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Scolarisation et besoins d’apprentissages d’élèves autistes

La loi du 11 février 2005 a établi le droit à la scolarisation des enfants handicapés, et en particulier de ceux qui présentent des troubles autistiques. Or la Classification Internationale des Maladies définit l’autisme comme un trouble envahissant du développement, caractérisé par la perturbation des interactions sociales, de la communication verbale ou non verbale, du comportement (lequel est restreint, stéréotypé, répétitif). Face à l’expression de distorsions dans la posture d’élève et les stratégies d’apprentissage, un enseignant (ou un auxiliaire de vie scolaire) peut se sentir découragé, impuissant à transformer des situations de crise en moments d’apprentissage. L’enjeu est alors d’interpréter l’organisation psychologique atypique de l’élève comme une dynamique adaptative, face à un monde qui lui est difficilement compréhensible, et de tenter de traduire en besoins d’apprentissages les manifestations observées.

Des besoins d’apprentissages relationnels

L’élève autiste noue difficilement des relations sociales adaptées[[Sciences humaines, Dossier : « Autisme : les apports de la neuropsychologie », hors série n° 45, juin-juillet-aout 2004. Voir la présentation de l’article sur le site de Sciences humaines]]. Il est possible qu’il ne témoigne pas d’affection pour autrui, qu’il manifeste un intérêt plus grand pour des objets que pour des personnes, qu’il préfère l’isolement aux relations interpersonnelles, qu’il évite le regard de ses interlocuteurs, qu’il utilise l’adulte à des fins déterminées (en prenant sa main pour obtenir quelque chose, par exemple). Ce comportement est en particulier corrélé à un déficit de la théorie de l’esprit, c’est-à-dire de la capacité à interpréter des sentiments, des croyances, des idées, des désirs (les siens, ceux d’autrui)[[Rita Jordan, Stuart Powell, Les enfants autistes. Les comprendre, les intégrer à l’école, Paris : Masson, 1997. Commander cet ouvrage avec Amazon]]. Ce déficit rend autrui « indécodable » et imprévisible. Il peut expliquer la nécessité, pour la personne autiste, d’adopter une posture de retrait, ainsi que sa difficulté à manifester de l’empathie et à saisir les indices fournis par la communication non verbale.
Ainsi, il est fondamental de rendre l’humain « lisible » à l’élève autiste, en verbalisant souvent les intentions et émotions sous-jacentes aux actions réalisées dans la classe (il est possible de le faire à la fin d’une activité, lors du bilan collectif de celle-ci, ou au cours d’interactions duelles avec l’élève, pendant la tâche). Il s’agit d’amener le sujet à comprendre, par une interprétation de ses pensées et de celles d’autrui, que l’esprit est mu par celles-ci. On peut qualifier au quotidien ce que l’apprenant semble ressentir au plan émotionnel à un moment d’apprentissage précis (joie, peur, tristesse, colère), ainsi que la raison de cette émotion. On souligne alors, par des indications sur son propre visage, quelles modifications faciales accompagnent le ressenti (sourire, sourcils froncés, etc.), afin que l’élève « observe » ses émotions en miroir. Il est possible de partager ce type de démarche avec les parents. On peut également insister sur les intentions implicites révélées par les actions du protagoniste d’un récit. Quels que soient les choix de travail, ils sont liés par une volonté quotidienne d’amener l’élève autiste à pénétrer son monde subjectif (de sujet apprenant) et celui d’autrui, afin de se sécuriser en situation groupale et de développer ses possibilités interprétatives.

Des besoins d’apprentissages instrumentaux

On constate dans l’autisme une altération de la perception : le sujet ne peut s’abstraire de sensations auditives, visuelles, tactiles, gustatives, olfactives exacerbées, qui sont d’autant plus envahissantes qu’elles lui sont nouvelles. On observe ici de nouveau une difficulté d’interprétation du monde extérieur. Autrement dit, un bruit à peine audible, mais inconnu, risque de faire fortement réagir l’élève. Il est possible qu’une odeur inconnue l’inquiète, qu’un aliment d’une couleur particulière le rebute, qu’une lumière l’obsède[[Christine Philip (Ed.) Educautisme. Les connaissances actuelles sur l’autisme et leurs implications éducatives et pédagogiques, Suresnes : Éditions du CNEFEI, 1995. Commander cet ouvrage avec Amazon]]. Une texture nouvelle, néanmoins très douce, peut provoquer un sentiment de panique.
De ce fait, il est important de ne pas considérer l’hypersensorialité de l’élève au regard de la norme, mais d’éclairer ses réactions à la lueur des relations qu’il entretient avec son environnement, en s’interrogeant notamment sur le niveau de familiarité de certains stimulus. L’enseignant peut alors interpréter un comportement réactif en fonction du caractère potentiellement intrusif et déstabilisant d’une perception nouvelle. Là encore, c’est par la mise en mots que l’on aide l’élève à transformer un envahissement sensoriel, qu’il n’est pas en mesure d’interpréter, en représentation mentale. À ce sujet, on peut prendre le temps, notamment en début d’année scolaire, de faire plusieurs fois avec lui le tour de la classe, pour en « écouter les bruits » : une chaise qu’on déplace, un tiroir qu’on tire, une armoire qu’on ouvre, une craie qui parcourt le tableau… On éduque alors sa perception, en lui faisant ressentir quelles parties du corps en sont les instruments. Dès lors qu’un bruit inconnu se fait entendre dans la classe, on veille à en expliquer la provenance. Cela peut même se généraliser en une sorte de jeu « sensoriel » dans le groupe (et à la maison, si c’est possible) : « D’où vient cette lumière qui traverse la fenêtre ? Quelle est l’odeur qui nous parvient de la cantine ? » Etc. Si l’élève n’est pas en mesure d’y participer, cela ne l’empêche pas d’entendre les questions et les réponses qui sont formulées au sujet de son environnement sensoriel. Ainsi, quand l’enseignant se décentre de son propre fonctionnement perceptif et tente d’être en empathie avec celui de l’élève autiste, il peut contribuer à ce que ce dernier accepte son environnement scolaire et investisse au plan intellectuel les informations sensitives qui lui parviennent.

