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Si tu as de la chance…

Soirée de remise des bulletins. J’explique à une mère d’élève la signification des codes couleurs de nos évaluations par compétences. J’insiste sur le fait que nous nous organisons pour qu’une évaluation échouée puisse être reproposée, de façon à ce que tous sachent qu’on ne reste pas sur un échec. Intéressée, la dame me dit : « Oui, c’est bien, en somme, vous leur donnez une deux­ième chance. »

La formule, à cette minute-là, résonne étrangement à mes oreilles. L’idée de « chance » me choque et me déplait. Elle dit bien que pour les parents (et ils ne le contestent pas), l’enseignant est le souverain absolu qui décide s’il accorde, ou non, à ses élèves la faveur de pouvoir reprendre un apprentissage, mieux comprendre et finalement réussir là où il avait d’abord échoué. Et je ne me reconnais pas dans cette façon de voir le métier.

Allons, me direz-vous, tout enseignant (et chacun à sa manière) ne fait-il pas tout ce qu’il peut pour que tous les élèves aient le maximum de possibilités de réussir ? Sans doute. Mais notre manière de faire et d’évaluer fonctionne-t-elle réellement sur le principe (affirmé et partagé par tous) du temps donné pour comprendre et s’exercer, se tromper et reprendre, et finalement réussir ? Les uns y arriveront rapidement, les autres en un parcours sinueux (pour l’enseignant comme pour l’élève) qui passe par toutes sortes d’étapes, la reprise de confiance, les retours en arrière, les réussites partielles, les obstacles à identifier. Quand nous pointons avec l’élève ou ses parents ce qu’il ne sait pas faire, ajoutons-nous toujours le magique « pas encore », « pas pour le moment  » ? Formule qui engage l’élève à ne pas renoncer par facilité ou par résignation, et l’enseignant à chercher encore quand il croit avoir tout essayé, en prenant le problème par un autre bout.

Le bon vieux postulat d’éducabilité ? Eh oui ! À remettre tous les matins au gout du jour, si l’on veut que nos élèves et leurs parents (et surtout les plus fragiles) y croient dur comme fer. Ce n’est pas un effet de notre bonté : c’est un dû absolu. Et pas une question de chance !

Florence Castincaud est professeure de français en collège.