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Se préparer au métier d’enseignant en Europe
Le Conseil de l’Europe réuni à Lisbonne en 2000 avait fixé 2010 comme échéance « pour améliorer la qualité globale des systèmes d’éducation et de formation dans l’UE » en s’appuyant sur « la formation des enseignants et des formateurs ». Pour l’Iréa, l’heure était donc propice pour dresser un premier bilan. Une initiative heureuse et un beau défi relevé que celui de mobiliser une quinzaine de chercheurs et une centaine de participants sur « la formation initiale des enseignants en Europe » afin d’en repérer convergences, divergences et évolutions.
Annette Bon (INRP) le notait d’entrée : sur la formation initiale, les recherches comparatistes sont peu nombreuses : les discussions ou les polémiques s’appuient donc plus souvent sur des opinions que sur des résultats de recherche. Quant à celles sur la formation continue, elles sont inexistantes, peut-être parce que la formation continue des enseignants est elle-même très lacunaire…
Les intervenants ont insisté sur les multiples biais qui peuvent parasiter les comparaisons internationales : le statut des enseignants[[Les enseignants ne sont fonctionnaires à vie, comme en France, que dans neuf pays de l’UE.]], l’éventuelle pénurie du recrutement[[Particulièrement importante en Angleterre, ce qui tend à faire choisir des modalités de formation peu exigeantes, basées sur la reproduction de « bonnes pratiques ».]], les modes de sélection, la place des concours[[L’orientation dans les filières de préparation aux métiers enseignants se fait par concours d’entrée dès après le baccalauréat en Allemagne et en Finlande.]], etc. Chacun a donc invité à la prudence dans les généralisations et l’indulgence dans les hypothèses, à considérer avec précaution.
Quelles convergences ?
Enseigner est un métier qui s’apprend : tel est le consensus, évoqué par Annette Bon. Il a mis du temps à s’établir, mais semble désormais partagé par les instances de l’UE. Mais qu’apprend-on quand on apprend le métier et où l’apprend-on ? Selon la figure du « bon enseignant », les réponses apportées peuvent être différentes, voire divergentes. Veut-on promouvoir un bon technicien qui répète et incorpore des gestes qui ont fait leurs preuves ? Un praticien réflexif autonome, capable d’identifier finement la nature des problèmes professionnels qu’il rencontre et de puiser dans les résultats de la recherche des réponses adaptées ? Dans le premier cas, on misera essentiellement sur l’apprentissage « sur le tas », l’immersion en milieu professionnel ; dans le second, sur la formation par la recherche. Lorsqu’on estime que les deux dimensions sont complémentaires, leur articulation, qui implique communication et collaboration étroite du monde universitaire et du monde professionnel, a du mal à s’organiser.
Autre convergence repérée : la formation des enseignants du premier comme du second degré est allée vers une universitarisation croissante ces dernières années. Mais comment l’université se débrouille-t-elle des exigences de cette formation de praticiens ? Plus à l’aise avec les savoirs académiques comme avec les démarches de recherche, elle a du mal à donner toute leur place aux savoirs de la pratique. Si certaines facultés considèrent les futurs enseignants préparant un master comme une clientèle non négligeable, d’autres cherchent à éviter les formations de praticiens, moins propices à l’obtention de financements que des activités de recherche. D’ailleurs – rappelait Daniel Filâtre (président de l’université de Toulouse) – pour de nombreux universitaires, l’enseignement n’est pas un métier qui s’apprend : on comprend donc leur difficulté à investir ce champ de la formation des enseignants. D’autant que, quand une sélection drastique conduit à ne retenir que 12 à 15 % des postulants on peut, comme Élisabeth Flitner (université de Postdam), s’interroger : « Faut-il impérativement avoir été bon élève pour être bon enseignant ? »
Autre problème pour l’université : elle est déjà, en certains lieux, confrontée à une perte de monopole. On voit apparaitre des opérateurs qui la concurrencent dans la formation des enseignants : accréditation de consortium d’établissements en Angleterre par exemple, demain, peut-être, officines privées. Si l’université n’est plus l’opérateur exclusif, ce n’est pas sans risque – selon Régis Malet (université Lille 3) – d’une opacification du contrat moral qui lie une Nation à ses enseignants.
Les politiques éducatives insérées dans les évolutions des politiques publiques
Plusieurs intervenants (Olivier Rey, Régis Malet, Alain Mouchoux) ont fortement insisté sur la nécessité de sortir du cadre éducatif pour comprendre la logique de certaines politiques. En effet, les dispositifs d’éducation et de formation sont pris dans des évolutions qui les dépassent. Les décisions qui les concernent peuvent à la fois trouver leur origine ailleurs que dans le seul traitement des problèmes du système éducatif ou – politique européenne oblige – transposer, sans toujours suffisamment de pertinence, de bonnes pratiques venues d’ailleurs qui ne seront pas forcément adaptées aux données du pays. Il faut cependant noter que les discours ne sont pas univoques, que les simplismes sur des recommandations européennes qui ne tendraient qu’à la libéralisation des systèmes éducatifs, imposant des politiques décrites comme rétrogrades aux gouvernements nationaux, caricaturent une réalité complexe : les discours autour du thème de la société de la connaissance, le souci d’enquêtes internationales correspondent aussi à de réelles préoccupations des instances européennes pour accroitre les niveaux de formation.
Reste que l’influence du courant du New Public Management se retrouve dans de nombreuses politiques nationales, sous diverses formes :
– le passage d’un État régulateur, garant des certifications (en ce qui concerne les questions éducatives, pour les diplômes comme pour le recrutement des enseignants) à un État évaluateur, définissant des outils de guidance accréditant, ou pas, tel ou tel organisme de formation ;
– le principe d’imputabilité (accountability) : les écoles sont responsables de leurs résultats dont elles doivent rendre compte, en particulier aux usagers.
Le dernier mot aux acteurs…
Autre constante plusieurs fois évoquée : la coexistence des programmes officiels et des programmes cachés. La description d’un dispositif, son imposition comme norme ne dictent pas de façon aboutie l’usage qui en sera fait. La qualité d’un cours universitaire de master ou de l’accompagnement d’un stage passe par ceux qui les mettent en œuvre. Et c’est parfois là que se joue une différence décisive.
C’était bien là aussi une limite des critiques générales à l’égard des IUFM : ceux-ci se sont-ils donné les moyens, ou bien leur a-t-on donné, de former leurs formateurs ? Si, selon la formule, le niveau d’un système éducatif ne peut pas être supérieur à la qualité professionnelle des enseignants qui y exercent, la transposition est vraie pour les organismes de formation. Pour la France, la question de l’universitarisation de la formation peut être considérée comme réglée : celle des intervenants dans les masters, de leurs compétences professionnelles, reste ouverte. Des universitaires chercheurs, loin des questions pédagogiques de l’enseignement primaire ou secondaire ? Des membres des corps d’inspection, au risque d’une confusion des fonctions ? Des enseignants « chevronnés », en retombant dans l’idée simple que la maitrise d’une compétence suffit à garantir la compétence à la transmettre ?
Au vu de l’ampleur de ces questions, ce ne peut être qu’une bonne idée, à poursuivre, de regarder ce qui se fait ailleurs…
Patrice Bride, Nicole Priou