Des besoins d’apprentissages cognitifs

Le trouble autistique précoce est caractérisé par des déficits importants dans l’acquisition du langage, qui n’a pas nécessairement de fonction communicative. Les difficultés lexicales alimentent en particulier un déficit d’abstraction, lequel engendre de nouvelles difficultés lexicales. Il convient donc de ne pas minimiser la communication orale au profit de substituts imagés, mais d’accompagner si nécessaire les messages verbaux (consignes, indications, etc.) par des gestes, des photos ou dessins présentés de façon ordonnée, et mettant en scène ces messages. De même, il est important de ne pas appauvrir les formulations enseignantes, mais de veiller à une généralisation progressive de l’usage des mots. Par exemple, si l’élève entend simultanément les termes « pardessus », « blouson », « anorak » pour désigner le même vêtement qu’il doit revêtir, cela peut être déstabilisateur. L’enseignant privilégie un terme en particulier, en montrant à l’élève plusieurs signifiants de ce terme (ici : plusieurs types de pardessus), afin de l’aider à conjuguer différentes représentations d’objets à un même mot (ce qui est le principe même de l’abstraction). Par suite, dès que l’élève semble comprendre les messages incluant ce terme, on lui associe des termes synonymes ou proches, toujours en mettant en relation, dans la mesure du possible, les concepts abordés et plusieurs de leurs représentants concrets. Par exemple, pour illustrer le mot « rectangle », on peut désigner des éléments du sol, des murs, du plafond, des fenêtres de la classe ; on peut tracer un rectangle au tableau (à base horizontale, à base oblique), désigner les six faces d’un pavé droit, former approximativement un rectangle avec ses doigts ou un élastique, etc. Là encore, les activités peuvent se poursuivre dans le milieu familial. Cette démarche peut être profitable à tout élève du groupe, dans la mesure où chaque concept se généralise et élargit son champ d’application à partir d’une multitude de particularisations. Il s’agit de prendre en compte au quotidien les besoins d’abstraction sous-jacents aux besoins langagiers, et réciproquement.          

Des besoins d’apprentissages culturels

Comme tout autre élève, l’apprenant autiste a besoin de s’emparer de la culture scolaire pour construire son avenir. Mais le tableau composé par ses supposées « bizarreries » peut avoir pour effet d’« “autistiser” autrui »[[Bernard Golse, Pierre Delion (Dir.) « Autisme, état des lieux et horizons. Première partie », Le Carnet Psy, n° 75, septembre-octobre 2002. Commander cet ouvrage avec Amazon]], c’est-à-dire de détruire progressivement le lien social et intellectuel qui fonde la relation enseignant/élève. À terme se pose le risque d’un élève qui s’affaire à des tâches occupationnelles, isolé (et toléré) dans la classe, tandis que le reste du groupe investit de véritables apprentissages. Pour éviter cela, il est fondamental que l’adulte se situe dans le « penser élève », c’est-à-dire envisage à tout moment l’enfant handicapé comme un apprenant, et s’empare de toute situation pour enseigner. Considérons par exemple un élève autiste en situation de retrait, qui refuse d’interagir avec autrui, qui ne s’intéresse à aucune des activités prévues par l’enseignant, et qui ne cesse de manipuler frénétiquement des objets, dans le seul but d’exercer sa sensorialité sur leur surface et leurs contours. « Penser élève », c’est par exemple traduire en termes scientifiques l’acte stéréotypé observé : « là, tu es en train de manipuler un cube. C’est un objet géométrique. Ce que tu frottes avec ton doigt s’appelle une arête du cube. Il y en a douze en tout. On peut le vérifier ensemble si tu veux, ou je peux le vérifier devant toi… », etc. Il s’agit pour l’enseignant d’utiliser le langage pour « injecter » du sens à une situation d’évitement de pensée : en nourrissant patiemment et sans relâche l’intellect de l’élève par la mise en mots de ses propres actions, on l’aide progressivement à s’appuyer sur le domaine de la perception pour investir celui de la représentation mentale, et à s’intéresser à terme aux objets de la culture scolaire.

Enfin, pour engager dans les activités précédemment proposées un élève qui peut être envahi par des peurs sans nom, il est important de s’assurer au quotidien qu’il connait les réponses aux questions suivantes : où suis-je ? Pourquoi suis-je là ? Qui sont ces adultes ? Qui sont ces enfants ? Que vais-je faire ? Pourquoi vais-je le faire ? Comment s’appelle ce qu’on me demande d’utiliser ? Qu’est-ce que je ressens ? Que ressentent les autres ? Combien de temps vais-je rester ici ? Quand vais-je quitter cet endroit ? Quand vais-je y revenir ?…

Valérie Barry, formatrice pour l’ASH à l’IUFM de l’Université Paris XII.