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Se confronter au monde tel qu’il est

En classe de 4e et 3e, nous demandons à chaque élève d’écrire aux députés une lettre argumentative aussi vive que possible, dans lesquelles ils déploient notamment des figures de style étudiées en classe, sur un thème de leur choix qui les révolte. Les réponses des députés sont lues et analysées en classe.
Des réactions orales et écrites sont suscitées sur tous les thèmes qui touchent leur sensibilité, au programme de préférence, mais sans s’y tenir absolument : le nazisme, la résistance à l’oppression, la crise économique, les inégalités sociales, la liberté de la presse, l’engagement, etc. Dans tous les cas, il s’agit d’insister sur les effets concrets, d’incarner ces notions trop souvent détachées d’eux. L’objectif est de les tenir autant que possible dans leur propre présent, de les amener à vivre, à éprouver et non à subir le cours, à être en prise et non à distance, à se sentir personnellement concernés. Une ou plusieurs argumentations sur ces thèmes forts sont demandées aux élèves, par exemple un texte pour défendre une idée ou un dialogue opposant deux points de vue.
Côté lecture, en 3e, nous avons tendance à privilégier des romans qui leur font découvrir le monde : Valérie Zenatti, Quand j’étais soldate), en mettant en scène des personnages soumis au choix de la résistance, de la fidélité, de l’amitié et de l’amour (Joseph Kessel, L’Armée des ombres ; le film de Melville) ou de la difficulté de vivre et d’aimer lorsqu’on est un adolescent placé en famille d’accueil (Jean-Paul Nozière, Un été 58), ou encore en mettant l’accent sur l’argent et ses enjeux sociaux et humains (Émile Zola, Nantas).

En 5e, nous demandons aux élèves d’effectuer des recherches sur les enfants au travail dans le monde, puis d’écrire quatre textes, narratif, descriptif, explicatif et argumentatif devant constituer un récit dont un enfant est le héros. Ils choisissent le nom de leur enfant, son pays, sa famille, son histoire. Le discours argumentatif est celui de l’enfant qui appelle des responsables politiques et économiques à agir en faveur des enfants. Les textes que rendent les élèves sont souvent vifs et poignants. Ce sujet les inspire, quels que soient leurs difficultés en français.
Dans le cadre du programme sur les grandes explorations, nous essayons de leur faire découvrir les conquêtes grâce à des regards différents de ceux que l’on nous propose habituellement, par exemple leur présenter la découverte de l’Amérique et l’anéantissement des Indiens à travers un extrait de Howard Zinn. Les surprendre par des révélations permet de capter leur attention. Leur apprendre par exemple que ce ne sont pas seulement « les autres » qui ont commis des horreurs, des massacres, des ignominies, mais nos ancêtres aussi, quels que soit notre origine, notre culture, notre histoire ; leur apprendre ainsi que les Américains, que les élèves idéalisent, ont pratiqué l’épuration ethnique à l’égard des Indiens et propagé délibérément des épidémies[[Ces actes ont été reconnus officiellement en 2000 par le directeur du Bureau des Affaires indiennes. cf. Le massacre, objet d’histoire, sous la direction de David El Kenz, Paris, Gallimard, Folio Histoire, p. 297.]] en vue de leur extermination ou que des Français ont exterminé près d’un tiers de la population algérienne au XIXe siècle[[Entre 0,5 et 1 million d’individus sur une population de 3 millions. Ibid., p. 267.]] ou encore que les Arabes ont été parmi les plus grands esclavagistes de tous les temps. Personne n’est stigmatisé, mais les élèves sont invités à entendre que « le mal » est présent partout, chez tous les peuples, qu’ils ne sont pas « les bons » face à des « méchants » stigmatisés par les médias et les discours ambiants, qu’ils sont tous, quels qu’ils soient, des enfants se reconnaissant, ou vivant dans une civilisation, ou appartenant à une religion dont l’histoire a été marquée par des actes barbares. C’est l’occasion d’approcher des notions fondamentales, telles la civilisation, la justice, la culture.

Parce que les enfants sont « sensibles », entend-on souvent, il faut les « ménager ». Nous souhaitons plutôt susciter des prises de conscience, leur proposer des travaux susceptibles de leur faire découvrir le monde tel qu’il est. Enseigner, c’est pour nous contribuer à rendre plus humain.

Laurence Gay-Para, Frédéric Gobert
Professeurs de français au collège Bernard de Ventadour à Privas