques de leur émergence, dans les établissements avec leurs compositions et configurations particulières et dans leur environnement singulier composé d’acteurs qui posent des actes et œuvrent à ces pratiques pédagogiques et les rendent possibles. Ce qui impliquerait d’aller jusqu’au bout de l’analyse de l’activité : qu’est-ce qui se joue vraiment dans les pratiques réelles, réalisées des enseignants ainsi que dans les pratiques vécues par les élèves. Il s’agirait d’étudier et analyser le cœur de l’activité afin d’éviter des catégoriser ces alternatives pédagogiques trop grossièrement avec le risque de les mythifier ou les caricaturer. Donc cela supposerait d’aller voir de plus près ce que certaines alternatives imposent comme travail d’enseignant et également ce qu’elles ont déclenché chez l’élève comme posture et rapport au savoir, à l’apprentissage, à son engagement dans les tâches scolaires dans un monde de plus en plus exigeant dans lequel les repères se vivent comme multiples ou encore flous.

Andreea Capitanescu Benetti