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Sciences sans pratiques… et alors ?

nipedu-logo-nouveau.jpgÀ défaut d’une livraison enchanteresse de la part du Père Noël de l’éducation, la fin de l’année 2023 a apporté, comme tous les trois ans, son lot de résultats PISA et de commentaires. Nipédu a tenté, dans une récente émission1, d’embrasser le sujet plus largement avec la question suivante : que peut la recherche pour l’éducation ?

Un poison ?

Nos échanges ont été dialectiques – elle (ne) peut rien, un peu, beaucoup, tout –, mais une des parties de l’émission a quand même commencé ainsi : la recherche est un poison pour l’éducation. De fait, même quelque temps après cet enregistrement, quelques éléments de cette thèse s’accrochent.

Entrer dans les sciences de l’éducation, c’est comme entrer dans l’hémicycle parlementaire. Il n’est pas besoin d’écouter longtemps pour saisir que, autant pour de bonnes que de mauvaises raisons, ces bougres ne seront jamais d’accord ! Dans les sciences de l’éducation, coexistent moult disciplines, dotées de méthodes distinctes et d’objets ne concernant qu’un aspect très spécifique de la vie de la classe. Et chacune ne sert qu’un seul de ces deux objectifs : prédire des phénomènes simplifiés sur des milliers d’individus ou les analyser dans toute leur complexité sur quelques-uns. Au moins, dans l’hémicycle, à défaut de solutions consensuelles (euphémisme…), ils sont parfois d’accord sur les questions à traiter.

D’ailleurs, l’éducation est régulièrement à l’ordre du jour en tant que problème politique. Et ces dernières années, la recherche a souvent été invoquée, pour nourrir les argumentaires et pour justifier les réformes effectivement mises en place.

Dans le premier cas, il n’est toujours pas nécessaire d’écouter les élus pour les entendre prêter aux recherches en éducation une portée semblable à celle des sciences de la nature : un résultat scientifique, obtenu dans une somme de petits endroits, pourrait être répliqué absolument dans toutes les classes ! C’est traiter nos enfants comme s’ils étaient aussi stables et identiques que deux atomes de carbone. Vous voyez le problème ?

Dans le deuxième cas, de récents travaux2 ont décrit, expériences institutionnelles nationales à l’appui, comment et pourquoi des changements d’échelle en éducation ont échoué. Ces résultats suivent un aveu d’impuissance qu’avait formulé un ensemble de chercheurs en éducation dans un livre dont nous avions déjà tiré une émission3.

Pluralité et dissensions

Mais soyons raisonnables ! La complexité des phénomènes étudiés justifie bien sûr la pluralité des approches, les dissensions qui vont avec et les échecs à produire des résultats pratiques. Mais si l’on veut vraiment offrir à l’éducation tout le potentiel de la recherche – et bien sûr qu’elle en a ! –, il faut accepter l’implication fondamentale de cette complexité : un résultat peut être le plus scientifique qui soit, sans jamais appeler aucune application ! Il n’en aura pas moins rempli sa mission de rendre le réel plus intelligible, et c’est tout ce qu’on lui demande.

Tiens, on pourrait remplacer éducation par médecine, la première des sciences humaines, et de tels propos auraient peut-être aidé à mieux comprendre les enjeux scientifiques d’une récente crise sanitaire…

Régis Forgione, Fabien Hobart et Jean-Philippe Maitre

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Notes
  1. À écouter ici : https://tinyurl.com/52dfufx8.
  2. Voir cet article : http://tinyurl.com/2cwteewc.
  3. À écouter ici : http://tinyurl.com/u2ku28w.